Découvrez la Patagonie : Gaucho argentin et huaso chilien

Sur les terres arides de Patagonie, acquérir le droit de se faire appeler gaucho est une grande fierté. Pour ces éleveurs du Grand Sud, seuls les plus méritants obtiennent ce titre légendaire que le temps a fini par magnifier. Autrefois considéré comme un hors-la-loi échappant à toute autorité, le gaucho incarne aujourd'hui le symbole d'une mixité représentative de l'histoire de l'Argentine et du Chili. En prise avec une époque déjà lointaine, la culture gaucho se vit bien plus qu'elle se raconte. Ce « cow-boy » de la Pampa est décrit dans l'œuvre de José Hernández, poète national argentin, comme l'homme romantique de la campagne symbolisant les valeurs que sont le courage, l'honneur et la liberté. Apparus avec l'arrivée des colons espagnols, ils s'installèrent dans de grandes estancias dans les vastes prairies environnantes. Figures de liberté hautement respectées, les gauchos incarnent un héritage culturel riche et complexe.

Gaucho © cristianl - iStockphoto.com.jpg

Liberté, liberté chérie...

Si l’appellation peut être différente des deux côtés des Andes, le huaso chilien et le gaucho argentin ont une histoire et une culture quasi similaires. Les premiers gauchos étaient fils de pionniers, principalement andalous, installés dans la pampa argentine au milieu du XVIe siècle. La pampa, ces vastes plaines fertiles bien que désertiques, étaient alors l’immense territoire des peuples indigènes. Pour la plupart célibataires, livrés à un sort qui les mena au bout du monde, ces nouveaux arrivants européens firent la rencontre de ces peuples premiers et ne tardèrent pas à s’unir à eux. Les métis résultant de ces premières relations furent les premiers gauchos. Aussitôt rejetés par les tribus qui ne les considéraient pas tout à fait comme des leurs et méprisés par les colons qui déferlaient alors une vague de conquêtes sans précédent sur leurs terres de naissance, ils furent baptisés gauchos, ce qui signifie « orphelin » en langue huacho. Sans identité propre et n’appartenant à aucun des deux mondes, ils s’établirent en autosuffisance, se méfiant de la loi et de l’ordre. Loup solitaire, en perpétuelle connexion avec la nature qui l’entoure, le gaucho apprit à apprivoiser les terres hostiles et inconnues de la Patagonie. Avide de liberté, il s’associe au cheval afin de ne faire qu’un avec les grandes étendues de la pampa. Ce n’est qu’au commencement de la Guerre d’Indépendance argentine que la légende de ses cavaliers nomades prit de l’ampleur : grâce à leur connaissance du Far West patagon et leur savoir-faire bien attisé, ils jouèrent un rôle clé dans l’indépendance de l’Argentine face à la Couronne espagnole. Après la guerre, ils perdirent un peu de ce pouvoir de liberté et commencèrent à s’établir dans de grands domaines agricoles, les estancias.

L'homme du bout du monde

Outre la chasse au bétail et le dressage de chevaux, le travail des gauchos consistait également en la préparation des cuirs pour les vendre ensuite aux marchands de la ville. De nos jours, le travail du gaucho consiste toujours à veiller sur son troupeau, habitué à se promener en quasi liberté : les lignes de clôtures n'enferment que du vide à perte de vue. Toutefois, le bétail est réuni une fois par an : les moutons sont rassemblés pour la tonte et l'on procède ensuite au marquage des veaux. Lors de la période de cette tonte, l'esquila, qui a lieu de décembre à février, les esquiladores les plus habiles peuvent tondre un animal en près d'une minute et récolter jusqu’à 6 kilos de laine ! Les veaux, eux, continuent d'être marqués à l'ancienne, comme le faisaient les ancêtres : les propriétés sont si grandes que les gauchos n'ont pas d'autres choix que de marquer leurs vaches au fer (au cas où elles perdraient leurs boucles d'oreilles). Ce travail de tradition se déroule selon un savoir dicté par des années d'expérience, il s'agit de marquer la peau velue de l'animal sans jamais brûler ses chairs. Changer les fers des chevaux, débarquer le bétail, amasser le fumier... dans ce monde exceptionnellement masculin, le travail est physique et exige un certain rythme.

Pour autant, le gaucho tient à son allure : réputé pour son élégance, on reconnaît le gaucho notamment à la manière qu'il a de se vêtir. Selon le costume traditionnel, le gaucho se pare de ses fameuses botas de potro, des bottes en cuir auxquelles sont rattachées des éperons en argent, ou encore les alpargatas, sorte d'espadrilles. Le pantalón bombacho (les pantalons bouffants afin de faciliter ses mouvements à dos de cheval), tenu par différentes ceintures comme la rastra (ceinture avec des pièces d'argent), la chemise, le chaleco (gilet) ou le poncho en laine épaisse, complètent l'uniforme, mais ce qui fait le gaucho ce sont surtout ses accessoires, le chapeau, la boina (le béret), le foulard autour du cou ou encore le facón (large et long couteau) et la boleadora (sorte de lasso à trois boules).

La chevauchée fantastique

Si la figure du gaucho est plus populaire en Argentine, c'est bien le Chili qui fait la part belle au fidèle destrier de ces cow-boys du Grand Sud. Les chevaux furent introduits en Amérique en 1493 lors du second voyage de Christophe Colomb depuis l'Espagne. Soixante-quinze étalons et juments, principalement arabes et andalous, furent introduits au Chili en 1540 lors d'une expédition menée par le conquistador Pedro de Valdivia. Aujourd'hui, le caballo chileno – ou cheval criollo en Argentine  est considéré comme la meilleure race d'Amérique du Sud. Tout comme le gaucho, il représente aujourd'hui l'histoire et la géographie de la région. Robustes et dotés d'une endurance exceptionnelle, les criollos, malgré leur petite taille (1,50 m), possèdent une musculature saillante. Ils furent d'abord domestiqués afin de répondre au besoin de déplacements. Toutefois, la construction des lignes à chemin de fer et l’avènement de la construction automobile firent du tort à l'infatigable destrier. Cette race noble et dévouée ne fut pourtant pas délaissée. Depuis la fin du XIXe siècle, le caballo chileno est mis en lumière par une discipline traditionnelle adorée des gauchos : le rodéo (domas ou jineteadas). Cet art festif se caractérise toutefois par deux disciplines distinctes. En Argentine, on se dédie plus aux jineteadas, cousin du rodéo américain dont le but est de rester au moins douze secondes sur sa monture tout en restant le plus élégant possible. Les chevaux sont sélectionnés avec beaucoup d'exigence, sont encore sauvages et passent la majorité de l'année dans les champs à l'air libre. Déclaré sport national en 1962, le rodéo chilien rassemble deux huasos à dos de cheval. Ces derniers ont pour mission de bloquer un bovin contre une barrière, reproduisant ainsi la pratique traditionnelle des vachers qui domptaient leur bétail.

Les mythes de la pampa

En 1925, Aimé Tschiffely, un gaucho suisse ambitieux et un brin fou, a entrepris une expédition pour le moins singulière : relier Buenos Aires à New York accompagné de ses deux fidèles destriers Mancha et Gato. Ce voyage, non sans efforts, se termine le 20 septembre 1928, trois ans et demi après son départ. Après 21 500 kilomètres parcourus, son aventure épique à travers les Andes et les déserts américains lui vaut les acclamations de la foule new-yorkaise. Désignés comme de « véritables héros » par le président américain, le courageux cavalier et ses deux compagnons n’en finissent pas de faire rêver. À tout jamais gravée dans l’Histoire équestre, la date de leur exploit est aujourd’hui celle de la journée nationale du cheval en Argentine.

De l’autre côté des Andes, en 1949, le cheval Huaso et son cavalier Alberto Larraguibel battent le record du monde du saut en hauteur avec 2,47 m. Alberto Larraguibel devient alors une légende chilienne et le détenteur du record du monde de hauteur en saut d’obstacles. Jamais dépassé, cet exploit retentit encore de nos jours comme un acte héroïque puisque c’est l’un des plus anciens records de l’histoire du sport.

Mais au-delà de ces deux personnages aux exploits singuliers, c’est à Martín Fierro que l’on doit le mythe du gaucho. Véritable Christ de la pampa, ce héros créé de toutes pièces par l’auteur José Hernandez, redora le blason des gauchos. Longtemps qualifiés de vagabonds insignifiants ou encore de querelleurs, les gauchos n’étaient pas vraiment respectés jusqu’à la parution, en 1872, de ce poème épique, devenu l’un des ouvrages majeurs de la littérature argentine. Personnage éminemment populaire, il incarne un gaucho aujourd’hui en voie de disparition, en proie à toutes les tribulations de son époque « Je suis gaucho, qu’on l’entende, comme l’explique ma langue. Pour moi, le monde est petit, que n’est-il plus grand encore, ni le serpent ne me mord, ni le soleil ne me cuit. Ma gloire est de rester libre, comme un oiseau dans les airs. Je n’fais pas d’ nid sur un’ terre, où l’on souffre tant à vivre ; nul ne doit me suivre alors, que je reprends mon essor ».

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