Au tournant de l’an mil
Durant le haut Moyen Âge, de nombreuses mottes castrales s’élèvent sur des remblais de terre volumineux et circulaires, les tertres. Entouré de fossés, le sommet est renforcé par une palissade de bois protégeant un fortin dominé par un donjon. Le seigneur bâtit sa puissance politique sur la motte qui devient un élément majeur de l'organisation spatiale autour de l'An Mil. Au XIe siècle, la féodalité développe ce dispositif qui va largement s’amplifier au cours du siècle suivant, donnant naissance aux Castelnaus ou castèlnòu - mot occitan qui signifie littéralement « château neuf ». Il désigne un bourg castral - fondé en Gascogne et dans le Languedoc – né de la volonté manifeste de regrouper autour d’une forteresse des populations jusqu’alors dispersées, vivant sous la protection d'un seigneur en échanges de corvées et de travaux agricoles. Ces bourgs présentent plusieurs types de plans : circulaire comme à Fourcès (Gers), village-rue étiré sur un promontoire comme à Biran (Gers), village en arcs de cercle concentriques étagés en terrasses et dominé par le château à l’exemple de Lauzerte (Tarn-et-Garonne). Leur intention étant de contrer l’expansion des Sauvetés.
L’équivalent français ou francisé de Castelnau est Châteauneuf. Il est à l’origine de nombreux toponymes : Castelnau-Rivière-Basse (Hautes-Pyrénées), Castelnau-Durban (Ariège), Castelnau-de-Brassac ou Castelnau-de-Lévis, (Tarn), Castelnau-d'Estrétefonds (Haute-Garonne). Les plus nombreux se situant dans le Gers : Castelnau-Barbarens, Castelnau-d'Anglès, Castelnau-d'Arbieu, Castelnau-d'Auzan, Castelnau-sur-l'Auvignon. Ainsi que de certains patronymes, comme ceux de Francis de Laporte de Castelnau, explorateur et naturaliste français (1810-1880) ou de Joseph de Curières de Castelnau, homme politique français (1879-1943).
Sous la protection de Dieu
Les Sauvetés ont d'abord une fonction colonisatrice et de mise en valeur des terres mais elles servent également d’étapes d’accueil pour les pèlerins marchant vers Compostelle. Elles sont un lieu franc où l'immunité de l'individu est respectée. Ce lieu d'asile est placé sous le contrôle d'une abbaye, d'un monastère ou d'un prieuré dès le début du XIe siècle, c’est pourquoi les moines multiplient les enclos sacrés matérialisés par des bornes en pierre appelées « pyramides ou bornes de sauveté » comme à Saint-Girons (Ariège) et surmontées de croix (Léguevin – Haute-Garonne). Ceci favorise l’éclosion de nombreux villages qui attirent vagabonds mais surtout paysans cherchant refuge contre la violence des guerres féodales. Petit à petit, elles vont donc incarner la permanence de la Trêve de Dieu car l’Église catholique frappe d'anathème ceux qui ne la respectent pas. Le territoire de la sauveté est divisé en casaus (enclos à bâtir avec jardin) et en terres labourables distribués aux colons (poblants) qui se voient offrir des libertés (libertas) et une protection de leurs biens et de leur personne.
En Gascogne, un inventaire montre que leur création s'échelonne de 1027 à 1141. Saint-Pé-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), Léguevin et La Salvetat-Saint-Gilles (Haute-Garonne), Nogaro (Gers) ou Saint-Nicolas-de-la-Grave (Tarn-et-Garonne) attestent de leur importance.
Des villes libres et un aménagement du territoire
Le phénomène des Bastides prend ses racines dans les conflits qui ont marqué l’histoire du grand Sud-Ouest. D’un côté, c’est la croisade contre les Cathares qui oppose les seigneurs languedociens aux croisés français ; de l’autre, c’est la Guerre de Cent ans qui voit s’affronter troupes anglaises et troupes françaises. Les populations souffrent de ces guerres qui se succèdent et n’en finissent pas. La fondation de villes nouvelles devient un moyen de s’attacher la fidélité des populations et de nourrir les caisses du Trésor de l’essor économique et des taxes liées aux échanges commerciaux. Plus de 500 villes vont voir le jour. Certaines ont disparu quand d’autres sont devenues des chefs-lieux de canton. Leurs noms évoquent leur statut : Villeneuve, Villefranche ou Labastide ; le parrainage d’une ville prestigieuse : Grenade, Barcelone, Pavie… ou encore le nom du fondateur - un roi (Montréal, Réalmont) ou son sénéchal (Montcabrier, Beaumarchès).
Un plan modèle se développe : villes ouvertes, tracé régulier orthogonal en damier, place centrale avec couverts, une halle, église à proximité de style gothique méridional. Parfois, pour des raisons stratégiques, les remparts poussent en même temps que les maisons.
Un contrat de parétage est à l’origine de leur existence. Il s’agit d’une entente entre un propriétaire foncier et l’autorité politique. Souvent de vastes abbayes qui s’associent avec un seigneur. Alphonse de Poitiers, frère de Saint-Louis fut l’un des plus importants promoteurs de villes neuves. Des chartes de franchises et de coutumes sont accordées aux habitants, un Code civil qui codifie les règles de vie communautaires et les avantages fiscaux. La halle symbolise l’identité d’une bastide, certaines sont exceptionnelles (Cologne, Grenade-sur-Garonne, Revel) pour leurs charpentes de bois. Elles accueillent le beffroi et la première salle du conseil de la ville ainsi que les poids et mesures permettant les échanges marchands.
Une petite balade ?
Dans le Gers, la route des Bastides et des Castelnaux : une route sinueuse en dos de chameau traverse les collines de l'Astarac jusqu’au Pays de d'Artagnan. Une cinquantaine de kilomètres à la découverte de Marciac (bastide royale) et de sa place (la plus vaste de Midi-Pyrénées) ; Barran (bastide) – et son clocher hélicoïdal rarissime dans la région ; L’Isle de Noé posé entre deux Baïses (la grande et la petite) ; Montesquiou (Castelnau) ; Bassoues - Bastide du XIIIe siècle fondée sur un antique site druidique. Superbe halle et donjon édifié en 1369 ; Beaumarchès (Bastide royale) fondée en 1290 ; Plaisance, la ville aux deux bastides : Tour d'angle carrée - Vestiges des remparts.
Autre itinéraire entre Gers et Tarn-et-Garonne, la route touristique "des bastides et villages fortifiés de la Lomagne" passant par Beaumont-de-Lomagne, son immense halle du XIVe siècle et son église fortifiée ; Saint-Clar un périmètre ecclésial et deux châteaux - de l’évêque et du seigneur dans la partie la plus ancienne le « Castet Bielh » ; Gramont bâti sur un éperon rocheux et son château agrandi à la Renaissance ; L’Isle-Bouzon - castelnau bâti sur un à-pic calcaire ; Lectoure - résidence principale des comtes d'Armagnac au Moyen Âge et ancien évêché posé sur son promontoire rocheux ; Fleurance (Bastide) et son église aux magnifiques vitraux Renaissance de l'artiste Arnaud de Moles.