Des Amérindiens à George Bellows
Non, l’histoire de l’art à New York ne commence par avec la boîte de soupe Campbell peinte par Andy Warhol en 1962 ! Sans remonter jusqu’aux Algonquins – cette tribu indienne qui longtemps peupla l’île de Manhattan, connue pour son art de la vannerie et son travail des perles –, il faut revenir à la seconde moitié du XIXe siècle, quand James Whistler, précurseur de l’impressionnisme américain, peignait de vastes symphonies picturales. Il faut encore citer le portraitiste John Singer Sargent et une certaine Mary Cassatt, aujourd’hui considérée comme la première femme peintre américaine, née en 1844 dans l’État de Pennsylvanie.
Il faut attendre le début du siècle suivant pour assister à l’éclosion d’une véritable école picturale américaine, dépassant alors le traditionnel portrait et les douceurs du paysage romantique chères à l’Hudson River School. Combats de boxe, scènes populaires, laissés-pour-compte… Le groupe The Eight et l’Ash Can School, que l’on traduit par « école de la poubelle », prennent alors la relève dans un style férocement réaliste, illustrant la violence urbaine et le quotidien des bas quartiers. Robert Henri (1865-1929), chantre du réalisme américain, en est la clé de voûte, autour duquel gravitent entre autres les peintres et illustrateurs John French Sloan, George Luks, William Glackens, Everett Shinn, Maurice Prendergast ou encore George Bellows (1882-1925), qui en est l’un des représentants les plus incisifs ; on pourra admirer quelques tableaux, dessins et gravures au Metropolitan Museum of Art.
L’Armory show de 1913
Mais si l’on ne devait retenir qu’une date pour résumer New York, épicentre de l’art américain, ce serait 1913, année de la fameuse exposition d’art moderne, connue sous le nom d’« Armory Show » (The International Exhibition of Modern Art). Cette année-là, du 17 février au 15 mars, l’histoire bascule. Grâce à quelques grands donateurs, comme seule l’Amérique sait en produire – de Gertrude Vanderbilt Whitney à Alfred Stieglitz, le photographe et célèbre marchand d’art –, l’exposition offre au public new-yorkais plus de 1 200 tableaux et sculptures issus de l’avant-garde européenne et américaine. Les tendances les plus audacieuses de l’époque y sont présentées, fauvisme et cubisme, avec en prime une toile de Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier no 2, qui provoque le scandale. Il n’en fallait pas plus : l’art moderne prend définitivement ses quartiers aux États-Unis.
Un cubo-réalisme teinté de futurisme
C’est lui encore qui quelques années plus tard, à partir de 1920, jouera un rôle décisif dans la diffusion d’un mouvement singulier, le précisionnisme. Le style précisionniste est une sorte de cubo-réalisme teinté de futurisme, inspiré des paysages industriels et de l’univers urbain new-yorkais. On croise là les tableaux de Charles Demuth, Elsie Driggs ou Charles Sheeler. Des silos à grains, des zones portuaires, des cheminées d’usines… Emmenés par Preston Dickinson, les pionniers du courant précisionniste vont tout à coup sublimer l’épopée économique américaine.
Plus éloigné des sujets liés à la classe ouvrière, le peintre Edward Hopper est l’une des figures majeures de cette nouvelle scène. Fasciné par les grands motifs de l’American way of life, Hopper brosse l’infini désespoir des classes moyennes, une certaine mélancolie, voire une franche dépression. Des motels sans charme, des rues désertes, simplement zébrées de néons publicitaires… Sous le pinceau d’Edward Hopper, le réveil d’après le krach de 1929 laisse un goût amer. Pour résumer l’ambiance, on renverra au tableau le plus connu de l’artiste, Nighthawks, une œuvre de 1942 aujourd’hui accrochée sur les cimaises de l’Art Institute of Chicago. Nighthawks, ce sont ces oiseaux de nuit qui hantent les bars en fin de soirée, ces clients accablés de solitude, échoués au comptoir des diners américains. Et pourtant, Hopper sera consacré, en 1933, avec la première rétrospective de son œuvre, au Museum of Modern Art. On peut aujourd'hui admirer quelques-unes de ses œuvres au Whitney Museum of American Art.
De l’American Scene Painting à l’École de New York
C’est justement dans les années 1930 qu’émerge un large mouvement pictural, l’American Scene Painting, dont relève d’ailleurs Edward Hopper, aux côtés de Jack Levine et de Grant Wood. Ce dernier est l’auteur d’une œuvre emblématique signée en 1930 et dont le titre, American Gothic, laisse peu de doutes sur l’ancrage régionaliste et social : un couple pose devant une ferme, l’homme tenant une fourche à la main. Icône ultraréaliste de la ruralité américaine, typiquement Midwest, le tableau deviendra le symbole de l’Amérique profonde. En dépit de sa popularité, l’American Scene, qui s’était créée en réaction à la veine expressionniste issue de l’avant-garde européenne (avec des artistes tels qu’Arshile Gorky ou Max Weber), sera balayée à partir du milieu des années 1940 par les tenants de l’expressionnisme abstrait.
The Big Apple s’impose alors comme le spot le plus éclatant de la créativité mondiale. Aussi radical qu’informel, ce mouvement sera très vite baptisé « École de New York » et connaîtra une gloire sans précédent jusqu’aux années 1970. La figuration est écartée, les toiles sont souvent de très grand format, parfois réalisées selon la technique du all-over, la peinture recouvrant alors toute la surface du tableau. Deux courants se distinguent… L’Action painting mise sur la gestualité et l’énergie, dans une pratique que l’on pourrait qualifier de « pulsionnelle ». Cette manière est illustrée par les travaux de Franz Kline, de Willem de Kooning ou encore de Jackson Pollock – qui avait pour habitude de peindre au sol, ses toiles posées à plat, avec un bâton laissant goutter la peinture (la fameuse technique du dripping). Le style Color Field painting, brillamment théorisé par le critique d’art Clement Greenberg, est beaucoup plus méditatif. Ici, la couleur devient le sujet même de la peinture, les plans sont vastes, déployés en de larges étendues chromatiques. Parmi les maîtres incontestés de cette picturalité « en champs de couleur », citons Mark Rothko, Barnett Newman, Clyfford Still et Robert Motherwell.
Du pop art au minimalisme
La suite de cette chronologie est à la mesure de New York : démesurée et iconique. Dans le rôle-titre, celui qui deviendra la légende vivante du pop art, la coqueluche du Manhattan chic. Andy Warhol, l’éternel dandy surgi des limbes de Pennsylvanie, cultive des orchidées blanches et porte une perruque couleur platine. Né en 1928 à Pittsburgh, il est aussi celui par qui la scène new-yorkaise va entrer en ébullition à partir des années 1960. À mi-chemin de l’art et de la consommation, c’est dans la culture populaire américaine que Warhol va trouver son inspiration. Le paquet de lessive Brillo, la bouteille de Coca-Cola ou encore la boîte de soupe Campbell… C’est dans cette liste de courses qui submerge le marché yankee que l’artiste va puiser, dans un art du recyclage compulsif, mêlant avec le plus grand naturel les effigies de Marilyn et les portraits de Mao Zedong, des images de chaises électriques, des fleurs, une émeute raciale, le sourire de Mickey Mouse… À la même époque, Jasper Johns peint des drapeaux américains, Roy Lichtenstein reproduit inlassablement des planches de BD, Claes Oldenburg réalise des hamburgers géants…
La tendance est à l’excès. Comme souvent, la réaction ne se fait pas attendre. Elle prendra pour nom « Minimalisme », avec un credo réduit à l’essentiel : le dépouillement formel. Cela donne, en pratique, les Wall drawings de Sol LeWitt (une série initiée en 1968), les monochromes noirs d’Ad Reinhardt, les Shaped canvas aux formes libres de Frank Stella… Notons que le Minimal Art couvre aussi le champ de la sculpture contemporaine, avec Carl Andre, Donald Judd, Richard Serra ou Dan Flavin, grand maître du tube fluorescent. Les années passent, les styles se succèdent, balançant de l’art conceptuel au néo-expressionnisme. Et puis, tout s’accélère.
Keith Haring et Jean-Michel Basquiat
C’est encore une fois autour d’Andy Warhol que la nouvelle vague arty se cristallise, et plus précisément dans son atelier, la Factory, alors situé au 33 Union Square West. C’est là qu’au début des années 1980 se croisent Keith Haring et Jean-Michel Basquiat. New York, à l’époque, est un volcan au bord duquel dansent les génies foudroyés. Haring signe sa première exposition personnelle en 1982 chez Tony Shafrazi, à SoHo, fréquente assidûment le Club 57 et crée Radiant Baby, son pictogramme le plus diffusé dans le monde. C’est l’âge d’or du graffiti new-yorkais, sauvage ou abstrait, hardcore et poétique…
La pratique urbaine du tag se transforme peu à peu. Kenny Scharf, Rammellzee, Crash et Dondi White, ou encore Seen, comptent aujourd’hui parmi les street artistes de légende. Une place à part doit être faite à Jean-Michel Basquiat, étoile filante de la scène culturelle new-yorkaise. Son histoire commence en décembre 1960, à Brooklyn. Né d’un père haïtien et d’une mère portoricaine, Basquiat démarre sa carrière de peintre en pleine culture underground. Ce sont tout d’abord des graffitis à la bombe, tagués dans la rue ou sur les rames du métro. À cette époque, l’artiste signe « Samo », un raccourci désabusé pour « SAMe Old shit ». Et puis, tout à coup, sa notoriété explose. Basquiat s’affiche dès 1982 sur les murs de la galerie Bischofberger, puis chez Larry Gagosian, Mary Boone, Michael Werner… Comète incandescente de ce qu’on appellera le Bad Painting (une peinture faussement négligée, mais véritablement subversive), Basquiat sera définitivement consacré en février 1985, à la une du New York Times. Il meurt d’une overdose trois années plus tard, à l’âge de 27 ans, laissant une œuvre de plus de 800 tableaux et 1 500 dessins, le tout brossé dans un style néo-expressionniste d’une rare puissance.
La photographie contemporaine à New York
Vivian Maier (1926-2009), Robert Frank (1924-2019), Joel Meyerowitz (1938)… Tous ont photographié New York avec passion, chacun dans leur style et suivant leur histoire personnelle. On retient particulièrement le New York post-apocalyptique des attentats du 11 septembre 2001 de Meyerowitz où il saisit toute l’ampleur du drame qu’il observe, traumatisé. Et puis l'incroyable gloire posthume de la street photographer Vivian Mayer qui fait l'objet d'expositions dans le monde entier.
Impossible également de ne pas évoquer Helen Levitt (née à New York en 1913 et décédée dans la même ville en 2009), la Doisneau new-yorkaise, qui fut l’objet de l’exposition phare des Rencontres d’Arles en 2019. Autodidacte, et influencée par des photographes comme Walker Evans et Henri Cartier-Bresson, elle photographie les quartiers défavorisés de New York (Harlem, Brooklyn, Lower East Side) à partir des années 1930. Son thème de prédilection est celui de l’enfance, dont elle capture tous les instants.
Enfin, Cindy Sherman (1954) est aujourd’hui, sans doute, la mieux implantée dans le milieu de l’art contemporain et de la photographie. Elle vit et travaille à New York et elle a consacré sa vie entière à se mettre en scène, d’abord en noir et blanc puis en couleur, et continue son travail acharné autour de sa propre féminité. Allant du romantisme au grotesque le plus outré, elle fait partie de ces grands photographes new-yorkais qui ont su situer leur travail aux frontières de plusieurs arts tels que la peinture, le cinéma ou la mode. Ses photographies se réinventent au fil des années, sans jamais se répéter. Sa dernière série fait référence aux années 1920, l’entre-deux-guerres des années folles et leur transposition aux États-Unis.