Découvrez le Nord : À petit « pho »

Déguster un bol de pho (NB : prononcer « feu » avec un « eu » ouvert)… à Londres, après la relève de la garde à Buckingham Palace ; à Paris, en sortant d’une séance de cinéma dans le Quartier latin ; à Montréal, avant de se rendre à une exposition sur la place des Arts ; mais aussi à Moscou, Jakarta, New York, ou à Munich, Sidney, Rio de Janeiro… Porté par les diasporas vietnamiennes, qui, après 1975 et la prise de Saigon, ont fui le régime communiste, le pho, cette soupe de nouilles de riz originaire du nord du Viêt Nam, a connu une diffusion planétaire, parfois au point d’incarner la gastronomie vietnamienne dont pourtant, la richesse et la variété ne sauraient se résumer à un seul plat, fût-il devenu une star mondiale. Plat populaire par excellence, servi dans des gargotes obscures au petit matin qui précède une longue journée de labeur, le pho séduit dorénavant les grands chefs et s’invite sur la table des restaurants gastronomiques.

Les origines du pho

D’où est partie l’étincelle qui allait embraser le monde ? Les origines du pho se perdent dans la nuit des temps, la confusion des mémoires et la cuisine des théories plus ou moins fumeuses. Selon l’une d’entre elles, le pho ne serait qu’une adaptation de notre pot-au-feu et son apparition serait liée à la consommation croissante de viande rouge pendant la période coloniale. Avant la présence française, les bovins étaient essentiellement employés comme animaux de trait et la viande de bœuf, réservée aux jours de fête, figurait rarement au menu des Vietnamiens. Également à l’appui de cette thèse de l’influence française, une ressemblance frappante entre le pho et le pot-au-feu, relevée par les plus fins des maîtres-queux : l’échalote et le vieux gingembre brûlés à la plaque du premier font écho à l’oignon cuit sur le gril du second. Pour les deux plats, l’usage de la même méthode, qui permet de rehausser le goût et de conserver les vertus nutritionnelles. Elle contribue à l’identité du pho qu’elle distingue des autres soupes de nouilles asiatiques. Une autre généalogie, pas incompatible, situe les origines du pho à Nam Dinh, une ville au sud du delta du fleuve Rouge qui, au début du XXe siècle, devint un bastion de l’industrie textile avec l’installation de la « Cotonnière ». En 1939, au sommet de son activité, la « Cotonnière » tournait 24 heures sur 24, avec trois équipes travaillant huit heures chacune. Elle employait près de 14 000 ouvriers et un effectif européen de 38 personnes. L’apparition du pho serait donc la conséquence de l’industrialisation. De nouveaux modes de vie – les « trois huit », le brassage des populations française et vietnamienne, l’émergence du salariat, de la classe ouvrière – auraient suscité l’invention d’une nouvelle cuisine. Le pho met face-à-face un consommateur et son bol, une situation qui contraste avec la scénographie traditionnelle du repas vietnamien, pris en famille, autour d’un plateau (le mâm) commun. La préparation du pho dans d’immenses marmites et son caractère de plat unique et rassasiant sont parfaitement adaptés aux nécessités de la restauration collective et au rythme de la rotation des postes dans les ateliers de filature. Le succès du pho à l’heure de la mondialisation bouclerait donc la boucle et ne ferait que renvoyer à son acte de naissance, au carrefour d’influences étrangères et de nouveaux modes de production.

L’essence du pho

Mais qu’est-ce au juste que le pho ? Selon les définitions les plus courantes, il s’agit d’un plat vietnamien servi dans un bol individuel, préparé à base de pâtes de riz fraîches (banh pho), fixées par cuisson à la vapeur, découpées en lamelles minces et sur lesquelles sont placés des morceaux de bœuf ou de poulet déjà bouillis, un oignon et une ciboule. On arrose avec le bouillon d’os et de crevettes séchées, mijoté à feu doux et aromatisé avec diverses épices. Chacun, ensuite, assaisonne selon son goût avec du piment, du vinaigre, du nuoc mam (saumure) ou un jus de citron. Mais on sent bien que le pho ne peut se laisser enfermer dans la notice des dictionnaires. Le pho relève plus de l’alchimie que de la chimie, de l’élixir que de la formule. Point de dosimètre ou d’ingrédient pesé au trébuchet. À chaque cuisine, le secret du chef et un goût différent où interviennent notamment les techniques de cuisson, qui déterminent la manière dont le bouillon s’enrichit à feu doux des précieux nutriments libérés par les os et dont il sublime les arômes distillés par les herbes et les épices. Au goût s’ajoute également le jeu subtil des textures où se rencontrent le velouté des nouilles (le pho s’apprécie aussitôt servi, sinon les nouilles se noient et perdent leur tenue), la douce résistance du bœuf finement tranché et le croquant des pousses de soja fraîches rajoutées au dernier moment (venues du Sud, elles ont conquis le Nord). Le pho est également le produit d’une histoire toujours en marche et il ne cesse d’évoluer. Le pho du Nord (pho bac) diffère ainsi du pho du Sud (pho nam). Après les accords de Genève, en 1954, des centaines de milliers de Tonkinois fuient le régime communiste et préfèrent s’installer au Sud. Ils emportent avec eux la mémoire du pho, mais celui-ci, sous l’influence d’un style de vie moins frugal, va se transformer. Le pho nam, qui n’est pas moins authentique que le pho bac, fait des infidélités au bœuf. Il accommode le poulet (pho ga) et même les tripes. Les garnitures d’herbes sont plus abondantes et diversifiées, l’usage du nuoc mam est beaucoup plus généreux. Trahison des pères et mères fondateurs ? Non, il faut que tout change pour que rien ne change et n’en déplaise aux faux prophètes, le pho bac, confronté aux pénuries du temps de guerre, était plus souvent un pho lon (pho au porc) qu’un pho bo (pho au bœuf). Certes, tout n’est pas permis. Du pho au saumon, voire au foie gras, est-ce encore du pho ? Face aux expérimentations hasardeuses et sans lendemain, le pho n’a pas besoin qu’on le défende. Né d’une interférence étrangère, il est paradoxalement devenu une sorte de totem national, témoignant de la résilience de l’identité vietnamienne, capable de s’enrichir sans se trahir.

Last but not least, du point de vue diététique, le pho est un plat équilibré, très sain et léger qui convient à toute la famille. Le bouillon d’os renforce le système immunitaire, nourrit les articulations, atténue les troubles du système digestif, renforce la minéralisation osseuse, agit sur la perte de poids… Les herbes et les épices constituent un véritable cocktail de minéraux, d'oligo-éléments et de vitamines. Soupe populaire consommée par toutes les classes sociales, appréciée dans le monde entier, elle n’est cependant jamais aussi bonne que dans une gargote vietnamienne. Un rendez-vous incontournable pour le voyageur, qui très vite exigera son pho quotidien. À Hanoi, le pho est plutôt du matin et on trouve de très bonnes adresses dans le Quartier central et dans le Vieux quartier (ex. : Pho Su'ong, Pho Gia Truyên, Pho Thin).

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