Culte vaudou
Aux sources de la culture togolaise, le vaudou est pratiqué par plus de la moitié de la population. Apparu dans les dernières décennies du XVIe siècle, sur les rives du fleuve Mono, entre le Bénin et le Togo, le culte vaudou se base sur le dieu suprême Sègbo Lissa, entouré de cent cinquante divinités et forces invisibles, dont Mami Wata (déesse de l’eau) ou Hêvisso (dieu du tonnerre). On le rencontre sur le marché d’Akodessewa (marché des fétiches) à Lomé. Les objets, masques et statues, aident l’homme à s’attirer la bienveillance du monde surnaturel dans son ensemble. Le prêtre invoque le concours de Papa Legba à chaque cérémonie pour faciliter l’échange entre les deux mondes. Interdit par les colons, le culte est devenu secret, puis a intégré les rites catholiques. C’est ainsi qu’est apparu un « vaudou chrétien » dans les années 1950. Ces apports ont participé à la diversité iconographique des objets vaudous. Matériaux naturels et traits anthropomorphes caractérisent la plupart des productions. Encore très présent dans le quotidien des Togolais, le vaudou inspire musiciens et plasticiens.
Restons le long du boulevard du Mono, à Lomé, pour explorer le musée international d’Art d’Afrique. Dans une demeure entourée d’un jardin, de superbes pièces rassemblées par le collectionneur René David invitent à découvrir un art qui impose le respect. Plus de 1 600 objets (statues, sculptures de portes, gravures, poteries) en bois, terre cuite, fer ou bronze reflètent la variété des ethnies africaines. Le musée a été repris par le collectionneur Ching Heng Cheng qui a complété la collection avec d'autres œuvres africaines. Les multiples facettes de la culture togolaise sont présentées au Musée national de Lomé. L’histoire locale y est racontée à travers des cartes peintes, des dessins et des photos d’autrefois, ainsi que toutes sortes d’objets dont des sculpture sur bois.
Plasticiens modernes
Faute d'école supérieure artistique, les Togolais sont autodidactes ou formés à l'étranger. Les premiers, restés au pays, ouvrent volontiers les portes de leurs ateliers. Les seconds font carrière en Europe mais reviennent s'investir dans des événements destinés à promouvoir la culture togolaise. Ainsi, on rencontre à présent des talents individuels plus que des courants.
La période moderne semble débuter avec Paul Ahyi (1930-2010). Artiste officiel de l'État, il est celui qui a dessiné le drapeau national. Formé à Dakar, Paris et Lyon, ce sculpteur, peintre, architecte et auteur retourne au Togo avec un style imprégné d'Occident, et une forte envie de faire bouger les lignes. Il est salué par tous comme la seule personnalité à avoir eu de l'influence sur les décisions culturelles. Ses œuvres monumentales, mosaïques et sculptures, décorent désormais les places, parcs publics et bâtiments de la capitale et un musée y a vu le jour, le musée Agnassan Paul Ahyi. Sa joie de vivre se reflète dans tous les aspects de sa production.
Jimi Hope, de son vrai nom Koffi Senaya (1956-2019), est lui aussi multidisciplinaire. Hope a conjugué ses talents de peintre, de sculpteur et de musicien avec éclat. Connu comme le premier chanteur de rock africain, il a laissé parmi ses dernières œuvres la fresque Le Chemin de la paix, au cœur de la ville de Lomé, le long de la nationale 1. Ce projet collectif, le dernier auquel l'artiste ait participé avant de s'éteindre, a réuni une vingtaine de plasticiens togolais.
Kossi Assou se dit chanceux d'avoir pu suivre un enseignement à Abidjan. Plasticien et designer, il ne manque pas de soutenir l'art contemporain au Togo. Après ses études, il décide de partager ses connaissances au sein de son atelier. Il fonde en 1993 l'espace culturel Artistik, prolongé par le festival Ewolé. Durant neuf ans, l'événement accueille des artistes de partout. Ce qui fut la première rencontre d'art contemporain au Togo a mis la clé sous la porte par manque de financements.
Quant à Jean Koumy, il est sans aucun doute l'un des artistes plasticiens les plus en vogue sur le continent africain. Ses peintures, principalement acryliques, et sculptures s'inscrivent dans la lignée du mouvement CoBra et Pop Art. Elles sont colorées, pleines de vie avec des personnages, des animaux, des papillons, des fleurs, et de nombreux cœurs qui reviennent dans une grande partie de ses œuvres, comme pour laisser un message de paix et d'amour. Plus connu à l'étranger, notamment en Belgique, l'artiste est revenu sur ses terres d'origine en 2016 afin de marquer son pays de sa touche artistique. Très appréciées, ses œuvres sont présentes dans de célèbres collections.
Scène actuelle
Le président Faure Gnassingbé, grand amateur d’art, a mis en place un fonds de soutien à la culture. Il est à l’origine du Chemin de la paix, l’œuvre collective réalisée par une sélection d’artistes togolais.
L’ouverture du palais de Lomé va dans ce sens. Au programme du centre culturel, des expositions rendent hommage aux valeurs sûres tel que le designer Kossi Aguessy, et présentent de nouveaux talents. Ainsi le lieu soutient le projet « TogoYeye » (Togo Nouveau en éwé), destiné à célébrer les créatifs togolais comme la photographe Delali Ayivi.
Cependant, parmi les rares galeries d’art qui ont vu le jour au Togo, peu d’entre elles ont résisté aux tempêtes. Signalons la Galerie AF dédiée aux arts premiers et contemporains. Elle défend notamment l’artiste Camille Tété Azankpo qui détourne des objets comme des bassines d’émail et des plateaux métalliques. Comme la plupart de ses contemporains, ce dernier expose dans son atelier de Lomé niché au fond d’un jardin. La Galerie Néo a choisi le format numérique pour durer. Dans son format consultable en ligne, la galerie dirigée par l’artiste Kobla Éric Wonanu, dit Cham, encourage les artistes émergents.
La création togolaise se fait connaître en dehors des frontières.
Le peintre autodidacte né en 1986, Richard Laté Body Lawson, débute par la calligraphie. Son atelier, en annexe de sa maison, regorge d’objets. Ses créations contemplatives interrogent le regard. Soucieux de l’environnement, il alerte sur la pollution des fonds marins dans des œuvres abstraites. Depuis peu, il édite son travail en numérique.
Apprécié aux États-Unis, le peintre Kodjovi Olympio a débuté dans les rues de Los Angeles où il s’est rapidement fait un nom. Comparées à Jackson Pollock, ses œuvres abstraites de nature impulsive font sensation comme à l’Art Basel de Miami. Il n’oublie pas pour autant le Togo, où il a participé à la 3e édition du Western Voodoo, un événement artistique qui réunit des artistes de plusieurs domaines dans une caravane. À l’initiative de ce projet, on retrouve le passionné Alain Fassier, fondateur de la Galerie AF. Au cours de ses précédentes éditions, Western Voodoo a accueilli à son bord Sokey Edorh, né en 1955, pour qui voyage et création sont intimement liés. Après des études de philosophie, il s’initie à la gravure à Bordeaux puis Paris. Exposé à travers le monde, il associe comme nul autre les réalités africaines et l’abstraction occidentale dans des œuvres incluant de la terre rouge. Pendant que ses œuvres, détachées de toute quête du « beau », sont montrées aux États-Unis et en Allemagne, Sokey Edorh a choisi d’établir son atelier à Lomé.
Sculpture togolaise
Les artistes togolais s’illustrent également en sculpture. Parmi les grands talents de cet art ancré dans les traditions africaines, Goha Atisso a été primé au concours international de sculpture en Égypte. Ce jeune artiste expose pour la première fois en 2019, à la galerie d’art contemporain Négrillis à Lomé. Les Totems d’Atisso, ses géants en bois sculptés, sont agrémentés d’objets de récupération, boîtes de conserve et chutes de matériaux divers, afin de sensibiliser à la protection de l’environnement tout en rendant hommage à ses ancêtres.
Le recyclage est au cœur des préoccupations des sculpteurs contemporains. Camille Tété Azankpo associe au bois le papier, les affiches publicitaires et les bassines émaillées. Serge Anoumou a recours au tissu pour donner forme à ses personnages. Doé Mensah, ancien étudiant de l’École des beaux-arts d’Abidjan, récupère la sciure de bois et des toiles de juste pour relater des histoires par l’image. Il s’inspire également de musique pour rythmer son univers visuel.
Sitou Matthia, pionner du graffiti
Dès les années 2000, les qualités artistiques de Sitou sont saluées dans le milieu de l’art urbain. Passionné de dessin, il s’immerge alors dans la culture hip-hop. Au Togo, le graffiti est encore balbutiant. Seul Max de Campos, son modèle, peignait sur les murs. Il se forme au graphisme, puis lors du festival Ouaga Hip-Hop, au Burkina Faso, il a le déclic : il souhaite être acteur de l’art urbain. Pour cela, il participe à plusieurs manifestations à travers le continent africain, comme The Wall au Togo, pour promouvoir le graff sur une scène en pleine explosion.
Installé à Paris, l’artiste aime par tradition faire voyager son talent. Sénégal, Belgique, Bénin ou Suisse, il arpente le monde pour semer ses fresques un peu partout. En région parisienne, il s’attelle à embellir l'espace public notamment à Vitry-sur-Seine, haut-lieu du Street Art. Le graffeur togolais y a réalisé un fabuleux caméléon multicolore. Il faut savoir que ce motif est un symbole fort dans la culture vaudou, le caméléon étant celui qui transmet le message divin aux hommes.
Son caméléon orne aussi un mur de la rue de l’Ourcq à Paris, qu’il partage avec DaCruz. Là, le reptile évoque la diversité du quartier. Car Sitou aime s’inspirer de l’environnement dans lequel il peint. Impliqué dans le festival Kin-graff, qui a lieu au Congo, il utilise son art à des fins de communication et d’éducation. Les messages peints sur les murs ont l’avantage de durer plus longtemps que les paroles …
Au Togo, dans les peintures murales à vocation éducative, les questions sanitaires arrivent en premier plan. En 2020, le projet « Djé-Ayé, Art to Raise Awareness » a eu pour ambition d’éveiller les personnes marginalisées du Togo, en particulier les enfants des rues, à la pandémie de Covid-19. Les messages véhiculés par l’image sont plus percutants que tous les discours, car lisibles en un coup d’œil. Pour autant, la campagne de réalisation de fresques s’est accompagnée d’actions de sensibilisation aux mesures préventives. Quoi de mieux qu’impliquer les enfants pour les toucher ? Voilà comment dix fresques ont été réalisées en collaboration avec les enfants de la capitale, spécifiquement les 3 000 jeunes qui sont livrés à eux-mêmes. Ce faisant, ils ont bénéficié d’une initiation au dessin et aux métiers artistiques. Avant cela, ils ont été invités à soumettre des dessins représentant les mesures sanitaires de leur choix. Les artistes se sont ensuite inspirés de ces modèles pour élaborer les œuvres murales visibles dans les rues de Lomé. Quand l’art est bon pour la santé !