Le sens de la fête

Pâques commémore l’événement fondamental du christianisme : la mort, puis la résurrection de Jésus-Christ. Selon la Bible, Jésus, crucifié le vendredi, ressuscite au troisième jour, soit le dimanche : en effet, au matin de Pâques, les « saintes femmes » se rendent à son tombeau pour l’embaumer et se rendent compte qu’il est vide. Fête printanière, Pâques fait aussi écho au renouveau de la nature.

Les rituels de la Semaine sainte

Fixées selon le vieux calendrier julien, les fêtes de Pâques sont généralement célébrées en Roumanie une semaine après leur équivalent catholique (parfois en même temps) : soit le 19 avril en 2020 et le 2 mai en 2021. À cette occasion, deux jours sont fériés : le vendredi saint et le lundi de Pâques. Les préparatifs commencent bien en amont. Le jeûne (post) débute sept semaines avant le jour de Pâques. C’est le plus long de l’année, destiné à purifier l’âme et le corps. Tout produit d’origine animale est proscrit. La dernière semaine avant Pâques, appelée semaine sainte ou grande semaine (Săptămâna mare), est marquée par de nombreux rituels. Les premiers jours sont consacrés au grand nettoyage de la maison : on aère les pièces, on lave le linge et les tapis, on brûle les derniers déchets végétaux accumulés dans les champs pendant la saison froide… Il s’agit de purifier, de chasser tous les maux de l’hiver. « Que Pâques ne te surprenne pas dans la saleté, ou ta maison sera maudite », menace un vieux dicton roumain. Le jeudi est dédié à la mémoire des morts, dont on dit qu’ils reviennent sur terre ce jour-là. C’est aussi le jour traditionnellement dévolu à la décoration des œufs. Le vendredi est un jour de deuil, consacré à la prière et à la méditation. Il convient de respecter un jeûne total, dit « jeûne noir » (post negru). Le samedi, on s’active à nouveau, pour terminer les préparatifs des différents mets typiques de Pâques : la pască (tarte sucrée au fromage frais) et le cozonac (brioche traditionnelle, agrémentée de noix, d’amandes ou encore de raisins secs), mais aussi des plats à base d’agneau (miel), symbole du sacrifice de Jésus pour racheter les péchés des hommes. Il est cuisiné en ragoût (stufat), en soupe ou rôti (friptură). Avec les abats, on prépare une terrine appelée drob. Au milieu de la nuit, tout le monde se rend à l’église, pour une longue cérémonie qui peut durer jusqu’au petit matin. On emporte un cierge, pour prendre la « lumière sacrée », rapportée par avion du Saint-Sépulcre de Jérusalem, puis acheminée à travers le pays ! Le pope tient une grande bougie. Chacun y allume la sienne, puis la rapporte chez soi à la fin de l’office – ce qui donne lieu à un spectacle féerique. Quand le pope sort de l’église avec sa bougie, il annonce : « Hristos a înviat » (« le Christ est ressuscité »). Tout le monde lui répond « Adevărat a înviat » (« c’est vrai, il est ressuscité ») et tous font trois fois le tour de l’église. Cette formule sera répétée jusqu’au matin et remplacera même les formules habituelles de politesse pendant plusieurs jours (traditionnellement jusqu’à l’Ascension). Les familles rapportent aussi à l’église les plats préparés pour le dimanche, afin que le prêtre les bénisse à l’issue de la messe. Il est également d’usage, pour cette fête, d’arborer de nouveaux vêtements, symboles de purification. Dans certaines régions, comme le Maramureș ou la Bucovine, on revêt de belles tenues traditionnelles. Le dimanche, jour de Pâques, on se lave le visage dans une eau où, préalablement, on avait mis à tremper un œuf teint en rouge et une pièce en argent. Les joues s’empourprent, présage de bonne santé pour l’année à venir. Le jeûne est terminé : on y prend un repas copieux, qui réunit toute la famille. Lors de celui-ci, la tradition veut que l’on entrechoque son œuf peint avec celui du voisin. Si l’œuf ne se casse pas, il apporte chance et bonheur à son propriétaire.

La délicatesse des œufs décorés

Répandue dans toute l’Europe centrale et orientale, la tradition des œufs décorés est l’une des plus pittoresques, pour le visiteur occidental. Symbole de vie et de renaissance, l’œuf peint orne la table pascale. Il peut aussi être déposé sur les tombes familiales ou offert aux proches. Il est le plus souvent teint en rouge, référence au sang du Christ. C’est pourquoi beaucoup de femmes du pays ont les bouts des doigts rouges, quelques jours avant Pâques. Cette pratique populaire, encore répandue, est devenue un véritable art dans certaines régions. L’ethnie slavophone des Houtsoules, en Bucovine, en est la grande spécialiste.

Des méthodes variées. Si, autrefois, les œufs étaient pleins et cuits, ils sont aujourd’hui vidés de leur contenu, puis lavés et séchés avant d’être peints. Il faut parfois plusieurs heures de travail pour décorer un œuf, selon la complexité des motifs. Il existe plusieurs techniques. La plus ancienne est la technique dite batik : l’œuf est plongé successivement dans des bains de différentes couleurs, de la plus claire à la plus foncée (jaune, rouge puis noir, par exemple). À chaque bain, les zones que l’on ne veut pas colorer sont recouvertes de cire. Un travail d’orfèvre est réalisé à l’aide d’un bâtonnet de bois, planté d’une fine pointe métallique, appelé chișița. La cire est ensuite fondue à la bougie, pour laisser apparaître le dessin final. Une autre technique, apparue plus récemment, consiste à peindre en relief, directement sur la coquille, avec de la cire préalablement colorée. On peut aussi apposer des feuilles, de persil par exemple : l’œuf est glissé dans un collant en nylon, pour que la feuille reste bien collée sur la coquille, puis il est plongé dans le bain de couleur. La feuille imprime ainsi sa forme, en négatif. Quelle que soit la méthode utilisée, à la fin du processus, l’œuf est recouvert de plusieurs couches de laque, pour fixer les couleurs et renforcer la résistance de la coquille.

Des couleurs et motifs pleins de sens. Les couleurs et les motifs utilisés pour la décoration des œufs varient selon chaque localité. Par exemple, ceux de Ciocănești se reconnaissent à leur fond noir et leurs motifs géométriques, le plus souvent jaunes et rouges ; ceux de Buzău sont rouges, ornés de motifs blancs ; ceux des environs de Vatra Dornei sont décorés de fleurs, aux teintes vives. Chaque couleur, chaque motif a sa signification. Ils s’entremêlent pour former un sens particulier : chaque œuf raconte ainsi sa propre histoire. Le rouge est la couleur la plus courante. Elle symbolise le sang versé par le Christ, mais aussi la vie, la santé, la résurrection, la force, l’amour et la passion. Le noir représente la douleur de Jésus, mais aussi l’éternité et la terre. Le vert symbolise le renouvellement de la nature, l’espérance, la fertilité. Le jaune évoque la chaleur, la lumière, les récoltes, la jeunesse, le travail. Le bleu symbolise le ciel, l’eau, la santé.

Dans les campagnes, certaines personnes utilisent encore des teintures naturelles : fleurs de pommier et épluchures de pomme pour le rouge, feuilles de noyer pour le vert, fleurs de violette pour le bleu, pelures d’oignon ou écorces d’arbre pour le jaune, coquilles de noix pour le noir… Les magasins vendent aussi des sachets de poudre colorée, que l’on mélange à l’eau avant d’y tremper les œufs. Les motifs géométriques, folkloriques, religieux et naturels s’entremêlent pour symboliser la foi, les cycles de la vie et de la nature, etc. Ainsi, la ligne verticale symbolise la vie, la ligne horizontale la mort et la ligne double l’éternité. La spirale figure le temps, le chemin de la vie semé d’embûches, tandis que la double spirale évoque le lien qui unit la vie et la mort. La ligne ondulée représente la purification. Les rectangles, la pensée et la connaissance. On rencontre également sur les coquilles beaucoup de croix en tous genres, des étoiles, des outils agricoles, des végétaux comme les épis de blé (symboles de la prospérité, de la richesse de la terre), des éléments naturels tels le soleil ou l’eau. 

Où les admirer ? Où les acheter ? Certains musées ethnographiques, comme celui de Cluj ou le musée national du Paysan roumain à Bucarest possèdent de belles pièces. Mais l’endroit privilégié pour découvrir les œufs décorés reste la Bucovine, qui compte trois musées très intéressants : celui de l’artiste houtsoule Lucia Condrea, à Moldovița, expose quelque 11 000 œufs, quasiment tous des créations originales, celui de l’artiste Letiția Orşivschi, à Vama, compte, outre ses réalisations personnelles, une riche section internationale, ainsi qu’une collection régionale, avec des œufs vieux de cinquante à cent ans, enfin le musée de l’Œuf de Ciocănești présente quant à lui une passionnante collection de 1 800 œufs anciens, rassemblés au siècle dernier par le docteur Anton Setnic. Ces trois lieux comportent une partie boutique. À noter aussi que Ciocănești accueille chaque année le festival des œufs décorés, un peu avant Pâques. À cette occasion, des concours, des démonstrations et des ateliers d’initiation sont organisés. Dans les villages de la région, d’autres lieux plus confidentiels vous permettront de voir les femmes à l’œuvre : citons par exemple la pension de Viorica Semeniuc, à Moldovița, ou encore Casa Colinița, à Ciumârna. Là-bas, c’est Ion qui, s’il est disponible, vous fera la démonstration, dans le petit atelier maison. Vous trouverez aussi des œufs à l’aéroport et dans les boutiques de souvenirs : on recommande particulièrement My Romanian Store, à Bucarest, qui propose aussi des versions modernisées, ou encore les boutiques des musées du Village et du Paysan roumain, toujours dans la capitale.