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Herta Müller, prix Nobel de Littérature en 2009 © Markus Wissmann - shutterstock.com.jpg

L’époque classique

Les écrivains du XIXe siècle appartiennent à une génération marquée par les transformations sociales et politiques consécutives aux révolutions de 1848. Ils s’intéressent donc à l’émancipation et à l’unité nationale, créent un style et des œuvres originales. Parmi ces écrivains, citons Nicolae Bălcescu (1819-1852), Mihail Kogălniceanu (1817-1891), Costache Negruzzi (1808-1868, spécialiste des récits historiques), Ion Ghica (1816-1897) et Vasile Alecsandri (1821-1890). Ce dernier est considéré comme le fondateur de la poésie et de la dramaturgie roumaines. La seconde moitié du XIXe siècle est l’époque des grands classiques de la culture roumaine, grâce à des auteurs dont la pensée a marqué la société de leur temps. En 1863, à Iași, Titu Maiorescu fonde la société littéraire Junimea (nom évoquant la jeunesse). Mihai Eminescu (1850-1889), aujourd’hui considéré comme le grand poète lyrique national, en fait partie. Sa mort précoce à 39 ans lui vaut d’être devenu le symbole de la jeunesse éternelle. On dit que personne mieux que lui n’a su peindre l’âme roumaine en s’inspirant du folklore local (dont il était un spécialiste passionné) et de l’histoire. Curieusement, un seul de ses ouvrages (Poésies) est publié durant sa vie. Plus tard, on reconnaîtra son talent et de nombreux artistes s’inspireront du nouveau langage créé par Eminescu. D’autres auteurs encore comme les prosateurs Ion Creangă (1837-1889) et Ioan Slavici (1848-1925) ou comme le dramaturge Ion Luca Caragiale (1852-1912) marquent cette période. Par exemple, Caragiale reprend avec humour les clichés de la société roumaine du XIXe siècle et les changements qu’elle subit. On lui doit des pièces comme Une lettre égarée et Une nuit orageuse. Celui qui est selon Ionesco « le plus grand des dramaturges inconnus » a été célébré en Roumanie lors de l’année 2002 pendant laquelle de nombreuses manifestations ont été organisées en son honneur.

De nouvelles influences

Le début du XXe siècle et l’entre-deux-guerres sont marqués par l’émergence de nouveaux courants. La Roumanie connaît alors un véritable bouillonnement culturel et Bucarest est surnommé « le Petit Paris ». Les revues et les cercles littéraires se multiplient et rivalisent entre eux. L’écrivain roumain le plus populaire à l’étranger est Eugène Ionesco (1909-1994), né à Slatina. Cet inimitable maître de l’absurde est l’un des plus célèbres auteurs dramatiques de son siècle. Son œuvre sera surtout appréciée en France, où il ira vivre à partir de 1936 et où certaines de ses pièces continuent à être jouées. Citons entre autres La Cantatrice chauve, Le roi se meurt et Rhinocéros qui met en scène un homme qui tente de rester humain dans un monde où tous ses contemporains sont devenus d’ignobles rhinocéros… On lui doit de nouvelles techniques dramatiques. Ses thèmes récurrents sont l’impossibilité de communiquer, la solitude et la quête du sens. Il en fait une démonstration magistrale dans sa pièce majeure, La Cantatrice chauve. Suivront notamment Jacques ou la Soumission, La Leçon, Les Chaises

Une nouvelle génération d’écrivains apparaît dans l’entre-deux-guerres : Mihail Sadoveanu (1880-1961, romans historiques), Lucian Blaga (1895-1961, poésie expressionniste), George Bacovia (1881-1957, poète « du désespoir »), Liviu Rebreanu (1885-1944, auteur de la célèbre Forêt des pendus) ou Camil Petrescu (1894-1957), romancier, dramaturge et poète, auteur du Lit de Procuste et de La Dernière Nuit d’amour, la première nuit de guerre, en font partie. Mircea Eliade (1907-1986), fondateur de l’histoire moderne des religions, mythologue, philosophe et romancier, également très connu à l’étranger, appartient lui aussi à cette période.

Une création littéraire difficile

Durant l’entre-deux-guerres, les lettres roumaines se sont en quelque sorte alignées sur les idées et les mouvements culturels européens. La guerre et le régime communiste mettront fin à ce courant. Quelques écrivains de cette période continuent à écrire après la Seconde Guerre mondiale, en s’efforçant d’éviter autant que possible les compromis imposés par le régime. En interdisant toute publication critique envers leur politique, les dirigeants ont partiellement aseptisé la création littéraire. Certains auteurs de l’époque connaissent cependant un franc succès, aimés par la critique d’État et les lecteurs. Il en est ainsi de Marin Preda (1922-1980), du poète Marin Sorescu (1936-1997) ou de Nichita Stănescu (1933-1983).

Parallèlement, le régime communiste va engendrer une génération d’écrivains opposants, inspirés par la situation du peuple roumain. Virgil Gheorghiu (1916-1992) en est un des plus connus, non seulement en Roumanie, mais aussi dans le monde entier, grâce à son roman La Vingt-Cinquième Heure, traduit et publié pour la première fois en France en 1949. Ce roman raconte l’histoire d’un paysan roumain dont la vie est chamboulée du jour au lendemain quand il est envoyé dans un camp de concentration, parce qu’il est dénoncé comme étant juif. S’ensuivent alors évasions, tortures, errances, nombre d’événements absurdes engendrés par les systèmes totalitaires dans lesquels a sombré la société à la veille de la vingt-cinquième heure. Édité ensuite dans le monde entier, son roman a aussi été porté à l’écran par Henri Verneuil, en 1967, avec Anthony Quinn dans le rôle du paysan Iohann Moritz et Serge Reggiani dans le rôle du fils du prêtre Traian Coruga, celui qui prend conscience que la vingt-cinquième heure est arrivée. Comme la plupart des écrivains de la période communiste, Virgil Gheorghiu se voit contraint à l’exil. Il meurt en 1992 à Paris et est enterré au cimetière de Passy.

Le romancier Petru Dumitriu (1924-2002), connu en Roumanie et en France, notamment pour ses livres Rendez-vous au jugement dernier et L’Homme aux yeux gris, appartient lui aussi à cette génération, malgré une époque de son activité littéraire où il a dû se plier aux circonstances et écrire pour le régime. Il fuit la Roumanie en 1960, pour pouvoir écrire librement. D’autres auteurs de la période communiste ont été contraints à l’exil. Ils ont continué à écrire et, depuis décembre 1989, l’un des efforts de la littérature roumaine consiste à restituer aux jeunes générations les noms et les œuvres des écrivains de la diaspora roumaine, interdits dans leur pays d’origine pendant la dictature communiste. Parmi eux, Emil Cioran et Mircea Eliade, disparus sans avoir pu revoir leur pays, ont acquis une reconnaissance internationale. Né en 1911 à Rășinari, Cioran est le plus respecté des philosophes roumains. Diplômé de l’université de Bucarest en 1932, il fait partie du groupe qui influence profondément la culture roumaine de l’entre-deux-guerres. Durant cette période, il s’égare en soutenant la fasciste Garde de fer. En 1937, il obtient une bourse du gouvernement français et gagne Paris. À partir de 1947, interdit de séjour dans son pays par le régime communiste, il n’a plus écrit qu’en français. Parmi ses ouvrages : Précis de décomposition (1949), Exercices d’admiration (1986), Solitude et destin (posthume, 2004). Décédé en 1995, il est enterré au cimetière Montparnasse. Né en 1907 à Bucarest, Mircea Eliade a consacré sa vie à chercher à définir la nature humaine. Fasciné par les religions et les philosophies antiques du monde entier, il part, à 21 ans, en Inde, où il étudie le sanskrit, la philosophie indienne et le yoga, à l’université de Calcutta. Il passe également six mois dans un ermitage sur les cimes de l’Himalaya. En 1933 est publié son mémoire intitulé Yoga : essai sur les origines du mysticisme indien. C’est le seul travail de ce genre réalisé par un non-Indien à avoir suscité un très grand intérêt. De retour en Roumanie, Eliade mène une intense activité d’écrivain, de chercheur et de professeur d’histoire des religions à l’université de Bucarest. C’est l’époque où il fréquente les milieux antisémites, très influents dans le pays (où parade la Garde de fer), et c’est un fait sur lequel Eliade est toujours demeuré discret (contrairement à Cioran, par exemple, qui, lui, a reconnu ses erreurs). Après la Seconde Guerre mondiale, Eliade, opposé au nouveau régime, doit quitter son pays natal pour fuir la répression communiste. Il vit à Paris jusqu’en 1956 puis est nommé professeur d’histoire des religions à l’université de Chicago. Il meurt dans cette ville en 1986, sans avoir revu son pays. Parmi ses ouvrages les plus connus : Forêt interdite, La Nuit bengali (adapté au cinéma par Nicolas Klotz, en 1988, avec Hugh Grant dans le rôle du jeune Allan), Traité d’histoire des religions, Le Mythe de l’éternel retour, Le Roman de l’adolescent myope… En 2007, Francis Ford Coppola a sorti le film L’Homme sans âge, tourné en Roumanie et inspiré d’une nouvelle d’Eliade, Youth without Youth. C’est l’histoire d’un professeur dont la vie, peu avant la Seconde Guerre mondiale, est bouleversée par un « changement extraordinaire » qui lui vaudra d’être poursuivi par les nazis.

La littérature roumaine contemporaine

Beaucoup d’écrivains contemporains ont connu l’exil et ont été publiés à l’étranger avant de l’être en Roumanie. Nombre d’entre eux ont choisi la France comme terre d’accueil : Matei Vișniec, Dumitru Tsepeneag, Paul Goma… Aujourd’hui, des éditeurs commencent à traduire certains ouvrages en langue étrangère, des festivals autour de la littérature invitent des auteurs roumains comme le festival des Belles étrangères en France. Parmi les auteurs contemporains, on peut remarquer : Dumitru Tsepeneag, né à Bucarest en 1937, est l’un des pères de l’onirisme, un courant littéraire qui s’oppose au réalisme socialiste de l’époque communiste. Exilé à Paris, il continue à écrire en roumain et en français. Il fonde en 1975, à Paris, le trimestriel littéraire Cahiers de l’Est qui paraîtra jusqu’en 1980. En 2003, il commencera la publication de la revue Seine et Danube. Parmi ses romans les plus connus, on citera Hôtel Europa et Pigeon vole.

Herta Müller, née en 1954, a, elle, décroché le prix Nobel de littérature en 2009. Romancière allemande originaire de la région du Banat en Roumanie, elle s’inspire de sa propre expérience au temps de la dictature de Ceaușescu en évoquant les libertés niées, les pressions, les vies bafouées. Son dernier livre traduit en français est La Balançoire du souffle (2009).

Quant à Matei Vișniec, né en 1956, il s’est formé en tant que philosophe et historien. Il se consacre au théâtre, mais sera interdit par le régime et viendra demander l’asile politique en France. À partir de 1990, il écrit directement en français et ses pièces connaissent un succès mondial. Prix Godot 2009 pour Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux.

Mircea Cărtărescu, né lui aussi en 1956, est théoricien, poète et romancier au style flamboyant. Enchaînant les prix littéraires depuis 1989, il a connu un énorme succès en Roumanie avec son livre Orbitor (1996). Il a également publié des romans en français, dont notamment L’Œil en feu (2005). Cette notoriété lui permet aujourd’hui d’aider les auteurs qui débutent. Il tient aujourd’hui une place importante au sein de la littérature roumaine. À son actif : plus d’une trentaine de romans, dont huit traduits en français. 

La nouvelle génération est représentée par Cecilia Ștefănescu, romancière née en 1975 à Bucarest. Elle publie son premier roman Legături bolnăvicioase en 2002. C’est un grand succès en Roumanie, il sera même adapté au cinéma. Certaines de ses œuvres ont été publiées en français : L’Après-midi de Sal et Liaisons morbides.