La musique traditionnelle
Comme partout, la tradition musicale au Japon s’est écrite au fil de l’histoire. À l’époque Asuka (592-628) est introduit le bouddhisme dans le pays, auquel sont associées des danses rituelles masquées. Véhicule de la transmission de la sagesse, la musique est alors reine et l’empereur Mommu (697-707) établit même un ministère de la Musique : Gagaku-ryō. À l’époque Nara (710-793), brillante artistiquement, non seulement la musique chinoise (de la dynastie Tang) pénètre massivement sur le territoire mais aussi celles d’Inde, de Perse et d’Asie centrale.
C’est à cette époque que s’officialise dans le pays le gagaku. Musique de cour, pratiquée aussi dans les temples, le gagaku gagne rapidement la faveur des aristocrates et des fonctionnaires par l’introduction de la psalmodie bouddhiste shōmyō, originaire de l’Inde. C’est dans le shōmyō, chant et liturgie, que se constitue une unité fondamentale : la cellule mélodique. Durant l’ère Kamakura (1185-1333), période de renouveau religieux, se développe l’art du biwa (luth à quatre cordes) en même temps que les chants bouddhiques, renforcés par le développement des sectes Shingon et Tendaï. Avec le haut Moyen Âge (XIe-XVIe siècle) s’épanouissent des musiques dites « rustiques » (dengaku, composées principalement de musique et danse) et « éparses » (sangaku, beaucoup plus ludiques avec farces, imitations, effets hallucinatoires et marionnettes). La musique japonaise va prendre un véritable essor durant l’époque Edo avec l’arrivée du shamisen (instrument à cordes pincées) en 1562. À l’époque, une unité des instruments se développe avec le koto, la harpe horizontale, le luth biwa et la flûte de bambou shakuhachi, d’origine chinoise. Tandis que dans le Kyūshū se développent les musiques de koto dites sōkyoku, dans le Kansaï s’épanouissent les chants accompagnés du shamisen – le ji-uta. Lorsque ce dernier va se muer en accompagnement pour le kabuki, il changera de nom pour devenir le nagauta. De cette époque, tous les genres musicaux modernes japonais ont conservé des tempos élastiques.
Pour écouter de la musique traditionnelle japonaise, se diriger vers les albums des frères Yoshida (Yoshida Kyōdai), duo de shamisenistes, est une bonne idée. Très populaires dans le pays, leurs albums mélangent airs traditionnels, et compositions propres (inspirées par le folklore japonais). Autrement, à Tokyo, beaucoup de théâtres du quartier de Ginza proposent régulièrement de la musique traditionnelle. Cela dit, une vraie opportunité de goûter dans un même élan à toutes les saveurs de la tradition musicale japonaise est d’assister à un matsuri. Riches en musiques, ces fêtes populaires, souvent organisées autour des sanctuaires shintō ou temples bouddhiques, sont célébrées un peu partout dans le pays principalement durant l’été. À Tokyo, citons Hina Matsuri, le 3 mars, une fête des poupées et Hana Matsuri, le 8 avril, une fête des fleurs commémorant la naissance de Bouddha. À Kyoto, Aoi Matsuri, le 15 mai, est une fête des roses tandis que Gion Matsuri, durant tout le mois de juillet, s’inspire d’un rite du IXe pour lutter contre la peste. Absolument gigantesque, proposant des défilés de chars, il est l’équivalent du festival tokyoïte Kanda Matsuri.
Musique classique
150 ans après son introduction dans le pays, la musique classique – selon l’acception occidentale – file toujours le parfait amour avec les Japonais. Arrivé au début de l’ère Meiji (1868-1912) – période de modernisation et d’ouverture du pays –, le genre doit énormément à Shuji Isawa (1851-1917), un observateur envoyé aux États-Unis pour étudier l’enseignement, la pratique et la diffusion de la musique. Dès son retour, et sous son impulsion, le gouvernement Meiji fait le choix radical de rendre obligatoire l’instruction de la musique occidentale à l’école primaire et secondaire. Autre événement contribuant à la propagation de la musique classique sur le territoire, l’occupation américaine à l’issue de la Seconde Guerre mondiale (1945-1952) va énormément populariser le genre dans le pays.
Aujourd’hui, dès l’école primaire, les enfants apprennent la musique, une matière aussi importante que les mathématiques ou l'histoire. La plupart des écoles possèdent d’ailleurs leur propre orchestre. Mais ce qui explique le fantastique essor du classique au Japon est sans aucun doute le miracle économique qu’a connu le pays dans les années 1960. Depuis, le pays est une destination très prisée des plus grands noms internationaux, attirés par la qualité des salles et la générosité du public. Cela dit, si le Japon est toujours, à l’heure du streaming, l’un des marchés les plus dynamiques au monde, les orchestres japonais, bien qu’excellents, peinent à établir une réputation internationale et à s’exporter.
Outre Toru Takemitsu, souvent désigné à juste titre comme le chef de file de la musique classique japonaise, la liste de compositeurs excellant dans le domaine est longue. Citons Teizō Matsumura à l’œuvre influencée par Ravel et Stravinsky, Toshio Hosokawa qui pensait ses compositions comme une « calligraphie sonore » ou encore Yasushi Akutagawa proche de Dmitri Chostakovitch et Aram Khatchatourian qui fut le seul compositeur japonais dont les œuvres ont été officiellement publiées en Union soviétique à l’époque. Le pays compte aussi un géant de la direction d’orchestre, Seiji Ozawa, chef de file de l’école japonaise et un des plus grands spécialistes de la musique française du XXe siècle. Dans ses pas, marche Kazushi Ōno, connu en France pour avoir dirigé l’orchestre de l’Opéra national de Lyon en 2008/2009.
Quand on aime, on ne compte pas. Et le pays aime tellement le classique que dans sa capitale seule, on dénombre seize orchestres professionnels (trente-trois dans le pays) et cinq grandes salles de plus de 2 000 places. Et si la qualité est au rendez-vous partout, chaque salle propose une acoustique parfaite, certaines institutions sortent du lot. C’est notamment le cas de l’Orchestre symphonique de la NHK, le meilleur du pays (de l’avis de tous) dont le prestige continue d’être alimenté par la direction de l’excellent chef estonien Paavo Järvi. L’ensemble se produit au NHK Hall, au Suntory Hall et au Tokyo Opera City Concert Hall. Moins coté mais très bon aussi, l’Orchestre symphonique de Tokyo, dirigé par le Britannique Jonathan Nott, joue dans cet énorme édifice consacré aux arts de la scène qu’est le Nouveau Théâtre national de Tokyo (dont le design épuré est signé de l’architecte Takahiko Yanagisawa). Quelques ensembles prestigieux de musique classique passent par les scènes du Forum international de Tōkyō, ainsi qu’au Tōkyō Metropolitan Art Space, dans le quartier d’Ikebukuro, espace d’avant-garde doté de salles de concert.
La J-Pop
Au pays du soleil levant, aujourd’hui, tous les styles occidentaux modernes semblent avoir trouvé leur traduction. Rap, rock, pop, variété... la musique japonaise a assimilé beaucoup de genres aux codes du pays. Fond sonore omniprésent à Tokyo, la musique japonaise se confond souvent avec la J-pop, un genre musical devenu dominant à la fin des années 1990 et désignant le grand nombre de girls et boys bands se produisant au Japon. Elle fait suite à la city pop des années 1980, mélange de disco-funk typiquement japonais et au shibuya-kei des années 1990, fusion kitsch de pop sixties occidentale (Beach Boys, Phil Spector et Serge Gainsbourg) et de variété locale. Aujourd’hui, le genre est invariablement une mine d’or, porté par des groupes comme AKB48, un collectif de 130 membres (!) ayant vendus plus de soixante millions d’albums au Japon ou Kyary Pamyu Pamyu, une Lady Gaga locale intimement liée à l'esthétique kawaii et au quartier Harajuku de Tokyo. Quartier des jeunes Tokyoïtes par excellence, Harajuku est le berceau et le point de rencontre de cette culture J-pop. Autrefois berceau de la contre-culture il est toujours très animé mais aujourd’hui plus excentrique qu’anticonformiste. Un autre Tokyo, à voir absolument.
La danse et le théâtre
La musique, la danse et le théâtre ne font souvent qu’un dans la tradition japonaise, chaque art jouant un rôle important chez l’autre. Dans l’ensemble, le théâtre japonais renvoie aux grands mythes shintō et aux légendes séculaires. C’est particulièrement visible dans le kagura, la forme la plus ancienne de danse théâtrale (et de rituel dansé) au Japon. Pouvant se traduire et se comprendre comme « ritualisation sacrée d’un lieu », le kagura est souvent joué à l’occasion des matsuri ou des rites saisonniers. Ils mettent en scène des mythes ou des événements historiques, et chaque sanctuaire, local ou national, possède sa variante propre. Il existe des kagura impériaux, ou mi-kagura, datés du IXe siècle, des danses édulcorées des servantes de temples, dites miko-kagura ou miko-mai, des danses rustiques appelées sato-kagura ou ta-mai, imitant les travaux agraires. Dans l’ensemble, les kagura sont des rituels dansés propitiatoires et de purification. Ils sont exécutés pour éloigner les épidémies et le feu et assurer de bonnes récoltes.
Le gigaku a possiblement été introduit au Japon au VIIe siècle, pendant la période Asuka. Accompagnant à l’origine les rites bouddhiques, il consiste en un défilé de danseurs portant d’immenses masques, lors de danses rituelles exécutées au temple, et parfois accompagné de mimes pour amuser le public.
Bien que le nō ait gardé de lointains liens avec la religion bouddhique et les rites shintō, il est avant tout une danse profane. Si certaines voix affirment que les racines de cette danse seraient à chercher du côté du Tibet ou de la Chine, il semblerait pourtant qu’elle descende du kagura. Drame lyrique costumé et masqué datant des XIVe et XVe siècles, le nō est caractérisé par son jeu minimaliste, codifié et tout en symboliques, ne racontant pas une intrigue mais exprimant une émotion ou une atmosphère. Forme d'art dramatique très singulière, le nō fut une des premières à être inscrite en 2008 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO. Le répertoire compte quelque 250 pièces à l’heure actuelle.
Intermèdes permettant de tirer le spectateur de la transe immobile dans laquelle le nō l’a plongé, les kyōgen (« bouffonneries » ou « farces ») sont souvent dénigrés et rangés dans le registre des arts mineurs. Et pourtant. Interprétés avec grand talent, ces sortes de petits sketchs servent à mettre en valeur les situations burlesques de la vie quotidienne.
Signifiant « exubérant et marginal », le kabuki désigne sans doute à l’origine un théâtre d’avant-garde. Forme épique de dramaturgie traditionnelle, le kabuki illustre des événements historiques ou des conflits moraux. Les acteurs s’y expriment d’une voix monotone et sont accompagnés d’instruments traditionnels comme le shamisen. Le kabuki est la forme de théâtre traditionnel la plus populaire actuellement (niveau audience). Les acteurs jouissent d'une grande notoriété et apparaissent souvent dans des films ou à la télévision.
Dernière forme très populaire de théâtre japonais, le bunraku est exécuté avec des marionnettes de grande taille, manipulées à vue par trois manipulateurs tandis qu’un seul et même récitant joue tous les rôles.
On n’a pas vraiment vu Tokyo sans prendre le temps de s’arrêter dans l’un de ses théâtres traditionnels. Parmi les plus indiqués, le Théâtre Kanze No Gaku-Do est le principal pour voir du nō dans le quartier de Shibuya. Un moment à part où admirer des acteurs, leurs masques et leurs plus beaux kimonos. Autre bel endroit, avec sa scène en bois de cyprès et ses jardins, le Théâtre National de Nō (Kokuritsu Nohgaku-Do) propose également une salle d’exposition avec une collection de masques et de costumes. À Kyoto, le théâtre très touristique Gion Corner propose, de mars à novembre, un véritable pot-pourri d’arts traditionnels en 50 minutes, aussi bien ikebana que cérémonie du thé que kyōmai (danse de Kyōto) ou kyōgen, bunraku et gagaku. Moins authentique mais plus panoramique.