Des écosystèmes sous pression
Forêts menacées. L’Albanie est le seul pays d’Europe à voir ses forêts diminuer. Elles couvrent 1,05 million d’hectares (10 500 km²), c’est-à-dire 36 % du territoire, contre 80 % en 1943. Ceci est le résultat d’une exploitation intense durant l’ère communiste et d’un déboisement illicite d’une ampleur inégalée depuis 1992. La situation est telle qu’en 2016, le Parlement a voté l’interdiction d'exploiter les forêts pendant dix ans. Pourtant, le déboisement illégal continue et l’on coupe de 2 à 3 fois plus d’arbres qu’on en replante. Le pays a encore perdu 400 ha entre 2016 et 2019. Dans le même temps, l’État a lui-même vendu 600 ha de forêts à des compagnies pour l’exploitation minière et hydroélectrique. Les forêts primaires, avec des arbres âgés de plus de 120 ans, ont quasiment disparu : elles représentaient 7 % du territoire en 1997 et moins de 1 % aujourd’hui. Appelé ahu en albanais, le hêtre commun (Fagus sylvatica) est l’arbre le plus courant, puisqu’on le trouve à travers tout le pays entre des altitudes de 800 à 1 900 m. Les principales forêts de hêtres sont situées dans la partie est, tandis qu’ailleurs on trouve des forêts mixtes où le hêtre côtoie le sapin blanc (Abies alba), le pin noir (Pinus nigra), le pin de Bosnie (Pinus heldreichii) et le pin de Macédoine (Pinus peuce). Seuls ces deux derniers poussent au-delà de 1 600 m d'altitude.
Cours d’eau en danger. Les neuf fleuves et grandes rivières d’Albanie souffrent de la déforestation et, surtout, du développement de la production hydroélectrique. Lancée sous la période communiste, la construction de barrages s’est emballée depuis 1992, si bien que pratiquement tous les cours d’eau du pays ont été modifiés, et avec eux, toute une partie de la biodiversité sacrifiée. Seule la Vjosa, 2e plus long fleuve du pays (272 km, dont 80 km en Grèce), échappe encore au désastre. Elle est d’ailleurs considérée comme l’un des derniers cours d’eau sauvages d’Europe. Mais un immense barrage devrait être installé près de Përmet, transformant à jamais la Vjosa. En tout, le pays prévoit de porter le nombre de centrales hydroélectriques de 150 actuellement à 440.
Zones humides en convalescence. À l’image de la lagune de Karavasta, les zones humides se portent plutôt bien. Car, contrairement aux forêts et aux cours d’eau, les lacs, lagunes et deltas ont plutôt bénéficié de l’effondrement de la dictature. Durant la période communiste, ces zones ont été drastiquement aménagées pour les besoins de l’agriculture. Faute d’entretien depuis 1992, elles retrouvent peu à peu leur état originel. Malgré la pollution du port de Durrës, elles constituent aujourd’hui des sanctuaires pour des milliers d’oiseaux migrateurs sur la route de l’Afrique ou de l’Asie. C’est le cas du très rare pélican frisé (Pelecanus crispus). Cette espèce menacée a fait du littoral entre Durrës et Vlora son principal site de reproduction en Europe. En 2019, les lagunes de Narta et de Karavasta ont ainsi accueilli plus de 200 pélicans frisés, dont 69 couples ayant nidifié sur place. On constate aussi des améliorations aussi autour des lacs, comme celui de Prespa, autre paradis des ornithologues. En revanche, tout au sud, la lagune de Butrint présente un bilan négatif.
Les espèces dangereuses
Si certaines petites bêtes méditerranéennes peuvent faire peur, elles sont souvent sans danger. En fait, l’espèce la plus dévastatrice en Albanie, c’est l’homme.
Araignées. Parmi les 491 espèces recensées dans le pays, une seule présente un danger pour l’homme : la veuve noire méditerranéenne (Latrodectus tredecimguttatus). Reconnaissable à son gros abdomen couvert de taches rouges, on la trouve aussi en Corse. En Albanie, elle est responsable de quelques décès depuis les années 2000, dont deux pour la seule année 2006. Pour autant, sa morsure n’est mortelle que dans 1,7 % des cas. L’autre inquiétude, c’est l’apparition de nouvelles espèces qui prolifèrent du fait du réchauffement climatique et pour lesquelles il n’existe pas encore de données scientifiques en Albanie. Par ailleurs, le pays ne compte qu’une seule espèce endémique : l’Harpactea albanica, petite, rare et sans danger pour l’homme.
Scorpions. Vous en croiserez sûrement, aussi bien près des côtes qu’en montagne… et même dans votre salle de bains, comme cela nous est déjà arrivé. Mais sur les six espèces présentes en Albanie, seul le scorpion méditerranéen (Mesobuthus gibbosus) possède un venin toxique. De couleur jaune ou sable et d’une longueur de 7 cm, il n’a causé ces dernières années que quelques cas d’hospitalisation, mais aucune complication ni décès. Il n’est donc pas dangereux pour un homme en bonne santé. Les amateurs chercheront la seule espèce endémique du pays : l’Euscorpius beroni. Petit, marron et inoffensif, il est présent dans les Alpes albanaises, à partir de 1 400 m d’altitude.
Serpents. Parmi les seize espèces vivant en Albanie, trois sont considérées comme dangereuses pour l’homme. La plus venimeuse est la vipère cornue (Vipera ammodytes), mais elle n’a causé aucun décès récemment dans le pays. Identifiable à sa corne, elle mesure de 45 à 95 cm de longueur. On la trouve dans tout le pays jusqu’à 1 800 m d’altitude. Son venin est très toxique et nécessite une prise en charge médicale rapide. Les deux autres espèces dangereuses sont la vipère péliade (Vipera berus) et la vipère d’Orsini (Vipera ursinii) que l’on trouve aussi en France. Leur morsure occasionne plus rarement de graves complications.
Raretés de la faune et de la flore
Longtemps isolée et mal connue, l’Albanie révèle peu à peu une faune et une flore bien plus riche que l’on imaginait.
Espèces endémiques. On n’en compte que très peu. Seulement 81 espèces sont originaires uniquement d’Albanie, contre 2 000 pour la Grèce voisine. Mais les chercheurs n’ont commencé à s’intéresser au pays que très récemment, si bien que l’on découvre de nouvelles espèces presque chaque année à présent. Ainsi, parmi les 30 plantes endémiques, 2 jolies fleurs sont connues depuis peu. La tulipe d’Albanie (Tulipa albanica) a été identifiée en 2010 à Surroj, près de Kukkës. Ses pétales sont rouges ou jaunes. L’ail albanais (Allium albanicum) a quant à lui été découvert en 2018. Il donne de petites fleurs blanches et ne se trouve que dans les terrains rocailleux de la partie nord. Côté insectes, 13 espèces locales sont référencées, dont l’une depuis 2019 : un arthropode ravageur appelé Vadonia albanica. Il existe aussi 5 espèces d’escargots et 2 de poissons vivant dans les rivières sauvages du Sud-Est. Enfin, l’Albanie possède 5 insectes et invertébrés endémiques dont le scorpion évoqué précédemment, Euscorpius beroni, découvert en 2000.
Tortues. Le pays abrite 8 espèces, la plupart rares et/ou menacées. Le littoral albanais constitue une zone de nidification pour quatre espèces marines : la tortue verte (Chelonia mydas), la tortue luth (Dermochelys coriacea), la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata) et la caouanne (Caretta caretta). Mais du fait du tourisme, leur présence est devenue sporadique sur les plages. Par exemple, la tortue imbriquée n’a été aperçue qu’une fois, en 1997. Toutefois, des efforts sont faits avec la création en 2016 du centre des tortues marines de la lagune de Patok, au sud de Lezha. Les 2 tortues d’eau douce sont mises en danger par la pollution : la petite cistude (Emys orbicularis), également présente dans le sud de la France, et la Mauremys rivulata, typique des Balkans. Enfin, deux espèces terrestres déclinent fortement du fait de la déforestation : la tortue d'Hermann (Testudo hermanni), autrefois présente dans tout le pays jusqu’à 1 000 m d’altitude, et sa cousine, la tortue bordée (Testudo marginata), qui ne subsiste que près de Saranda.
Papillons. Avec 208 espèces répertoriées, dont 40 récemment, l’Albanie est devenue une destination pour les lépidoptérophiles, les amateurs de papillons. Certaines espèces sont communes au sud de la France comme le petit sylvandre (Hipparchia hermione) et l’apollon (Parnassius apollo). Mais d’autres sont typiques des Balkans et du Moyen-Orient, tels le très rare ocellé macédonien (Pseudochazara cingovskii) et l’étonnante piéride soufrée des steppes (Euchloe penia) aux motifs asymétriques.
Animaux emblématiques
3 espèces font la fierté des Albanais. Mais si elles sont en théorie protégées par une interdiction totale de la chasse, leur habitat ne cesse de se réduire.
Aigle royal. Vous aurez plus de chance de voir l’animal symbole du pays empaillé dans un restaurant que volant au-dessus des montagnes. L’aigle royal (Aquila chrysaetos) est en train de disparaître d’Albanie : 200 couples en 1992 contre moins de 100 aujourd’hui. En fait, tous les oiseaux de proie sont menacés. Environ 150 000 aigles, faucons et autres milans ont été abattus depuis la chute du régime communiste. La faute au braconnage, mais aussi aux collectionneurs illégaux. Ainsi, sur le bord des routes, il n’est pas rare de croiser des vendeurs proposant des oiseaux vivants. Un aigle royal se négociait pour environ 400 € en 2010. On trouve à présent une buse variable (Buteo buteo) pour 65-100 €. Enfin, sur les 4 espèces de vautours que comptait le pays autrefois, seul le percnoptère d’Égypte (Neophron percnopterus) existe encore avec moins de 10 couples.
Ours brun. Le pays abriterait environ 180 ours bruns (Ursus arctos), le chiffre le plus bas jamais enregistré. Ils ont notamment été chassés afin de récupérer les oursons. Ces derniers étaient vendus sur Internet, exposés dans des restaurants ou montrés dans les villes, comme le célèbre Jeta, dit « Selfie Bear », à Durrës. Ainsi, 50 ours vivant dans des conditions misérables servaient encore d’attraction à travers le pays en 2015. Les ours libérés ont été transférés dans des sanctuaires au Kosovo ou en Suisse. Les ours sauvages restants vivent principalement dans les Alpes albanaises, dans le parc national Shebenik-Jabllanica et à la frontière grecque. Mais l’animal est à présent menacé par la déforestation. Autre espèce officiellement protégée, mais également sur le déclin : le loup gris (Canis lupus). Il n'en subsiste environ que 200 répartis dans les mêmes zones que l’ours. Notez que les attaques d’hommes par les animaux sauvages restent rares avec 4 accidents non mortels entre 2000 et 2015.
Lynx des Balkans. Surnommé le « fantôme des forêts » par les Albanais, le lynx des Balkans (Lynx lynx balcanicus) est une des espèces les plus menacées d’Europe. Il ne reste qu’entre 50 et 100 spécimens de ce gros félin entre le Monténégro et la Grèce. La plupart ont trouvé refuge de l’autre côté de la frontière albanaise, en Macédoine du Nord, dans le parc national du Mavrovo. De 10 à 20 d’entre eux se rendent régulièrement en Albanie, dans le parc national Shebenik-Jabllanica et dans la région de Puka, entre le massif de la Munella et le parc national de Lura. Alors que les dernières études sont plutôt optimistes dans les pays voisins, en Albanie, c’est l’inverse. L’animal est vu comme un trophée et son habitat se réduit peu à peu. En mars 2015, un chasseur a été surpris après avoir tué un bébé lynx dans le massif de la Munella. Le parc national de Lura a quant à lui perdu l’essentiel de ses forêts. Le parc Shebenik-Jabllanica connaît à présent le même sort.
Parcs nationaux
L’Albanie possède 14 parcs nationaux créés entre 1966 et 2010. Faute de moyens et de volonté politique, la plupart sont très mal protégés.
Unesco. 3 parcs bénéficient d’une protection théorique de l’institution culturelle de l’ONU. Au sud, le parc national de Butrint est classé au patrimoine mondial. Il comprend à la fois un somptueux site archéologique et une lagune. Mais cette dernière est envahie par les rejets polluants de Saranda : la station balnéaire ne possède en effet pas d’installation pour ses eaux usées. Près d’Elbasan, le parc national Shebenik-Jabllanica constitue quant à lui le poumon vert de l’Albanie. Abritant 30 % de la biodiversité du pays, il est classé au patrimoine naturel de l’Unesco au titre des « forêts primaires et anciennes de hêtres des Carpates et d’autres régions d’Europe ». Mais il est victime d’une intense déforestation. Enfin, au sud-est, le parc national de Prespa est compris entre les Petit et Grand lacs Prespa. Intégré au « Programme sur l’homme et la biosphère » de l’Unesco, il est relativement bien préservé, constituant une halte importante pour les oiseaux migrateurs, en particulier le pélican frisé.
Parc marin. Situé juste au sud de Vlora, le parc national marin de Karaburun-Sazan est le plus récent. Créé en 2010, c’est le seul parc maritime du pays, s’étendant entre terre et mer, sur la péninsule de Karaburun, l’île de Sazan et une zone de 1 mille marin au-delà des côtes. La nature a été presque épargnée, puisque l’île et la péninsule abritaient durant la période communiste des bases militaires interdites d’accès. Toujours gardé par l’armée, le parc abrite le site archéologique d’Orikum et de nombreuses espèces d’oiseaux (144), de mammifères (au moins 70), de reptiles (36) et d’amphibiens (11). On peut notamment y apercevoir des dauphins et, parfois, le grand cachalot. C’est aussi un espace de reproduction pour les 2 espèces marines les plus menacées de Méditerranée, la tortue caouanne et le phoque moine (Monachus monachus).
Autres parcs. Sur le littoral se trouvent le parc national de Divjaka-Karavasta avec sa riche zone humide et le parc national de Llogara, magnifique porte d’entrée de la « Riviera albanaise ». Très visités, ils sont à ce titre assez bien préservés. Il en va de même pour les deux parcs situés dans les Alpes albanaises : le parc national de Theth et le parc national de Valbona. 2 parcs nationaux des environs de Tirana sont surtout aménagés comme lieux récréatifs : celui du mont Dajti et celui de Qafa Shtama. Enfin, les 4 autres parcs du pays sont en proie à la déforestation illégale : le parc national du mont Tomorr, le parc national de Lura, le parc national Bredhi-Hotova et le parc national de Drenova.
