Histoire Histoire

Moderne, soviétique, impériale, Moscou a plusieurs personnalités. Elles peuvent paraître contradictoires et pourtant elles semblent s’accorder harmonieusement dans ses paysages. À la manière de son métro qui alterne d’une station à l’autre le baroque soviétique avec l’épuré des lignes de l’architecture dernier cri, ou bien du Kremlin qui met côte à côte les dômes orthodoxes et les étoiles communistes, la ville est celle des contrastes. On l’explique en général par la longue histoire de la cité, ses influences et ses héritages, mais cette vision n’est pas celle des Moscovites. Pour eux, Moscou est le centre du monde. De leur monde, du monde russe aujourd’hui, du monde traditionnel, slave et orthodoxe. Il y a là une vérité qui se retrouve dans le dynamisme et la démesure caractéristiques de la ville. Nous allons donc ensemble apercevoir cette vision moscovite (et subjective) de l’histoire russe.

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4000 AD-IXe siècle

La « Préhistoire »

Si une présence humaine dans la région remonte à l’ère paléolithique, quand le recul des glaciers a permis aux hommes de s’installer dans les plaines, l’historiographie moscovite ne commence qu’à partir des migrations slaves entre le VIe et le IXe siècle. Leurs tribus viennent du sud et du nord-est et s’assimilent aux populations finno-ougriennes autochtones.

862-1240

L’émergence et la disparition de la Rus’ de Kiev

En 862, est lancé « l’Appel des Varègues ». Le prince viking Riourk prend le pouvoir à Novgorod, y fonde le premier État slave et la dynastie des Riourikides. En 880, Oleg le Sage conquiert Kiev et en fait sa capitale. Les siècles suivants sont marqués par la conversion des Slaves à l’orthodoxie, mais aussi des querelles successorales et des interventions étrangères qui affaiblissement et morcellent la Rus’ en principautés rivales. En 1147, le prince Iouri Dolgorouki (dont une statue trône sur la Tverskaya) invite à séjourner à Moscou un autre prince : c’est la première mention du bourg dans les sources écrites. Désunis politiquement, les Slaves plient face aux invasions tataro-mongoles débutant en 1223 et deviennent tributaires de la Horde d’or pour 250 ans (1236-1480). En 1240, Kiev est rasée de la carte.

XIIIe-XVe siècles

L’ascension de Moscou

Un mouvement migratoire causé par l’invasion déplace le centre du monde slave vers le nord. En 1263, Daniil Aleksandrovich hérite d’une principauté nouvellement fondée, la Moscovie. Ses successeurs vont se démarquer par une politique intelligente d’alliance avec la Horde et de soutien de l’Église. Son fils, Ivan I Kalita transfère la capitale de la Moscovie à Moscou et y installe le métropolite orthodoxe Pierre. Il acquiert du khan de la Horde d’or le titre de Grand-Prince ainsi que le droit de le transmettre à son aîné. Le métropolite prophétise que si Ivan fait bâtir une église en l’honneur de l’Assomption, Moscou rassemblera autour d’elle toutes les terres russes. C’est chose faite en 1326, et l’église devient la première construction en pierre de Moscou. C’est ainsi que sous le règne d’Ivan III, entre 1462 et 1505, se forme un nouvel État héritier de la gloire de l’Empire romain d’Orient et indépendant de la tutelle mongole.

1530-1584

Ivan le Terrible

En 1547, Ivan IV le Terrible devient le premier tsar de toutes les Russies. En soumettant les Tatars de la Volga autour de Kazan et Astrakhan en 1552, il pose les bases d’un empire russe multiethnique. Sous son règne, Moscou est entièrement reconstruite après son incendie en 1571 et reçoit son Kremlin en pierres blanches et sa place Rouge.

1604-1613

Le «Temps des troubles»

À la mort de son fils Fédor Ier, la dynastie des Riourikides s’éteint. Pendant 9 ans, se succèdent à Moscou son beau-frère Boris Godounov, 4 faux Dimitri – des imposteurs se faisant passer pour le troisième fils décédé d’Ivan IV le Terrible –, une cabale de 7 boyards, une occupation polonaise et une insurrection populaire menée par Minine et Pojarski (dont la statue trône sur la place Rouge). Finalement, en 1613, le zemski sobor (Assemblée des nobles créée par Ivan IV), va choisir le tsar Mikhaïl Romanov qui fonde la seconde dynastie.

1712-1917

Moscou est délaissée au profit de la capitale impériale Petrograd.

1672-1725

Pierre le Grand

Voyant la Russie comme trop asiatique, Pierre le Grand se lance dans un voyage incognito en Europe et déclenche une grande réforme de l’empire qui va jusqu’à interdire aux nobles russes le port de la barbe ou leurs tenues traditionnelles. Obsédé par la marine, il fait la guerre à la Suède pendant 12 ans pour un accès à la Baltique et y fait construire Saint-Pétersbourg (Petrograd à l’époque) à partir de 1703 en lui donnant toutes les caractéristiques d’une capitale européenne.

1712

La cour et l’administration quittent définitivement Moscou. Elle devient alors le symbole de la Russie traditionnelle, siège du patriarcat et gardienne du rituel de succession impérial. Chaque empereur est lié à Moscou par son couronnement, pour le meilleur ou pour le pire, comme par exemple la tragédie de la bousculade de Khodynka en mai 1896 au couronnement du dernier empereur Nicolas II qui a fait près de 1 300 morts. La ville est également un centre d’art et de sciences : c’est à Moscou qu’est fondée la première université en 1755 (aujourd’hui MSU).

1729-1796

Catherine II

Catherine II, l’impératrice des Lumières, conquérante, réformatrice à la vie amoureuse palpitante, a pris le temps de visiter 200 villes et villages russes pour y imposer ses plans généraux. Les villes de l’Anneau d’Or et Moscou dans une moindre mesure y ont hérité leur schéma d’aujourd’hui.

1812

Après la prise de Moscou par Napoléon suite à la bataille décisive de Borodino, le général Koutouzov se résout à sacrifier la ville. Dans la nuit du 14 décembre 1812, des incendies sont déclenchés par des patriotes russes dans la ville occupée, la détruisant aux 9/10es.

1861-1917

Alexandre II « le Libérateur » bouscule les traditions en mettant fin au système du servage et en se lançant dans des réformes libérales. Alexandre II succombe en 1881 à une bombe lancée dans son carrosse par l’organisation Narodnaïa Volia (la volonté du Peuple). Après cet assassinat, il n’y a plus de place pour les idées libérales et l’Empire suit le slogan non officiel « autocratie, orthodoxie, nationalisme ». Le dernier des Romanov, Nicolas II, ignore les besoins de réformes du pays, qui culminent à l’épisode du dimanche sanglant le 9 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg. La révolution de 1905 l’oblige à installer un empire constitutionnel, mais la situation critique du front russe de la Première Guerre mondiale provoque une 2e révolution en février 1917. Cette fois, il est destitué. Un gouvernement provisoire, doublé officieusement par des Soviets (assemblées populaires), est mis en place avant d’être renversé à son tour par un coup d’État bolchevique dirigé par Vladimir Lénine pendant la nuit du 25 octobre : c’est la 3e et dernière révolution russe.

1918-1921

Guerre civile entre les Rouges et les Blancs

Lénine transfère la capitale dans la ville où les Soviets étaient le plus implantés, Moscou dès 1917. Les bolcheviks vont ensuite se concentrer à mettre fin à la Première Guerre mondiale en signant le traité de paix humiliant de Brest-Litovsk pour pouvoir se concentrer sur leur propre guerre l’intérieur contre « les Blancs ». C’est la période du communisme de guerre de Trotski, de la Terreur rouge, d’émigration massive et de fratricides sanglants.

1922

Fondation de l’URSS

La fondation de l’Union des républiques soviétiques et socialistes en 1922 est pleine de paradoxes. Alors qu’elle aspire à un idéal communiste, elle est fondée en parallèle de la Nouvelle Politique économique (1921-1923) de Lénine qui autorise l’existence limitée d’un droit de propriété et d’un secteur privé pour reconstruire le pays. Malade, Lénine est écarté du pouvoir en 1923, et la querelle de succession commence entre Trotski, Zinoviev, Kamenev et Staline.

1870-1924

Vladimir Lénine

Vladimir Lénine est la grande figure du socialisme russe. Ce révolutionnaire professionnel a passé la majeure partie de sa vie en exil, où il prépare sa doctrine dite marxiste-léniniste. Après la réussite de la révolution qu’il appelait de ses vœux, il en profite finalement assez peu. La plupart de son héritage est posthume : il figure sur toute l’iconographie soviétique, le métro lui est dédié et son mausolée trône sur la place Rouge (et fait encore peur aux Moscovites).

Les années 30

L’URSS de Staline

Les années trente sont celles d’un grand tournant vers le socialisme dans un seul pays, vers un régime totalitaire et vers un culte de la personnalité. Pour asseoir son pouvoir, Staline donne carte blanche à sa nouvelle police politique déclenchant la «Grande Purge», dont le symbole est celui des procès de Moscou : les opposants réels ou imaginaires du dirigeant sont tués ou envoyés dans les goulags. Staline renforce les contradictions de l’URSS avec son culte de la famille soviétique, qui provoque le retour d’une interdiction de l’avortement et de la pénalisation de l’homosexualité alors abolies par la Révolution. Pour citer le père des peuples à cette période : « À chaque fois que la Russie a été en retard, nous avons été battus. » Il décide de faire de la ville une vitrine du communisme. C’est ainsi qu’apparaît l’anneau des parcs d’exposition avec le Jardin botanique de Moscou, le parc Gorki de la Culture, le gigantesque VDNKh, etc. À la verticale, on note l’érection des « Sept Sœurs » : un ensemble de gratte-ciel monumentaux. Enfin, sont créés le métro moscovite et deux autoroutes. L’urbanisme soviétique s’attaque au centre historique : on retrouve le Palais des congrès et le fameux Bâtiment 14 qui abritait le Soviet suprême de l’Union des républiques socialistes soviétiques (détruit en 2014) dans l’enceinte de la forteresse du Kremlin.

22 juin 1941-9 mai 1945

La Grande Guerre patriotique

Le IIIe Reich lance son opération «Barbarossa», une attaque-surprise de l’URSS, malgré le pacte secret de Molotov-Ribbentrop. L’URSS n’était pas préparée et des millions de personnes meurent pour retenir les nazis. Les opérations «Typhon» et «Wotan» tentent de prendre la capitale et la résistance soviétique s’organise désespérément autour du maréchal Joukov. Le siège a lieu à moins de 50 km de la ville, qui souffrira sous le feu des bombardements et des pénuries. Un monument dans la ville de Khimki marque leur avancée maximale à 26 km du Kremlin. Le lendemain du traité de paix, Moscou devient la capitale du bloc de l’Est durant la guerre froide.

1947-1991

La guerre froide

Ayant noblement participé à la course à l’armement nucléaire, avec ses successions de crises (Berlin, Cuba, et Budapest), Moscou s’essouffle dans les pénuries de commodités et de nourriture, le mal-logement et les contradictions de son régime. Pendant l’ère stalinienne, Nikita Khrouchtchev (artisan du dégel avec le bloc de l’Ouest, de la déstalinisation et de la conquête spatiale) est responsable de la section du parti à Moscou. Il a notamment supervisé une partie des travaux du métro et s’est chargé d’améliorer les conditions de vie des habitants de la ville en luttant contre la corruption. Une fois au pouvoir, fort de son expérience, il lance sa grande politique de logements : ces immeubles préfabriqués que l’on retrouve partout dans l’ex-URSS. La fin de l’ère soviétique pour les Moscovites est celle d’une succession de noms sans grande signification et une impression de stagnation, exacerbée par les échecs en Afghanistan. L’effondrement de l’URSS se fera tout de même au prix d’un choc et de troubles dans la ville.

Années 1990

Le chaos

Le 8 décembre 1991, Eltsine et les présidents de l’Ukraine et la Biélorussie dissolvent l’URSS. Après la chute du bloc de l’Est, l’histoire ne s’arrête pas pour les Moscovites, au contraire c’est un moment de bouleversements avec l’ouverture à l’économie de marché au prix du grand banditisme, Tcherkizone, et des lokhotrons (pyramides financières).

1931-2007

Boris Eltsine

Boris Eltsine est devenu populaire à Moscou après qu’il a pris fait et cause pour les travailleurs moscovites en dénonçant la mauvaise qualité des transports et les queues interminables pour accéder aux commerces et aux commodités. Il est élu président de la RSFS en 1990 et commence s’opposer au chef de l’Union soviétique Michael Gorbatchev. Il déjoue un putsch communiste en août 1991 dans la ville. Seulement, il ne parvient pas à garder la confiance des Moscovites à cause de l’échec de la guerre en Tchétchénie. À l’occasion de ses vœux du Nouvel An de 1999, devenus instantanément mythiques, Eltsine démissionne et propose son protégé Vladimir Poutine comme successeur.

2000-2019

La stabilité

Sous Vladimir Poutine, arrivé au pouvoir en 2000 en tant qu’homme de KGB, Moscou est le royaume de son maire Iouri Loujkov. Il était un homme politique extrêmement puissant entouré d’une cour de fidèles, qui bénéficiait de la majorité des contrats publics. Ses courtisans (l’architecte Kuzmin, le chanteur Gazmanov et le sculpteur Tsereteli) ont transformé Moscou en burlesque. Il s’est fait remercier par Medvedev en 2010.

2010-Aujourd’hui

Sergueï Sobianine

L’actuel maire est extrêmement proactif. Il est parfois comparé au baron Haussmann : les rénovations du centre-ville de Moscou ont coûté des centaines de millions d’euros depuis 2015 et sa politique du Grand Moscou inspirée du Grand Paris a déjà profondément transformé la ville et ses services. Cette stabilité est remise en question par le mécontentement croissant des « Moscoubourgeois », nom péjoratif donné par les militants de Russie unie au cœur de l’opposition russe. Elle dénonce le manque de démocratie, la corruption et la violence des autorités. Les deux plus grands moments de la contestation moscovite ont été en 2012-2013 (sur la place Bolotnaya et l’avenue Sakharov) au moment du retour de Poutine au pouvoir et en 2019 sous l’effet cumulé de la réforme contestée des retraites, la restriction de l’accès à Internet, l’affaire Golounov et la réélection opaque du maire actuel.

Top 10 : Cinéma

Les films sur Moscou

Il n’est pas facile d’assimiler l’histoire d’une culture qui nous est étrangère. Voici donc notre sélection de 10 films à voir pour vivre les moments forts de la psyché russe. Nous vous promettons des fous rires, de la joie, de l’espoir, mais aussi des moments de révélation et de recueillement.

L’Homme à la caméra

Film documentaire de 1929 du renommé Dziga Vertov, il nous montre la vie aux débuts de l’URSS.

Alexandre Nevski

Fresque de propagande de 1938 par l’immense Sergueï Eisenstein qui prépare la guerre contre le Reich.

Andreï Roublev

En 1966, Andreï Tarkovski nous livre huit histoires d’un moine peintre d’icônes pendant l’Oppression.

Guerre et Paix

Par Serge Bondartchouk en 1966. Cette épopée du XVIIIe adaptée de Tolstoï a été honorée d’un Oscar.

Ils ont combattu pour la patrie

Serge Bondartchouk nous livre en 1975 une perspective soviétique de la Seconde Guerre mondiale.

Moscou ne croit pas aux larmes

Film culte de 1979 par Vladimyr Menchov. Il conte la vie moscovite de trois amies à la fin de l’URSS.

Intergirl

Piotr Todorovski réalise en 1989 un film unique sur une jeune prostituée voulant fuir l’URSS.

Le Frère

Tableau frappant de la violence criminelle des années post-soviétiques par Alexeï Balabanov, 1997.

Le 9e escadron

Sur le style des blockbusters, Fiodor Bondartchouk nous conte en 2005 la guerre d’Afghanistan russe.

Léviathan

Le moderne Andreï Zviaguintsev (2014) nous livre un drame sur la vie des campagnes isolées russes.

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