« La connaissance parle, la sagesse écoute »
Un street artiste incontournable à Athènes est WD, alias Wild Drawing, qui marque le paysage urbain de la capitale dès ses premières créations en 2013. Originaire de Bali, il se fait connaître du grand public en 2015, grâce à son œuvre murale représentant une chouette au croisement des rues Samou et Konstantinou Palaiologou, en plein cœur de Metaxourgeio. WD démontre par sa chouette que l’art peut fleurir en dépit de tout. En effet, le pays est alors sérieusement touché par la crise économique et commence tout juste à se remettre d’une période tragique pour envisager un avenir moins morose. En plein milieu de ce quartier délaissé du centre d’Athènes, l’artiste choisit les murs d’un bâtiment appartenant à deux institutions culturelles pour nous rappeler qu’il faut toujours garder un regard perspicace et profond, même en plein milieu de la nuit la plus noire. La chouette, symbole éternel d’Athènes, devient ici une métaphore pour exprimer la situation contemporaine du pays. La portée de cette fresque dépasse rapidement les frontières de la capitale grecque et devient virale dans le monde entier. Après ce succès, WD reste fidèle à ses principes créatifs et continue de produire des œuvres à forts messages sociaux et politiques. Il choisit la façade d’un immeuble délabré d’Exarcheia, au croisement des rues Méthonis et Arachovis, pour son œuvre emblématique No land for the Poor afin de rendre hommage aux sans-abri de Grèce et d’ailleurs. L’espace public d’Athènes est ainsi révélé aux yeux du monde, véritable galerie d’art aux mille œuvres parfois méconnues, qui restent à découvrir.
Depuis la mise en lumière de WD, plusieurs street artistes aussi bien étrangers que grecs se sont emparés des murs, des stores, des façades des vieux quartiers renaissants et en pleine effervescence autour du centre historique de la ville. Ils y laissent œuvres et signatures en couleur partout où l’espace public le permet, transformant les rues d’Athènes en gigantesque exposition urbaine. A Metaxourgeio, au 2 rue Megalou Alexandrou, laissez-vous surprendre par la subtilité d’une peinture murale signée SimpleG, représentant une jeune femme en train de lire et s’appuyant contre une petite table avec une pile de livres derrière elle. Le titre de l’œuvre est éloquent : So many Books, so little Time. SimpleG, participant au projet de réhabilitation de ce quartier livré pendant des années à la prostitution, a voulu réhabiliter l’image de la femme tout en jetant un regard critique sur notre époque où les rythmes effrénés éloignent les gens des émotions profondes, suscitées notamment par la lecture.Les hot spots de street art
Gazi et Kerameikos, les deux quartiers limitrophes du centre historique d’Athènes, sont devenus le canevas préféré des artistes de street art ces dernières années. Parmi eux, INO, le plus reconnu des artistes grecs, doit sa renommée internationale à son style particulier et son talent unique qu’il exprime sur des fresques grand format depuis le début des années 2000. On le retrouve sur les surfaces les plus inattendues de la ville et de nombreuses œuvres portent sa marque de fabrique, à savoir des visages cachés par un masque à gaz. Devenu très connu au fil des ans, il a décidé de garder précieusement cachés les traits de son identité et de son visage, comme pendant la période de ses débuts, lorsqu’il sillonnait la ville en douce, une fois la nuit tombée. Les messages muraux portés par INO s’intéressent à la situation sociale et politique du pays mais aussi à des sujets d’intérêt international, comme la paix, la télésurveillance des citoyens, la cruauté du capitalisme… Sa fresque murale The Last Supper (2019), longue de 90 mètres, transforme les murs de l’ancien dépôt de bus situé sur la rue Piraios, à Gazi. Elle représente une parodie de La Cène : 11 personnages sans visages dévorent des billets d’argent alors qu’à la place du Christ, on distingue le Parthénon… La composition est complétée par des mains qui tentent désespérément d’approcher ce dîner. Inspiré par Léonard de Vinci, INO fait précéder sa Cène captivante par les non moins captivants et allégoriques yeux de La Joconde…
L’autre quartier du centre d’Athènes qui rime avec graffitis et street art est celui de Psirri. On y admire, entre autres, l’œuvre Apocalypse Now d’INO, des œuvres des Grecs Taxis ou Vasmoulalis (place Iroon), Hope dies Last de WD (située au 9 rue Katsikogianni), ou encore All Dogs go to Heaven de Billy Gee, Alex Martinez et N. Grams (située au 2 rue R. Palamidou), dédiée au chien errant dit Loukanikos qui protégeait les manifestants pendant les émeutes produites par la crise, jusqu’à sa mort en 2014. Pour la petite histoire, ce chien avait été nommé personnalité de l’année par Time Magazine en 2011...
Le quartier mouvementé d’Exarcheia offre volontiers et par principe ses coins de rues aux artistes de street art. Ici, le canevas est souvent recyclé et l’éphémère des tags et des graffitis n’enlève rien à la qualité de certaines œuvres. Ainsi, les grandes créations murales d’artistes reconnus font partie intégrante du paysage : sur la rue Navarinou, à côté du parc géré par les habitants du quartier, l’artiste italien Blu signe une création pleine de couleurs évoquant les valeurs de la solidarité sociale, de la lutte collective et de l’autogestion. Ailleurs, on retrouve les figures féminines de Sonke un peu partout dans le quartier.
Enfin, les artistes ne se limitent pas aux quartiers centraux d’Athènes : les étudiants des Beaux-Arts laissent leurs signatures tout au long de la rue Piraios, l’axe central qui relie la capitale au port du Pirée, sans oublier la galerie permanente qu’est devenu le campus de l’École Polytechnique dans le quartier de Zografou… Malgré quelques regards parfois suspicieux voire hostiles concernant les graffitis, Athènes s’appuie aujourd’hui sur le talent des street artistes afin de repenser ses relations avec les habitants et les visiteurs.