Qui n'a jamais rêvé de fouler cette terre égarée aux confins de notre civilisation, mythique pour tout voyageur ? Au-delà de l'archipel de la Terre de Feu, la plus grande île d'Amérique du Sud partagée par le Chili et l'Argentine, il ne reste plus que l'Antarctique. Steppes, lacs et forêts composent les paysages de ce territoire où vient mourir la cordillère des Andes. Ce mélange de mer et de montagne est l'une des belles images que l'on garde, longtemps après son retour, de cette terre au bout du monde.
Selon plusieurs théories, les premières traces de peuplement de l'archipel remontent à plus de 12 000 ans. Mais les premières expéditions européennes découvrirent ce petit bout de terre, habité par quelques tribus indigènes, au cours du XVIe siècle. On estime à 10 000 habitants la population autochtone de l'époque, regroupée en quatre tribus : les Onas au nord (ou Selknam) et les Haush à l'est de l'île étaient des chasseurs ; les Yamanas (ou Yaghan), pêcheurs, habitaient au bord du canal de Beagle ; les Alakaluf, nomades et excellents marins, vivaient entre différentes îles, aujourd'hui chiliennes. Tous habitués à des conditions très dures de survie, ces peuples ne firent pourtant pas longtemps opposition aux expéditions européennes... Ils disparurent totalement sous la pression graduelle de la colonisation. Au cours du XIXe siècle, les côtes deviennent le terrain privilégié des chasseurs de loups de mer, mais sont aussi visitées par les explorateurs de l'époque dont Fitz Roy (voir " El Chaltén ") qui, à bord du Beagle, découvrit le canal, baptisé aujourd'hui du nom du bateau. Dès la fin du XIXe siècle, des éleveurs d'ovins vinrent se fixer sur ces terres étendues. Aujourd'hui encore, les exploitations agricoles sont d'une importance vitale pour l'économie de l'île. En ce qui concerne l'origine du nom " Terre de Feu ", les thèses varient. Une thèse plaisante veut que le territoire fut baptisé " terre de fumées ", en 1520, par Magellan en raison des fumées des Selknam que l'on percevait du détroit, et que Charles Quint, conformément à l'adage " il n'y a pas de fumée sans feu ", nomma plus tard l'île Terre de Feu. Il est en tout cas probable que les îles se présentèrent à Magellan toutes illuminées par les feux des indigènes qui y vivaient : les Alakaluf partaient plusieurs semaines d'affilée sur la mer et allumaient des feux dans leurs barques en permanence pour se maintenir au chaud.
Longtemps, l'intérieur de l'île resta inexploré. Ce n'est qu'en 1879 que l'expédition de Ramón Serrano Montaner la traversa entre la baie de Gente Grande (nom donné en référence à la taille des indigènes selknam) et la baie de San Sebastián, sur l'Atlantique. La première frontière entre l'Argentine et le Chili fut fixée en 1881. Elle dut plus tard être déplacée parce que la ligne droite qui la constituait passait au large des côtes argentines et séparait le territoire argentin en deux. La mise en valeur économique sur l'île commença à la suite de la première expédition avec l'implantation de sociétés d'élevage ovin, puis avec la découverte de l'or dans la région de Porvenir. L'Etat chilien mit en place un système de concessions. Ce système s'étendit à l'Argentine après l'accord passé entre les deux pays en 1899. Le développement de ces nouvelles sociétés entraîna une véritable guerre ouverte avec les indigènes selknam, accusés de détruire les troupeaux (alors qu'on venait de leur voler tous leurs territoires de chasse...). Malgré quelques initiatives isolées pour les protéger, leur nombre diminua rapidement jusqu'à l'extinction définitive de l'ethnie. Le système de concessions fut renouvelé jusqu'en 1965 dans la partie chilienne, date où la réforme agraire y mit fin. Le développement des quelques villes argentines de l'île (Río Grande, Porvenir, Ushuaia) fut en grande partie issu de la nécessité de disposer de pôles de services pour l'exploitation des sociétés ovines. Puis, la région connut un regain de croissance grâce à l'exploitation pétrolière à partir de 1945. L'avenir de la Terre de Feu passe peut-être par le développement du tourisme. Les gouvernements chilien et surtout argentin l'ont compris, et tentent de valoriser le potentiel de l'île (pêche sportive, trekking, stations de ski...). Jusqu'à aujourd'hui, l'île a été préservée de l'invasion des masses (surtout du côté chilien), une bonne raison pour profiter de ses charmes avant que la situation ne change.