Richesses vernaculaires
Désormais objets d’attention et de préservation, les sites de métallurgie ancienne en pays Bassar vous étonneront par leur ingéniosité millénaire que révèlent les vestiges de hauts-fourneaux de fonte, de forges et de sites de concassage, tous témoins des potentialités de la terre. Les grottes de Nok, Maproug, Kouba et Bagou sont, elles, des témoins précieux de la période trouble qui secoua le pays entre les XVIIIe et XXe siècles. Nombreuses sont les populations à y avoir trouvé refuge, s’établissant dans d’ingénieux habitats troglodytes. Mais les plus étonnants témoins de cette occupation sont les greniers qui y ont été taillés et sculptés dans la pierre, la paille et l’argile, reprenant les formes des greniers traditionnels des maisons rurales. Oblongs, cylindriques ou semi-sphériques, ils s’ouvrent vers le haut et laissent deviner une profondeur qui peut aller jusqu’à 25 m. Du XVIIIe siècle, la région de Notsé conserve de précieux vestiges du royaume d’Éwé. Là, vous pourrez encore observer des restes des remparts d’argile érigés par le roi Agokoli, de même que des traces de pavements et d’habitations, signalant une occupation humaine et « urbaine » plus ancienne encore. Concernant l’architecture traditionnelle, les matériaux privilégiés au Togo sont la terre (compactée en briques), le bois et le bambou ou palmier. Le long de la côte, les maisons de plan rectangulaire déploient leurs ossatures de bois complétées par un torchis d’argile ou des branches de palmiers ou de cocotiers, et surplombées d’un toit en chaume. Dans les zones intérieures, les populations privilégient la brique de terre, le plâtrage de boue et les toits de chaume. Tous ces éléments combinés offrent un étonnant pouvoir isolant. La plupart des villages sont organisés en groupes d’habitations encloses dans ce que l’on appelle des soukalas, des enclos permettant de délimiter l’enceinte où habite une même famille. À l’intérieur, les habitations prennent l’aspect de cases-chambres circulaires qui s’organisent autour de terrasses et d’espaces de rencontre. Des éléments que l’on retrouve dans l’incroyable architecture du peuple Batammariba, dans la région du Koutammakou. Le nom même de ce grand peuple signifie « ceux qui façonnent la terre », « les bons maçons ». Le panthéon spirituel des Batammariba est régi par Kuiye, grande figure solaire et tutélaire et architecte suprême qui est connu pour s’être construit une Tata Somba ou maison fortifiée dans son village solaire à l’ouest du Ciel. Sur terre, son peuple en reproduit toutes les caractéristiques (les maisons sont toujours orientées à l’ouest) dans une architecture mêlant savoir-faire, technicité et spiritualité. En batammariba, on parle de takyenta, un mot qui signifie « maison » mais aussi « famille ».
La maison est considérée comme un membre à part entière de la famille et fait l’objet de toutes les attentions. Traitée comme un nouveau-né, elle est enduite, à sa création, de lotions à base de fruits et d’huile pour que sa peau devienne plus épaisse et résistante. Les matériaux utilisés pour construire ces authentiques châteaux sont la terre crue (banco), l’argile, le sable, le bois, la pierre, la paille de millet et l’eau pour façonner la terre. Ces maisons, tourelles arrondies à deux étages, avec des toits plats ou au contraire coniques et en chaume, s’organisent en village comprenant également des espaces cérémoniels, des sources et rochers sacrés et des sites réservés aux rites initiatiques. L’autre élément indissociable de la takyenta est son grenier, le plus souvent semi-enterré, donnant à la maison une forme quasi sphérique surmontant une base cylindrique. Au-dessus du grenier, le rez-de-chaussée est réservé aux bêtes, tandis que les étages accueillent les pièces d’habitation. De l’extérieur, ces maisons fortifiées sont quasiment aveugles, n’offrant que de rares petites ouvertures permettant de voir sans être vu et de tirer des flèches sur d’éventuels assaillants. L’architecte, ou otammali, est l’un des membres les plus respectés de la communauté et il ne peut d’ailleurs prétendre à ce titre qu’une fois sa première takyenta construite. Il atteindra le grade de maître architecte à sa dixième construction. Le cycle de vie de l’habitat batammariba est simple : construction, abandon, destruction et reconstruction sur les ruines. Construire sur une zone précédemment occupée permet de s’assurer qu’aucune force malveillante n’est présente. La spiritualité est partout présente, dans les lisenpo, ces petites monticules de terre flanquant l’entrée des maisons, répliques miniatures des maisons et gardiennes des âmes des habitants. Une ouverture, une cavité, un anneau d’argile seront autant d’éléments symbolisant la communication avec l’un des dieux du panthéon batammariba. Si les hommes s’occupent de la construction, les femmes s’occupent, elles, du plâtrage des murs et des sols, et ce sont elles qui donnent aux murs de ces châteaux de terre leur aspect strié. Ces rainures tracées dans la terre encore humide sont comme les cicatrices portées par les femmes après qu’elles ont donné naissance. La takyenta devient symbole de fertilité. Un habitat extraordinaire témoignant d’une relation harmonieuse entre l’homme et la nature aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Passé colonial
De toutes les puissances qui imposèrent leur présence au Togo, c’est sans doute celle de l’Allemagne que l’on remarque le plus. Avec le Togoland, les Allemands désiraient mettre en place une « colonie modèle ». Pour cela, ils systématisèrent le travail forcé afin de construire un chemin de fer desservant les parcelles qu’ils cédaient à un prix fort avantageux à leurs citoyens et sur lesquelles furent bâties de nombreuses plantations, de café notamment. Dans les zones ainsi occupées, bureaux de districts, stations militaires et palais se parent d’un mélange d’éléments résolument européens (tourelles crénelées néogothiques, frontons et colonnades néoclassiques) et d’éléments témoignant d’une recherche d’adaptation au milieu et au climat (fondations de pierre, porches et galeries, balcons sculptés…).
Le plus célèbre témoin de cette présence allemande est le palais des Gouverneurs de Lomé, construit entre 1898 et 1905 à la demande du gouverneur allemand August Köhler, et se déployant dans une architecture monumentale sur près de 2 000 m2. L’objectif était que les navires croisant au loin ne puissent pas manquer son impressionnante splendeur. Flanqué de deux tours de 18 m de haut, il abrite de longs couloirs bordés d’arcades, de vastes patios et terrasses… des espaces gigantesques auxquels on accédait autrefois par un arc triomphal constitué de deux défenses d’éléphants. Un somptueux palais transformé aujourd’hui en centre culturel. Une monumentalité que l’on retrouve dans l’improbable château Viale à Kuma Konda. Construit entre 1940 et 1944 par un Allemand tombé amoureux du panorama offert par le mont Kloto, le château aux atours néogothiques n’était alors desservi par aucune voie goudronnée. Les tonnes de matériaux furent donc acheminées à dos d’homme… À la fin des années 1970, le président en fit sa résidence officielle, y installant l’électricité, marbrant les sols et offrant enfin une voie d’accès goudronnée… mais depuis, ce mastodonte crénelé est à l’abandon.
Kpalimé possède quant à elle une église néogothique avec tourelle s’élançant vers le ciel, rosace, fenêtres géminées trilobés et arcs en lancette. Mais la plus célèbre église du pays reste bien sûr la cathédrale de Lomé… mais ne vous y trompez pas, cette église ne fut pas érigée par les Allemands mais par des missionnaires néerlandais qui en firent la réplique exacte de l’église de Steyl, petite ville des Pays-Bas dont ils étaient originaires. La cathédrale est aujourd’hui célèbre pour ses flèches ouvragées, ses bancs en bois sculptés et son très beau cycle de fresques. Les missions religieuses firent également construire de nombreuses églises et écoles à travers le pays, dans des styles, là encore, résolument néo. L’agglomération Aného-Glidji abrite de nombreux exemples de cette architecture coloniale européenne. Elle possède également des témoins d’un style afro-brésilien baptisé Porto-Novo, du nom de la ville où s’installèrent d’abord les esclaves brésiliens affranchis avant de se déplacer jusqu’au Togo. Certains de ces nouveaux hommes libres devinrent de riches commerçants et entrepreneurs, d’autres se spécialisèrent dans l’artisanat et le bâtiment. L’association de la richesse des premiers et du savoir-faire des seconds donna naissance à un style unique dont beaucoup de boutiques se font aujourd’hui encore les témoins. Au rez-de-chaussée, la boutique ; au premier étage, les habitations ; à l’arrière, une cour où les familles se rassemblent. Les plans sont simples et souvent carrés, tandis que la décoration, certes plus sobre qu’à Porto-Novo, se fait malgré tout fantaisiste avec des courbes et des couleurs animant les façades.
Ne manquez pas non plus la maison des Esclaves ou Wood Home à Agbodrafo. Si elle dénote un intéressant style afro-brésilien avec sa structure mêlant ciment, briques cuites, lattes de palmier, tôles galvanisées et sable de mer, elle est surtout un témoin précieux de la sombre période du commerce triangulaire qui meurtrit la région des siècles durant. Enfin, le Togo vit également apparaître quelques exemples de néoclassique inspiré d’un style dont les colons anglais raffolaient au Ghana. Galeries à colonnades et balcons à colonnettes s’y comptent à foison. De toutes ces influences, les habitants de Lomé tirèrent un style unique qu’ils exprimèrent dans des maisons aux murs de briques assez épais pour maintenir la fraîcheur, flanqués de contreforts colorés et rythmés par de jolis volets en bois, l’ensemble étant protégé par un mur encerclant la parcelle et percé d’une porte aux étonnants décors de marquèterie. Ce style se développa particulièrement dans l’entre-deux-guerres.
Renouveau contemporain
Les années 1970 et l’indépendance marquent un tournant majeur dans les pratiques architecturales. Le parpaing de ciment remplace désormais la brique. L’une des explications à ce changement résonne étrangement avec notre époque actuelle : les cocoteraies ayant disparu des périphéries des villes du fait d’une urbanisation croissante, les briquèteries ne peuvent plus utiliser les sous-produits du cocotier qui permettaient d’obtenir un combustible quasiment gratuit et face au prix dissuasif du mazout, les entreprises se tournent donc vers le ciment plus accessible… mais guère adapté aux conditions climatiques du pays. Preuves en sont les « maisons-wagons » qui fleurissent alors en nombre dans les rues de Lomé. Surmontées de tôle, elles sont de véritables étuves. À l’opposé, les habitants les plus aisés continuent de se faire construire d’opulentes villas aux angles arrondis mêlant styles européens et afro-brésiliens. Face à une croissance urbaine qu’il est de plus en plus difficile de juguler et qui s’accompagne d’une prolifération d’habitations précaires, l’École africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme (EAMAU), institution inter-États fondée en 1976, imagine alors des programmes visant à accompagner les villes africaines pour mieux encadrer l’urbanisation et lutter contre la macrocéphalie des capitales, au profit de villes moyennes où la nature pourrait retrouver sa place. Des actions que l’école mène aujourd’hui encore, comme le montre l’un de ses anciens élèves, Eya-Eza Kao, jeune architecte qui impose sa marque en Afrique de l’Ouest. Au Togo, on lui doit l’étonnant hôpital Braun à Ankassé principalement réalisé en terre cuite ; le siège de l’African Guarantee Fund de Lomé alimenté en énergie solaire et faisant la part belle au mobilier durable en bois ; mais aussi et surtout le nouveau siège de la Société africaine des biocarburants et énergies renouvelables, prônant la durabilité via l’énergie solaire, l’éclairage basse consommation, les façades ventilées, les systèmes de récupération des eaux de pluie et l’utilisation de la brique de terre comprimée et grand symbole du renouveau du quartier Lomé II, sorti de terre dans les années 2000, à l’occasion du sommet de l’Union africaine, et dont les larges avenues boisées et l’atmosphère rurbaine d’origine font aujourd’hui place à un bouillonnement engendré par la présence de nombreuses entreprises qui y implantent leurs sièges de verre et d’acier.
Une fièvre constructrice que l’on retrouve aussi sur la côte avec la construction de nombreux hôtels… même si le plus célèbre de tous les complexes hôteliers est à Lomé. Il s’agit de l’hôtel du 2 Février, récemment rénové, dont il est difficile de manquer la tour de 100 m de haut surplombant la place de l’Indépendance, cœur vibrant de la capitale, bordée d’édifices de béton qui rappellent l’effervescence de l’indépendance. Cette vitalité architecturale s’accompagne cependant de réflexions urbanistiques visant à plus d’équilibre. Le plan général du Grand Lomé s’est ainsi fixé l’objectif, à l’horizon 2030, d’assurer à la capitale un développement spatial harmonieux et durable, de lutter contre l’habitat précaire en améliorant les logements et les services urbains, tout en luttant plus efficacement contre les effets du réchauffement climatique. La ville a notamment curé et réhabilité ses caniveaux et créé ou remis à niveau les bassins de rétention d’eaux pluviales afin de contrer les effets des inondations à répétition. Autant de projets qui montrent combien le Togo est aujourd’hui engagé dans une recherche mêlant modernité et durabilité !