Les musique et danse traditionnelles
Dubrovnik et l’ensemble de la région dalmate ont su préserver parfaitement leurs (nombreuses) traditions musicales et chorégraphiques. Ainsi, même hors des fêtes religieuses, il est tout sauf rare de croiser, ici ou là, un costume folklorique, notamment dans la région du Konavle, dans les environs de Cavtat ou du village de Čilipi. Dans ce dernier cas, le folklore est, de notoriété publique, omniprésent. Le village en a fait son attraction principale, emmenée par l’association Čilipi Folklor qui chaque dimanche, d’avril à novembre, propose un spectacle synthétisant parfaitement toute la tradition locale. On y entend évidemment les klapa, trésor régional source de grande fierté dans toute la Dalmatie. Les klapa sont des chants polyphoniques datant possiblement du XIXe siècle, entonnés, à l’origine, uniquement par des hommes en chœur de cinq à huit avec généralement deux ténors, un baryton et une basse. Cela étant dit, on voit de plus en plus de formations mixtes s’assembler, voire purement féminines comme Klapa Galluna. Les textes abordent l’amour, le vin, la patrie (un programme complet), mais peuvent aussi être satiriques. Si les klapas s’exécutent traditionnellement a cappella, ils sont désormais parfois accompagnés de guitare ou de mandoline. Un héritage en perpétuel mouvement que la jeune génération s’est approprié à sa manière en le mariant à des esthétiques plus modernes comme le rock ou la pop.
Écouter du klapa en Dalmatie est chose aisée. La tradition court les rues et il n’est pas rare de voir quelques anciens pousser la chansonnette a cappella à la terrasse d’un café après quelques verres ! Sinon, la région, et en particulier Dubrovnik, compte quelques ensembles célèbres comme Klapa Maestral ou Klapa Ragusa qui se produisent régulièrement dans les environs, notamment au festival Dalmatinskih Klapa de la ville d’Omiš, le plus important de la discipline. Dubrovnik possède également son festival de klapa, Aklapela, se tenant généralement fin avril, tout comme la ville de Cavtat qui accueille chaque premier week-end de septembre Na Me Pogled Tvoj Obrati, son rassemblement d’ensemble de klapa.
Autre grande tradition locale, le linđo est la danse la plus populaire de la région côtière de Dubrovnik et se danse de la même manière depuis plus de deux cents ans. Tandis qu’un musicien joue de la lijerica – l’instrument par excellence de la région, sorte de violon dalmate à trois cordes que l’on pose sur un genou –, les danseurs se déplacent en cercle autour de lui, ce dernier donnant des ordres (rimés, souvent drôles). Il décide également qui danse avec qui et dicte les pas tout en encourageant les danseurs.
La tradition du linđo est maintenue en vie par l'ensemble folklorique Lindjo de Dubrovnik, ainsi que par le Folklorni Asambl Linđo. Ce dernier ensemble a été fondé en 1964 et se produit dans le somptueux cadre du complexe Lazareti.
Plutôt issu de l’arrière-pays dalmate, citons tout de même cette curiosité qu’est le nijemo kolo, ronde silencieuse, sans accompagnement musical – hormis quelques intermèdes en début ou conclusion de danse –, que l’on pratique les jours de fêtes, mariages, carnavals etc. Rythmée par le bruit sourd des pas, cette danse accueille tout le monde, homme comme femme, dans la limite d’une vingtaine de danseurs. Pilier de l’identité de nombreux villages, le nijemo kolo a été inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2011.
Intégré un an plus tôt, en 2010, sur la même liste, le chant ojkanje est un autre des trésors de la région. Pratiqué dans l'arrière-pays dalmate des Alpes dinariques, ce chant à deux voix est exécuté par deux ou plusieurs interprètes, hommes ou femmes, en utilisant une technique de trémolo particulière. Le chant dure aussi longtemps que son interprète principal parvient à retenir son souffle. Bien que cette pratique se maintienne génération après génération, certaines variantes ont disparu avec le temps, comme le remarque l’Unesco sur son site : « Les conflits récents et l’exode rural vers les villes qui ont réduit la population de la région, ainsi que l’évolution des modes de vie, ont entraîné une brusque diminution du nombre d’interprètes, ce qui a entraîné la disparition de beaucoup de genres et styles archaïques de chant solo. »
Deuxième foyer du folklore local, l’île de Korčula perpétue fièrement ses danses martiales : la moreška (danse de l’épée de la ville de Korčula), la kumpanija (une autre danse de l’épée, celle-ci provenant de Blato, Vela Luka et Pupnat) et la moštra (à Žrnovo). Dans le premier cas, il s’agit d’un spectacle représentant le combat contre les Maures – une tradition que l’on retrouve sur diverses îles de la Méditerranée –, dans les deux autres cas, ils s’agit de danses autochtones, accompagnées de mišnice, la cornemuse locale. Quoi qu’il en soit, les pas sont exécutés par des hommes, virtuoses du sabre. Des représentations ont lieu dans les villages concernés le jour de la fête du saint patron.
Les instruments traditionnels
Hormis la lijerica mentionnée plus haut, la région compte quelques autres instruments typiques comme la tambura. Cet instrument à cordes d’origine turque est d’ailleurs populaire dans le tout le pays et parmi la diaspora croate. À Osijek, en Slavonie, un festival annuel lui est même dédié. Répandue dans toutes les Alpes dinariques, la gusle est également un instrument prisé des Dalmates. Cet instrument monocorde à corde frottée est souvent utilisé pour accompagner de la poésie épique, contant des événements historiques ou patriotiques importants et célébrant des héros de guerre. Mile Krajina est le poète folklorique et joueur de gusle culte de Croatie. Dernier instrument répandu en Dalmatie, la diple est une sorte de cornemuse connaissant diverses variations selon les régions ou les pays : Istrie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, etc.
Quelques occasions de se frotter au folklore de Dalmatie : le carnaval de Dubrovnik (Dubrovački Karneval) qui mérite amplement le détour, la fête de la Saint-Blaise dans la même ville le 3 février, ou encore Konavle, Glazba & Riječ (festival « La musique et le mot ») dans les villages du Konavle et à Cavtat, comprenant son lot de concerts de klapas et de représentations théâtrales.
La musique classique
La Croatie n’a pas apporté une contribution notable dans le domaine de la musique classique mondiale. Cela dit, quelques noms sont intéressants à noter, à commencer par Vatroslav Lisinski (1819-1854). Considéré comme le fondateur de la musique nationaliste croate, il a composé le premier opéra national Ljubav i Zloba (Amour et malice) et fut un des piliers de l'illyrisme, mouvement qui visait à créer une unité parmi les populations slaves méridionales face à la domination austro-hongroise. Citons également Ivan Zajc (1832-1914), compositeur et chef d’orchestre, considéré comme le Verdi croate et dont le travail et les réformes entreprises ont largement participé à la revitalisation de la musique classique dans le pays. Originaires de Dalmatie, Josip Hatze (1879-1959) est l'auteur de la première messe et de la première cantate en langue croate tandis que Blagoje Bersa (1873-1934), originaire de Dubrovnik, fut une des figures centrales de la vie musicale croate au tournant du XXe siècle et une influence remarquable sur les compositeurs nationaux via son esthétique romantique renouvelée d’éléments stylistiques plus modernes. Très prolifique, il a composé des symphonies, des opéras ainsi que de la musique de chambre et pour piano. Pêle-mêle, pour compléter cette famille des grands noms de la musique savante croate, citons également Josip Štolcer Slavenski (1896-1955), dont l’influence folklorique l’approche d’un Bartók ou d’un Kodály, le grand avant-gardiste Ivo Malec (1925-2019), bien connu en France pour son travail au sein du Groupe de recherches musicales, et enfin Pavle Dešpalj (1934-2021), chef d’orchestre qui fut invité à diriger de nombreuses formations prestigieuses dans le monde et fut chef honoraire du Dubrovnik Symphony Orchestra et directeur du fameux Festival d’été de Dubrovnik (Dubrovacke Ljetne Igre), un des rendez-vous les plus prestigieux et anciens du pays conviant musique classique, danse et théâtre dans les lieux historiques de la vieille ville. Parmi les autres rendez-vous notables de la région, les festivals Ana dans la ville (Ana U Gradu) célébrant la virtuosité de la violoncelliste Ana Rucner, le Festival de musique baroque de Korkyra (Korkyra Baroque Festival) à Korčula, organisé dans la cathédrale Saint-Marc, les églises Saint-Nicolas et celle de Tous-les-Saints ainsi que le Festival d’Épidaure (Epidaurus Festival) de Cavtat sont à surveiller de près par les mélomanes.