Pour la petite histoire…
La vigne fut cultivée dès l'Antiquité. En témoignent les vestiges de la villa gallo-romaine de Séviac (Gers) ou les ateliers de Montans, près de Gaillac (Tarn), qui produisaient des céramique vinaires en grande quantité. Au Moyen Age, c'est à partir du XIe siècle que sous impulsion de l'Église la viticulture se développa largement. De nombreuses abbayes bénédictines (Saint-Michel à Gaillac, le monastère de Saint-Mont) ou cisterciennes (Grand Selve en Lomagne), des évêchés puissants (Pamiers en Ariège) ou des ordres chevaliers (Fronton) connurent une solide réputation liée à la qualité de leur production. Ces vins dits « clarets » c'est-à-dire légers en couleur et à boire jeunes, étaient exportés via Bordeaux vers l'Angleterre et les Flandres.
Au XVIIIe siècle, les vins régionaux rayonnaient : en effet, les vignerons s'étaient adaptés aux mutations du marché. Face à la concurrence de toutes les boissons chaudes et légères nouvellement à la mode (tisanes, thé ou café), ils proposaient des vins plus corsés, plus colorés, plus denses, des charpentés tels que le madiran ou le brulhois, appelés « vins noirs ». Mais les Bordelais ne l'entendirent pas ainsi. Ils créèrent une police des vins qui imposa une réglementation très stricte aux vins de l'arrière-pays ! Les vignobles du Sud-Ouest se virent écrasés par leurs deux puissants voisins, les Bordelais déjà cités et les Languedociens. N'ayant plus de débouchés vers l'extérieur, ils furent désormais restreints à la consommation locale.
La crise du phylloxéra acheva la dégringolade. On replanta mais avec des cépages hybrides, malheureusement très médiocres. Puis le passage du terrible hiver 56 vit, une nouvelle fois, périr l'essentiel des cépages sous la froidure des gelées. De nombreux agriculteurs abandonnèrent alors la vigne quand d'autres résistèrent en choisissant des productions de qualité et en se regroupant en coopératives dynamiques et bien équipées.
Des vins protégés et des vignerons engagés
La filière viticole a un défenseur : le Comité Interprofessionnel des Vins du Sud-Ouest - répartis sur plus de 6000 exploitations et 12 départements. Hébergé au sein de l'INRA, il supervise les cépages, les appellations et les bassins viticoles du Grand Sud-Ouest avec 29 AOP et 13 IGP, du Tursan (Landes) aux Côtes-de-Millau (Aveyron) en passant par le Saint-Sardos, l'Irouleguy (Pays basque) ou le Madiran (Hautes-Pyrénées). Il soutient la recherche, assure le suivi de la qualité ainsi que de la concurrence et organise des missions d'information du public. Un nouveau concept nommé "Sud-Ouest de cœur" a été créé afin d'inscrire la promotion des vins de la région dans la valorisation de l'art de vivre de tout un territoire.
En Gascogne, 1500 producteurs donnent naissance aux vins des Côtes de Gascogne avec 90% de blancs (le Gers est le premier département français pour la production de vin blanc) aux goûts prononcés de fruits exotiques et d'agrumes. Les rouges déclinent des notes de fruits rouges (cerise, fraise) ou noirs (cassis, mûre). Autre vignoble gascon, celui des Côtes de St-Mont. Il couvre les coteaux de 49 communes limitrophes des Landes et des Hautes-Pyrénées et est célébré chaque années lors de la fête du vignoble le dernier week-end de mars (visites de chai et de châteaux, dégustations, animations...). Les vins de Fronton sont AOC depuis 1975. La Maison des vins propose de découvrir les domaines répartis sur les 2400 ha, cultivés avec patience par 74 exploitants. L'appellation Gaillac couvre quant à elle 2500 ha répartis sur 73 communes plongeant dans le Tarn, avec une centaine de caves privées et trois coopératives ; elle bénéficie d'un AOC depuis 1938 pour ses blancs secs, doux et perlés. La sortie de son primeur le troisième jeudi de novembre est un moment festif très attendu. Le petit vignoble du Brulhois, environ 200 ha au sud de la Garonne, réunit vignerons gersois, tarn-et-garonnais et lot-et-garonnais ; il produit majoritairement des rouges et des rosés.
Autres vignobles confidentiels, le Saint-Sardos, à cheval sur le Tarn-et-Garonne et la Haute-Garonne, qui s'étend sur 230 ha ; ici le tannat râpeux s'adoucit avec le fruité de la syrah - ou le Lavilledieu, coincé entre Montauban et Castelsarrasin, un vin essentiellement à base de négrette qui se laisse vieillir bien sagement. Presque inconnu bien que rattaché à la capitale régionale, le vignoble du Domaine de Candie (propriété de la ville de Toulouse) commence à se tailler une solide réputation ; les 14 ha de vignes - certifiés Agriculture Biologique - font partie d'une ferme agricole rattachée à une forteresse datant du XIe siècle.
De belles qualités gustatives
Si les rouges sont gouleyants et souples à Gaillac, Fronton ou Lavilledieu, ils sont puissants et tanniques à Madiran et dans les Côtes de St-Mont. Les principaux cépages autochtones sont le fer servadou (appelé braucol à Gaillac ou pinenc en Gascogne), le malbec, le duras, le tannat, la négrette. A leur tour, les blancs séduisent pour leur bouquet ample dans le Pacherenc du Vic-Bilh, parce qu'ils sont très aromatiques et vifs dans les Côtes de Gascogne, parfois perlés comme à Gaillac, ou liquoreux et ambrés chez les Pacherenc, en particulier celui de la St-Sylvestre récolté le 31 décembre. Les cépages caractéristiques sont le len de l'el, le petit et gros-manseng, le colombard ou encore la muscadelle.
Il était une fois l'Armagnac…
Trois civilisations successives sont à l'origine de la plus belle des eaux-de-vie : l'armagnac. Les Celtes ont légué le tonneau et l'art de la futaille ; les Romains ont introduit massivement la vigne et les Arabes ont apporté l'alambic, indispensable à la distillation de l'aygo ardento utilisée notamment pour ses vertus désinfectantes et curatives. Ainsi naquit « le plus vieil alcool de vin de France ». Un début de conte de fée, non ?
Au départ, il y a une méchante ville : Bordeaux, qui dès 1373 interdit l'accès à son port aux vins de l'arrière-pays. Ils doivent attendre le 11 novembre puis Noël, parfois à quai. Pour éviter de perdre leur récolte, les vignerons décident de faire appel à la magie du feu. En brûlant dans des cauderos le vin devenu eau-de-vie, ils pouvaient alors attendre l'ouverture des mers en mars ou avril de l'année d'après quand les marins hollandais, très friands de celle-ci, venaient la chercher au port de la lune ou à Bayonne. Elle devint le produit d'exportation recherché par les peuplades septentrionales. C'est le succès, nous sommes au XVIIe siècle. Une belle revanche. Les plantations se multiplient soutenues par l'intendant d'Étigny grâce à l'édit de 1766. La folle blanche - cépage aussi appelé piquepoult - envahit les coteaux. Une fois passée la crise du vilain puceron, les Gersois obtiennent du président Fallières (lui-même viticulteur) la reconnaissance en 1909 du produit sous trois appellations : le Bas-Armagnac, le Haut-Armagnac et la Ténarèze. En 1936, le vignoble reçoit l'appellation d'origine contrôlée.
Et les blanches vieillirent heureuses dans leurs tonneaux de bois embaumant les chais de leur Part des Anges !
Mais avant ça, c'est tout un rituel autour de la distillation. L'émotion de voir arriver l'alambic dans le chai. La circulation du vin en distillation continue qui dès la sortie du serpentin de cuivre est logé dans des fûts de chêne de 400 litres : les pièces ensuite entreposées à l'abri des charpentes, avec température et humidité constantes. Le degré d'alcool se situe alors entre 40 et 48°. Ensuite, le maître de chai procède à des assemblages - les coupes. La vie de l'armagnac suit celle du vigneron. Jusqu'à 3 ans, c'est l'enfance. L'âge adulte se situe entre 3 et 10 ans, puis il entre dans la force de l'âge de 10 à 40 ans. Au-delà de 40 années passées dans le fût, il décline... c'est la fin ! La bonne nouvelle, c'est qu'une fois mis en bouteille, il ne vieillit plus. On différencie donc le temps passé en fût de celui passé en bouteille : 3*** pour au moins un an sous bois ; VO (very old), VSOP (very superior old pale) ou Reserve pour un minimum de 4 ans sous bois ; Extra, Napoléon, XO et Vieille Réserve à partir de 5 années. Un armagnac peut être un dix ans d'âge mais de la récolte de 1965 !
Autre rituel : sa dégustation. Il faut prendre le temps. D'abord, on verse deux doigts dans un verre ballon au col refermé pour retenir les fragrances. On juge la couleur, la limpidité, et on opère de légers tours délicats pour le faire pleurer ou voir s'il a de la jambe, signes de qualité ! Ensuite, on chauffe le verre au creux de sa main et on met son tarin dans l'ouverture pour percevoir le bouquet aux parfums de pruneau, de coing, de noisette, de violette, de vanille... selon la provenance. Après le feu de la première gorgée vient le goût de rancio. Là, l'armagnac fait la queue de paon. Il a bien vieilli et régale les papilles. Enfin, on ne lave pas le verre une fois la dégustation achevée car il va diffuser l'odeur des fruits maturés dans toute la pièce ! Un régal olfactif au réveil du lendemain.
Autres délices alcoolisés à déguster… mais avec modération.
On l'a déjà écrit : l'âme paysanne ne jette rien. Les méthodes de conservation bénéficient du bon sens terrien et de la gourmandise. L'Hypocras est apprécié dès le Moyen-Age par les croisés partis en Terre Sainte pour ses vertus toniques, bonnes pour le corps et l'esprit. On s'échauffe et on garde les idées claires. Ou presque ! C'est à Tarascon-sur-Ariège que la famille Séguéla a remis au goût du jour cette boisson que l'on trouvait jadis sur les tables royales. Gaston Phoebus, Henri IV, Rabelais, ou Louis XVI appréciaient de tremper leurs lèvres dans ce breuvage à base de cannelle, de cardamome, de clous de girofle, de gingembre, de pétales de rose... rapportés d'Orient. Une belle robe brune à consommer en apéritif ou en digestif.
En Gascogne, où faire la fête s'accompagne de ripailles, le Floc qui signifie « fleur » se boit blanc ou rouge. Vin de liqueur de 16° réalisé à partir d'un mélange de jus de raisin frais (pour 2/3) et de blanche (armagnac non vieilli), il se fabrique au moment des vendanges. On le boit bien frais en apéritif ou à la place d'un vin liquoreux. Il accompagne le creux du melon de Lectoure ou les fromages rustiques. Ce dernier bénéficie de l'AOC depuis 1990.
Le premier jus à peine sorti du pressoir, pas encore fermenté ou en début de fermentation, est appelé « le bourret ». Il change de couleur ou de sucrosité selon la récolte du jour. Il marque le temps de vendanges et se boit à l'occasion de fêtes locales, souvent accompagné de châtaignes grillées au feu de ceps de vigne, évidemment.
Pour finir en beauté et faire honneur aux célèbres Mousquetaires, des Gascons au fort caractère et à la lame fine : le Pousse-rapière. Cette liqueur 100% gasconne, à base d'armagnac aromatisé à l'orange et au café (Chut ! la recette est le secret des familles du cru uniquement !), est née dans les caves du château de Monluc, à St-Puy. Elle se boit en apéritif (attention car elle glisse tout en douceur mais donne un coup de rapière en second temps !). Un cocktail très frais qui ne se prépare pas n'importe comment. D'abord, on prend une flûte gravée d'une rapière. Puis, on verse la liqueur jusqu'au niveau de la pointe de la rapière, ensuite on ajoute le vin sauvage (un blanc effervescent réalisé avec les mêmes cépages que la liqueur) jusqu'en haut de la poignée de la rapière, un glaçon et une demi-rondelle d'orange. Enfin, on savoure avant de passer à table.
De nombreuses confréries maintiennent les traditions et la réputation autours de ces nombreux vins et spiritueux !