Un territoire, deux pays
La Patagonie argentine couvre environ 880 000 km² et se divise en trois parties : la Patagonie andine, la pampa et la côte atlantique. La Patagonie chilienne couvre environ 256 093 km² et court de Puerto Montt jusqu’au Cap Horn. Coincée entre les montagnes andines et l’océan pacifique, la Patagonie chilienne se concentre sur une étroite bande de terre verdoyante au nord, puis se caractérise par une série d’îles, d’archipels et de fjords vers le sud. Bien qu’elle n’ait pas de limites officielles, on estime qu’elle couvre tout le territoire compris entre le 42° parallèle sud et le Cap Horn, situé au 56° parallèle. 5 000 kilomètres de frontières séparent l’Argentine du Chili : cette épine dorsale, caractérisée par la Cordillère des Andes, atteint jusqu’à 4 058 m d’altitude et compte les plus grands glaciers continentaux. Au Chili, la Patagonie commence pour la majorité au niveau de l’île de Chiloé et de Puerto Montt, là où la nature redevient plus sauvage et les îles sont recouvertes de forêts denses, là où les terres déchiquetées se confondent avec les fjords et les forêts vierges. Pour d’autres, la Patagonie chilienne se restreint à la région de Magallanes, qui comprend une partie de l’archipel de la Terre de Feu. Mais les régions du Bío Bío et de l’Araucanie revendiquent aussi depuis peu la désignation de Patagonie, pour des raisons principalement liées au tourisme. De son côté, la Patagonie argentine comprend les provinces continentales au sud du Río Colorado ainsi que sa partie de l’archipel de la Terre de Feu. Mais selon le géographe Carlos Reboratti de l’Université de Buenos Aires, la Patagonie comprendrait même la province de la Pampa et un secteur de la province du sud de Buenos Aires (en raison de leurs similitudes avec la steppe côtière argentine).
Encore floues, les frontières du Grand Sud n’ont pour limites que l’horizon et l’immensité du ciel : les avis divergent et les limites de la Patagonie n’ont jamais été officialisées. Historiquement et politiquement, la Patagonie n’a pas la même définition pour tous et la configuration du territoire change selon les points de vue. Son découpage, source d’ambitions géopolitiques, a généré de nombreux conflits : l’époque marquant l’indépendance des deux pays, au début du XIXe siècle, n’a pas réglé le problème, bien au contraire. La Patagonie argentine n’a été intégrée aux territoires de l’État qu’après la « Conquête du Désert » (1869-1888). À l’issue de cette campagne, dévastatrice pour les peuples indigènes, les Conquistadors se partagèrent ces contrées sauvages sans, toutefois, trouver d’accord clair et définitif. Réglée une première fois en 1881, la question frontalière n’a cessé depuis d’empoisonner les relations entre les deux pays. Malgré l’intervention de la couronne d’Angleterre en 1902, le XXe siècle a été parsemé de tensions entre les deux pays. Le dernier conflit en date se réfère à la souveraineté sur les îlots Lennox, Picton et Nueva situés au débouché atlantique du canal de Beagle, attribués au Chili en mai 1977 après la décision d’un tribunal constitué de membres de la Cour de justice internationale de La Haye. Mais il aura fallu la médiation du Saint-Siège pour éviter un conflit armé et faire accepter cette décision à l’Argentine.
La Cordillère des Andes : reine patagone
Reine blanche posée sur le bleu du ciel, la Cordillère des Andes mérite toutes les attentions. Jaillissant d'une rencontre entre les plaques tectoniques pacifique et sud-américaine, la cordillère des Andes est une terre encore en formation, vivante et prête à rugir à chaque instant. Ses cratères, ses sources thermales et ses tremblements de terre témoignent du dynamisme sans pareil de l'activité sismique et volcanique de la région. Ses reliefs variés de 7 100 km de long naissent au nord du Venezuela et plongent dans les eaux glacées de l'océan à l'extrême sud de l'Amérique. En Patagonie, elle se révèle somptueuse et déroutante, tant elle se conjugue parfaitement avec les confins sauvages du sud. Il faut savoir que la cordillère des Andes ne forme pas une chaîne ininterrompue : des cordons isolés sont reliés entre eux par de vastes vallées, très encaissées et baignées par des lacs et des rivières. Mais comment se fait-il que l'on trouve de l'eau dans ce désert balayé par les vents ? Les périodes glaciaires ont dessiné une étrange géographie, folle et torturée, et, comme les vents du Pacifique viennent buter contre la cordillère, les précipitations sont abondantes sur le versant ouest, tout comme sur les sommets ; ainsi, un grand nombre de lacs et lagunes se sont formés, donnant naissance aux rivières patagonnes d’importance, comme le Negro, le Chubut ou le Santa Cruz. Pendant la période glaciaire, les lits furent agrandis, donnant naissance aux lacs qu’on observe actuellement. L’importance de la glaciation est certaine dans cette région : les sommets andins sont d’ailleurs recouverts de glaciers, et les massifs présentent des pics aigus très escarpés (ces roches, encastrées dans les sédiments, ont résisté à l’érosion glaciaire du fait de leur dureté, apparaissant à l’air libre en des silhouettes fantaisistes). Les vents du Pacifique qui charrient leur flot de pluie s’écrasent sur la cordillère. En Terre de Feu, l’épine dorsale change d’orientation et plonge dans la mer : toutefois la cordillère des Andes ne disparaît pas et poursuit sa course, sous l'eau, jusqu'en Antarctique. Les Andes ne sont pas si hautes en Patagonie ; plus on descend au sud, d’une manière générale, moins les sommets sont élevés. Trois grands champs de glace se succèdent le long des Andes. Le Hielo Patagonico Norte, qui couvre 4 400 kilomètres carrés. Le Hielo Patagonico Sur qui atteint 13 000 kilomètres carrés et dont certains glaciers vêlent dans les fjords du Pacifique et d'autres dans les lacs argentins Viedma et Argentino. Enfin, sur le bord sud de la Terre de Feu, les champs de glace de la cordillère de Darwin, 3 000 kilomètres carrés descendent jusqu'à la rive du canal de Beagle. Le Hielo Patagónico est une immense masse de glace, héritage des périodes glaciaires : elle est plus étendue que la ville de Buenos Aires !
Les splendeurs contrastées d'une nature vivante
« Il n’est que la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse », écrivait Blaise Cendrars. Il y a peu d’endroits sur Terre où l’on se sent seul au monde parmi la grandeur et la diversité des paysages. Entre les steppes arides d’Argentine, balayées par les vents, et les collines chiliennes verdoyantes, trouées de cheminées de volcans, le contraste peut se révéler frappant tant les décors patagons affichent des couleurs et des reliefs aussi insolites que surprenants. Ses lacs cristallins aux multiples nuances de bleu, ses forêts millénaires de coiguës, de hêtres ou encore de mélèzes rivalisent de beauté face à la splendeur des glaciers, vestiges de la calotte glaciaire qui recouvrait la Patagonie au pléistocène. Le versant chilien présente une végétation exubérante et une forêt impénétrable en maint endroit favorisées par des précipitations très abondantes (jusqu’à 4 000 mm/an). La côte maritime pacifique est un vaste réseau de fjords et de canaux, un paysage déchiqueté et bouleversant, une image de fin du monde accentuée par un climat terrifiant la plupart du temps. La Route australe se glisse péniblement sur le mince bout de terre qui appartient au Chili, mais se termine à Villa O’Higgins, sans pouvoir rallier la ville de Puerto Natales, tout au sud. Les volcans et les lacs tapissent les terres chiliennes du nord au sud et apportent au paysage une splendeur mystique et vertigineuse. Avec ses 2 000 volcans, c’est le deuxième pays, après l’Indonésie, à receler la plus grande chaîne de volcans dans le monde. Heureusement, la grande majorité d’entre eux sont éteints ou endormis, mais aujourd’hui 500 volcans sont considérés comme actifs (un volcan est considéré comme volcan actif s’il a eu une éruption durant les derniers 10 000 ans). Certains sont plus surveillés que d’autres. Parmi eux : Lanín (3 740 mètres), Tronador (3 460 mètres), Hudson (2 600 mètres), Villarrica (2 840 mètres). Ce dernier est d’ailleurs entré en éruption en mars 2015 entraînant l’évacuation de plusieurs milliers de personnes. Du haut de ses 2 847 mètres, il est souvent considéré comme le volcan le plus dangereux du pays. Pourtant, il semblerait bien que les Chiliens se soient habitués aux soubresauts de ces géants de feu : ils les admirent autant qu’ils les craignent ! La Patagonie argentine, de son côté, se caractérise davantage par une grande steppe beige et brune. Aérique (sans aucun cours d’eau) ou endoréique (le cours d’eau n’atteint pas la mer), la Patagonie argentine compte tout de même quelques fleuves : Colorado, Negro, Chubut, Santa Cruz et Gallegos, suffisamment alimentés en eau par la Cordillère des Andes. Certains courent jusqu’à l’océan l’Atlantique, défini par des falaises assez imposantes, de temps à autre entrecoupées de plages, de golfes, de rades, d’estuaires. Plus au nord, du côté des Andes, Bariloche et la région des Lacs représentent pour beaucoup la porte d’entrée de la Patagonie pour la simple et bonne raison que dans l’imaginaire collectif, la région correspond bien aux films que se font les touristes dans leurs têtes : paysages majestueux, lacs, montagnes ou encore forêts. Mais pour autant, vous l’aurez compris, la Patagonie ne peut se définir que par son aspect environnemental et d’autres facteurs politiques et géographiques doivent aussi être pris en compte.Les parcs nationaux du bout du monde
Férus de randonnées, amoureux des grands espaces, biologistes en herbe ou encore chasseurs photographiques de la faune patagonne, tous les prétextes sont bons pour arpenter la solitude infinie des routes australes. Réserves nationales, monuments naturels, parcs nationaux... la nature est reine parmi la cinquantaine d’aires protégées que compte la Patagonie. D’intérêt écologique, biologique et touristique, elles jouissent de panoramas exceptionnels dont on peut profiter à sa guise. Chaussé de crampons, installé dans un kayak, lancé en voiture sur les lacets montagneux ou embarqué à bord d’un navire de croisières, les options de découverte sont nombreuses : canyoning, andisme, kayaking, escalade, via ferrata, ski, escalade, équitation, vélo de montagne, plongée... Tout se vit plus fort, au plus près des éléments ! De quelques heures à plusieurs jours, les sentiers de découvertes sauront satisfaire les esprits contemplatifs tout comme les grands sportifs. Avec ses 37 aires protégées, le Chili offre des destinations inattendues entre mers de glace et ascensions volcaniques. En mai 2019, le pays inaugurait ses deux nouveaux parcs nationaux Pumalin et Patagonia. Cette initiative, entreprise par la fondation Tompkins, a été financée par le couple du même nom. Douglas Tompkins a consacré ses richesses et sa vie à la préservation des réserves naturelles du pays. Lors de son décès en 2017, il céda 407 625 hectares au Chili : c’est à ce jour la plus grande donation de terre privée de l’histoire. La création du premier parc national en Argentine remonte à 1934 : il s’agit du Nahuel Huapí, là même où Francisco Moreno (1852-1919) avait généreusement cédé des terres au gouvernement de la République, en 1903. Seuls deux autres pays avaient déjà institué des parcs nationaux sur le continent américain : les États-Unis (Yellowstone en 1872) et le Canada (Banff en 1885).