Découvrez VENISE : Musiques et Scènes (Danse / Théâtre)

Voir Venise et mourir… Ou plutôt voir Venise avant qu’elle ne meure. On évoque régulièrement la disparition de la Sérénissime sous les eaux, moins souvent la disparition de ses habitants. Devenue musée à ciel ouvert, les boutiques de souvenirs ont remplacé les boulangeries, les crèches et la plupart des commerces de proximité. Pourquoi aborder cette dévitalisation de la cité lacustre ici ? Parce que forcément, avec peu ou pas de Vénitiens, il y a peu ou pas de musiques actuelles (hormis durant la Biennale). Venise, dans sa musique, comme pour les autres domaines, valorise essentiellement l’aspect patrimonial. Et quel fantastique patrimoine ! Ville de Monteverdi, de Vivaldi, de l’invincible théâtre la Fenice, Venise est habitée par le classique et l’opéra qu’elle abrite et présente chaque jour sur ses scènes magnifiques, dans ses églises, ses palais… Désertée par ses habitants, elle n’a pas été vidée de son âme - impossible ! - et l’on se doit d’écouter Venise autant que de la voir. En somme : entendre Venise et mourir…

La musique classique

Comme en peinture, il y a aussi eu une école vénitienne en musique. Dès le début du XVIe siècle, Venise devient une ville majeure de la vie musicale européenne, prenant la suite de Rome dont l’attractivité pour les artistes décline après le sac en 1527. Ville prospère, pilotée par un gouvernement stable, Venise devient rapidement un pôle important pour l’édition de partitions musicales. Les compositeurs affluent de toute l'Europe pour bénéficier de cette innovation et particulièrement de Flandre. Ce qui explique pourquoi les premiers représentants de cette école vénitienne sont des Flamands, Jacques Buus et surtout Adrian Willaert, qui a importé à Venise le style polyphonique de l'école franco-flamande. Mais c’est avec un Italien que l’école vénitienne atteint un premier point d’orgue : Claudio Monteverdi (1567-1643). Fils aîné d’un médecin cultivé et mélomane, Monteverdi naît à Crémone, alors propriété du duché de Milan. En 1590, il arrive à la cour de Mantoue où il est nommé à la tête du petit groupe de musiciens devant accompagner Vincent de Gonzague en campagne contre les Turcs. Il entreprend la composition d’Orphée - considéré comme l'un des premiers opéras - afin de satisfaire le duc. En 1612, Vincent de Gonzague meurt et son fils François, qui lui succède, congédie Claudio Monteverdi ainsi que son frère. Ayant, sans succès, tenté sa chance à Milan, le compositeur se présente à Venise où la mort du maître de la chapelle Saint-Marc laisse un poste vacant. Il sera admis sur épreuve en 1613. Son autorité musicale déborde bientôt le cadre de ses obligations à Saint-Marc et d’illustres familles vénitiennes se disputent l’honneur d’obtenir une composition du maître. Au début de l’année 1643, « le musicien le plus célèbre du siècle » demande à être relevé de ses fonctions à Saint-Marc. C’est à Venise qu’il s’éteint en 1643. Ses funérailles à la Basilica Santa Maria Gloriosa Dei Frari furent celles d’un prince.

Trois décennies plus tard naît à Venise un de ses plus illustres habitants, prodige du violon et compositeur admiré de la période baroque : Antonio Vivaldi (1678-1742). Aîné d’une famille de sept enfants, Antonio Vivaldi est le fils d’un excellent violoniste attaché à la basilique Saint-Marc à Venise. Ordonné prêtre à 29 ans, Vivaldi, dont la santé est fragile, est bientôt dispensé de ses devoirs d’ecclésiastique. Il se voit donc confier les fonctions de professeur de musique à l’hospice de la Pietà. Vivaldi compose énormément pour l’orchestre de l’hospice, encouragé par le très bon niveau de ses élèves. Aujourd’hui, on retrouve à la place de l’ancien hospice la Chiesa della Pietà, dite aussi église d’Antonio Vivaldi. Elle se situe dans le sestiere Castello, non loin de la place Saint-Marc. Ce lieu est très symbolique dans l’histoire de la musique vénitienne, car c’est ici qu’il a composé ses premières œuvres musicales. Trois ans plus tard, il prend en charge le théâtre de San Angelo de Venise dont il devient le directeur en 1714. C'est une activité très prenante : Vivaldi signe les contrats, règle les conflits, résout les situations, planifie les tournées et, surtout, met en scène ses propres opéras. En 1723, il se rend à Rome où, pendant un an et demi, il fait représenter trois opéras et joue devant le pape. Sa gloire est internationale et le monde entier sollicite le musicien. Vivaldi joue ses œuvres, dont les célébrissimes Quatre Saisons, chez l’ambassadeur de France, écrit une cantate pour célébrer le mariage de Louis XV. Mais, à l’automne 1740, il fait ses adieux à la Pietà et quitte Venise. Personne ne connaît sa destination. Un an plus tard, pauvre et déjà complètement oublié, il meurt à Vienne.

Contemporain de Vivaldi mais resté dans son ombre, Tomaso Albinoni est l’autre grand compositeur vénitien du baroque italien.

La musique contemporaine

Chez les contemporains, la Sérénissime a aussi enfanté un grand nom : Luigi Nono (1924-1990). À la pointe de la musique nouvelle, le compositeur a traversé le sérialisme, la musique aléatoire, la musique concrète ou électronique sans jamais se rendre prisonnier d’un style. Ses partitions le font apparaître comme un créateur puissant, profondément humain et chaleureux. Refusant les circuits de diffusion officiels, le compositeur ne participe pas à la Biennale de Venise. Il consacre alors une grande partie de son activité créatrice à la musique électro-acoustique facilement transportable sur bande magnétique dans la rue ou dans les usines avec notamment Un volto del mare pour deux voix (1968). En 1955, il épouse la fille de Schoenberg, Nuria, avec qui il eut deux enfants. Son œuvre Il Canto Sospeso marque un tournant esthétique et idéologique et, en 1960, la création de son opéra en deux actes Intolleranza 60, sur des textes de Brecht, d’Eluard, de Sartre et de Maïakovski, s’inscrit en protestation contre les politiques impérialistes et les iniquités sociales. Luigi Nono se veut témoin à charge d’une société corrompue, injuste et destructrice. Moins engagé et surtout moins connu aujourd’hui, le Vénitien Ermanno Wolf-Ferrari était un des compositeurs italiens les plus joués dans le monde avant la Première Guerre mondiale. Il est intéressant d’écouter son opéra-comique en trois actes I quatro rusteghi (« Les Quatre Rustres ») basé sur la pièce du XVIIIe siècle de Carlo Goldoni, car il est écrit en dialecte vénitien. Impossible aussi de ne pas citer Giuseppe Sinopoli, grand nom de la direction d’orchestre qui travailla avec tous les orchestres les plus prestigieux : Deutsche Oper, Scala, Royal Opera de Londres, Philharmonic Metropolitan… Giuseppe Sinopoli décède sur scène en 2001, terrassé par une crise cardiaque pendant le troisième acte d'Aida au Deutsche Oper de Berlin.

La Venise d’aujourd’hui a conservé toute son aura musicale. On y trouve cette même inspiration, ce même souffle vivant propice à la création et il est toujours dommage de quitter la ville sans avoir assisté à un concert de musique baroque. L’endroit ultime pour une représentation - on s’en doute - est le théâtre La Fenice... Cette scène, une des plus prestigieuses au monde, est l’emblème du faste de la musique lyrique vénitienne. Après huit ans de travaux suite au terrible incendie de 1996, La Fenice renaît de ses cendres et ouvre de nouveau ses portes. La salle fut reconstruite à l’identique, grâce à un travail de restauration somptueux, mené avec finesse. Au total : 174 loges, 1 100 places, et une salle ovale grandiose d’une élégance rare où l’or et le rouge s’épousent radieusement, dans la pure tradition baroque du XVIIIe siècle. Bien sûr, le théâtre La Fenice est célèbre pour sa Divina, dont les portraits ornent encore les murs... Maria Callas entretenait avec La Fenice un lien singulier. En 1947, elle y fait ses débuts de jeune diva, et à seulement 24 ans son interprétation de Tristan et Isolde de Richard Wagner lui ouvre les portes du succès. Avis aux mélomanes, La Fenice est un lieu mythique et assister à une représentation ici laisse un souvenir inoubliable. Piloté par la même direction que La Fenice, le Teatro Malibran est un des plus anciens théâtres de la Sérénissime (inauguré en 1678). En 1996, il devint le théâtre des Vénitiens dans l’attente de la réouverture de La Fenice. Il conserve de remarquables décorations d’époque et accueille aujourd’hui des concerts de musique classique et des pièces de théâtre. Somptueuse toujours, la Scuola Grande Di San Giovanni Evangelista promet quelques syndromes de Stendhal à quiconque viendrait y écouter La Traviata de Verdi, La Tosca de Puccini ou Le Barbier de Séville de Rossini. Un cadre sublime où l’on croise des œuvres de Carpaccio, Bellini ou Titien. Aussi, à quelques pas de la basilique des Frari, on trouve ce petit bijou d’architecture qu’est le Palazzetto Bru Zane. Autrefois petit salon de plaisir et de loisirs, il accueille aujourd’hui le Centre de Musique Romantique Française, voué à la promotion d’un répertoire musical allant de 1780 à 1920, aussi original que méconnu. Généralement la promesse d’une belle soirée dans un cadre unique.

La musique populaire

Depuis l’après-guerre, la musique populaire italienne est une de celles qui a traversé nos frontières et bravé la barrière de la langue avec le plus d’aisance. Comme nous, les Italiens ont une variété et une pop très fournies et l’on peut entendre ses grandes voix (souvent cassées) n’importe où – les boutiques, les taxis, la rue - et n’importe quand. Parmi elles, citons les grands artistes des années de plomb, comme le fantastique crooner Paolo Conte, Adriano Celentano et les bases du rock italien, Lucio Battisti et son fameux tube italo-disco Ancora Tu (italo-disco qui sera d’ailleurs portée aux nues peu après par un certain Giorgio Moroder), la pop-rock des Zucchero ou Eros Ramazzotti dans les années 1980 puis la variété à voix des années 1990 incarnée (très différemment) par Laura Pausini et Andrea Bocelli.

Le théâtre et la danse

Lorsqu’en France on demande littérature italienne, on répond généralement Dino Buzzati et Dario Fo - ou plus récemment Elena Ferrante. Il y a pourtant un dramaturge vénitien dont le nom connaît une résonance particulière ici : Carlo Goldoni. Admirateur de Molière, il est le créateur de la comédie italienne moderne, imprégnant la commedia dell'arte de plus de réalisme et s’inspirant du quotidien. Critiqué voire moqué par le public et ses pairs pour son style, Carlo Goldoni est contraint de s’exiler à Paris en 1762 où il meurt trente plus tard (1793). Ironie du sort, son impact dans le théâtre italien fut tel qu’un lieu lui est dédié à Venise. Le Teatro Stabile Del Veneto - Carlo Goldoni est un petit théâtre « à l’italienne » (à quatre ordres de loges superposées) où sont représentés essentiellement ses pièces mais également quelques opéras lyriques, des concerts et des ballets. Notons aussi que pour tout amateur de théâtre contemporain parlant italien, le Teatro a l’Avogaria propose une programmation d’avant-garde dans un bel espace.

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