Découvrez BUDAPEST : A l'écran (Cinéma / TV)

On a tendance à l’oublier mais la contribution de la Hongrie au cinéma mondial est majeure. Mihály Kertész, Sándor László Kellner, László Löwenstein, Béla Ferenc Dezső Blaskó sont des noms qui n’évoquent rien au grand public, contrairement à Michael Curtiz, Alexander Korda, Peter Lorre et Béla Lugosi, ceux qu’ils se sont choisis en entamant une carrière à Hollywood et ailleurs. Ces tours de passe-passe n’ont rien d’étonnant au pays d’Houdini, le roi de l’évasion. Cependant, l’importance du cinéma hongrois ne se résume pas à cette fuite des talents : il a toujours fait preuve d’un raffinement sans pareil, à l’image de Budapest, dont la magnificence baroque jure quelque peu avec l’âpreté et la pauvreté des campagnes alentour. Aujourd’hui, la ville, d’une splendeur intacte, attire, entre autres, un tourisme particulier, celui des jeunes gens venus y enterrer leur vie de garçon, ce qui a inspiré plusieurs comédies plus ou moins grivoises.

Un écrin de choix

La Hongrie s’est entichée d’emblée de l’invention des frères Lumière, qui lui fut présentée dès 1896. Projections dans les cafés dont la ville abonde, ouvertures en pagaille de cinémas et de studios témoignent de l’attrait exercé par le cinéma. Si la guerre met provisoirement un terme à cet élan, la perle du Danube représente alors à l’époque une sorte de nec plus ultra de sophistication de l’Europe centrale et inspire des cinéastes du monde entier. Le premier film allemand parlant y est tourné, Mélodie du cœur (Hanns Schwarz, 1929), mélodrame ayant pour héroïne une jeune fille de la campagne partie tenter sa chance dans la capitale hongroise. Reconstituée en studio pour Rendez-vous (Ernst Lubitsch, 1940), adapté d’une pièce hongroise ou non, elle sert de décor à l’un des classiques de la comédie hollywoodienne. Citons aussi des ambassadeurs célèbres : Béla Lugosi, qui offre une interprétation mythique à Dracula, avant que Michael Curtiz ne signe l’un des plus grands classiques de l’histoire du cinéma, Casablanca (1941). Au pays, contexte défavorable oblige, la production n’est plus celle des débuts mais les comédies s’enchaînent comme des perles, comme le délicieux Hippolyte, le valet (István Székely, 1931), qui est aussi le deuxième film hongrois parlant. Paradoxalement, celle-ci reprend du poil de la bête pendant la guerre pour atteindre le record de 54 sorties en 1942. Parmi elles, un film demeuré célèbre, Les Hommes de la montagne (István Szőts, 1942), épopée pastorale splendide tournée dans les montagnes de Transylvanie.

Riches heures

En 1948, le cinéma est nationalisé : obéir aux canons du réalisme socialiste en vigueur devient fortement recommandé. Quelques films tiennent lieu d’exceptions, tel Le Professeur HannibaI (Zoltán Fábri, 1956), qui traite avec subtilité de la dictature Horty. Sa sortie coïncide avec l’insurrection de Budapest qui a entraîné une répression sévère, dans la culture comme ailleurs. Évasion des talents encore : László Kovács et Vilmos Zsigmond prennent alors la fuite. Au début des années 1970, ils feront partie des directeurs de la photo les plus prisés à Hollywood. Le studio Béla Balázs, fondé en 1959, regroupe des réalisateurs d’avant-garde comme Miklós Jancsó qui, après avoir fait leurs études à Budapest, s’en tiennent à distance, loin peut-être de la surveillance du régime. L’œuvre de Jancsó, reconnaissable à sa prédilection pour les longs plans-séquences soigneusement composés, annonce celle de Béla Tarr. Père (István Szabó, 1966) raconte l’histoire d’un garçon qui a perdu son père dont il fantasme d’imaginaires exploits héroïques dans le Budapest de l’après-guerre. Un film d'amour (1970) du même auteur creuse ces réminiscences, en se penchant cette fois sur de jeunes adultes et leurs atermoiements sentimentaux. Autre grand innovateur, Karol Makk, qui signe Amour (1971) : sorte de film de chambre, il aborde pourtant de plein front les désillusions traînées derrière lui par le régime communiste. Szindbád (Zoltán Huszárik, 1971) est la quintessence, jusqu’à l’excès, de ce que le cinéma hongrois peut produire de raffiné et de capiteux. C’est ce cinéma moderniste qui s’est le mieux exporté, alors que le cinéma populaire et les films de genre connaissaient un similaire regain de fortune. Inventivité, singularité, ambition vont sans faiblir au cours des années 1970 en même temps qu’un courant documentaire émerge. Budapest ballade (Jeles András, 1979) et Journal à mes enfants (Márta Mészáros, 1984), premier volet d’une trilogie, n’en sont que quelques exemples. Avec Mephisto (1981) adapté du roman éponyme de Klaus Mann, István Szabó remporte l’oscar du meilleur film étranger. Le Temps suspendu (Péter Gothár, 1982), qui adopte ce regard rétrospectif si caractéristique du cinéma hongrois de l’ère soviétique, est encore l’occasion d’évoquer les rêves –  éternellement – déçus de la jeunesse. Une veine fantasmagorique et lyrique marbre les films les plus marquants de la fin de l’ère communiste tels Un conte de fées hongrois (Gyula Gazdag, 1987) et Mon XXe siècle (Ildikó Enyedi, 1989) qui débute dans le Budapest de la fin du XIXe siècle, énième réussite visuelle – en noir et blanc – qui mérite une redécouverte expresse.

Héritages

Paradoxalement ou non, la transition libérale marque un coup d’arrêt pour l’industrie cinématographique dont l’État n’assure plus le financement. Béla Tarr devient l’une des coqueluches du cinéma d’auteur. Dans son film fleuve de 14 heures Le Tango de Satan (1994), comme dans Damnation (1988) ou Les Harmonies de Werckmeister (2000), il dépeint un monde rural et apocalyptique au fil de longs plans-séquences. Comme un peu d'Amérique (Gábor Herendi, 2002), comédie générationnelle culte des années 2000, jure par sa légèreté avec ce que l’on connaît ordinairement du cinéma hongrois. À l’international en effet, celui-ci continue de se singulariser par une sorte de démesure baroque, un goût pour l’expérimentation et la virtuosité technique. C’est Taxidermia (György Pálfi, 2003), à l’inspiration extravagante, ne reculant devant aucune outrance. C’est le cinéma de Kornél Mondruczkó qui ose un opéra contemporain (Johanna, 2005), un conte dystopique auquel une horde de chiens en chair et en os offre des visions saisissantes (White God, 2014), ou encore un film de super-héros d’auteur qui évoque la crise migratoire, Jupiter's Moon (2017). C’est aussi le choc provoqué par l’immersion dans un camp d’extermination avec Le Fils de Saul de László Nemes (qui est le fils d’András Jeles), avant Sunset (2018) sur la fin de l’Empire austro-hongrois. Nimrod Antal, qui avait obtenu son sésame pour Hollywood avec Kontroll (2003), plongée dans le monde souterrain des contrôleurs de métro, fait dans le cinéma populaire de qualité, ainsi que l’a prouvé récemment son retour au pays avec Whisky Bandit (2017), inspiré de la trajectoire rocambolesque d’un braqueur célèbre. Comme sa voisine pragoise, Budapest attire depuis un moment les productions étrangères, hollywoodiennes surtout, venues profiter de tarifs avantageux et de son foisonnement architectural, à même de figurer d’autres villes européennes. Woody Allen avait fait figure de pionnier en venant tourner dans l’Opéra de Budapest en 1975 sa parodie de Tolstoï, Guerre et Amour.  Sous l’impulsion d’un nouveau Fonds national du cinéma, la production connaît un boom ces dernières années avec la multiplication des crowd pleasers, succès populaires. Budapest joue un rôle de premier choix dans les comédies légèrement décalées de Gábor Reisz, Pour des raisons inexplicables (2014) puis Bad Poems (2018).

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