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A l’arrivée des Espagnols au XVIe siècle, plusieurs tribus se partageaient le sol de ce territoire isolé à l’extrême sud du continent. Du désert d’Atacama au détroit de Magellan, en passant par Rapa Nui, tous les peuples indigènes ont vécu un cauchemar absolu quand ils ont dû se confronter à l'envahisseur. Une véritable extermination suivie d'épidémies ont eu raison de ces peuples en grande partie disparus de nos jours. La colonisation massive et l’implantation permanente des Européens suffisent à ouvrir le Chili au reste du monde. Les immigrés, issus de tous horizons, se sont mélangés aux cultures locales et ont ainsi contribué à la population métissée que l'on rencontre aujourd’hui dans le pays. Mais loin d’être le fruit d’un métissage homogène, le Chili est un pays à la diversité culturelle subtile et persistante : l’identité nationale chilienne est plurielle et compte toujours ses particularismes ethniques.

Moai érigés par la civilisation Rapa Nui © Alberto Loyo - Shutterstock.com .jpg

Les peuples ancestraux

En 14 000 av. J.-C., alors que la Terre est dans sa dernière période glaciaire, la Béringie forme un couloir terrestre qui relie l’Asie à l’Amérique. Des populations nomades s’y engouffrent et se dispersent alors sur le continent américain. Vivant tout d’abord de la cueillette, de la pêche et de la chasse, ces populations vont progressivement commencer à se structurer. Ainsi, vers 6000 av. J.-C. les premières cultures apparaissent et, avec la domestication du lama, des populations se sédentarisent. Ce n'est qu'en 4000 av. J.-C. que les Yámanas atteignent la limite australe du continent et s'installent en Terre de Feu. Le Chili va accueillir durant des millénaires des populations aux capacités d’adaptation exceptionnelles : conditions climatiques difficiles, ressources limitées, invasions extérieures… De l’aride désert à l’hostile Patagonie, le pays abritait une vingtaine de nations autochtones avant l’irruption des Européens au XVIe siècle.

Parmi elles, on comptait notamment les Chinchorros, établis dans les vallées Azapa et Camarones, dans le Grand Nord chilien. Entre 1100 et 1536, les Chinchorros vivaient dans de grands villages, certains comptant plus de mille enclos. Les terres cultivées étaient étendues par la construction de terrasses et de canaux d'irrigation. Sur la côte, la « balsa de tres palos » (radeau à trois mâts) était une technique permettant de pêcher des poissons de haute mer comme l’anguille de mer et la roussette. Ils travaillaient également le cuivre pour fabriquer des épingles ou des crochets, ainsi que l'or et l'argent pour fabriquer des ornements. Particulièrement remarquables, les momies chinchorros sont considérées comme les plus anciennes du monde (quelque 2 000 ans de plus que celles d’Égypte !) et ont été inscrites en juillet 2021 au Patrimoine mondial par l’UNESCO.

La culture des Atacameños s'est développée dans le bassin du Salar d'Atacama entre 400 et 700 apr. J.-C. et dans le bassin de la rivière Loa. Ils résidaient autour des salines et des oasis dans de grands villages autour desquels se trouvaient des terres agricoles et des cimetières. L'économie était basée sur l'agriculture et l'élevage, complétés par la récolte de fruits. Afin de se ravitailler, ils effectuaient des migrations de longues distances à travers le désert en constituant de grandes caravanes de lamas. C’était aussi une façon d’ouvrir des voies commerciales.

Les Diaguitas, dont la culture atteint son apogée entre 900 et 1536, habitaient dans l’actuelle vallée de l'Elqui (à l'est de l'actuelle ville de La Serena). Ils vivaient dans de petits villages construits avec de simples huttes de boue, de bois et de paille, répartis le long des vallées et près des champs cultivés. La construction de systèmes d'irrigation leur a permis de faire pousser une grande variété de cultures, mais les Diaguitas étaient aussi de bons pêcheurs. Mollusques, otaries, baleines, ils utilisaient des radeaux afin d’atteindre la haute mer. Grands maîtres de la céramique, leur poterie caractérisée par des motifs géométriques appliqués en trois couleurs reste aujourd’hui très réputée.

Les Mapuches, Peuple de la Terre

Les Tehuelches, aujourd'hui complètement disparus, inspirèrent les premiers récits des navigateurs européens, qui les nommèrent « Patagons » (« grands hommes »). Le développement de leur culture se heurta au climat difficile : vents violents, hivers rudes. Ils ne pouvaient ainsi cultiver la terre, pauvre en matière organique ; de fait, ils menaient une vie nomade et établissaient des campements.

Originairement, les Mapuches occupaient la partie chilienne des Andes. Leur nom signifie « peuple de la Terre », Mapu signifiant « Terre » et Che signifiant « l’homme ». Les conquistadors les baptisèrent Araucans et leur terre l’Araucanie. Ils se mélangèrent aux Tehuelches et leur imposèrent même leurs coutumes et leur langue. Les Mapuches avaient une société plus complexe et plus développée, notamment parce qu’ils étaient chasseurs, mais aussi agriculteurs, et qu’ils vivaient en sédentaires sur leurs terres. Ils connaissaient les tissus et la poterie et jouissaient de leur propre calendrier, qui régit toujours aujourd’hui certaines de leurs festivités. Leur dieu portait le nom de Nguenechen ; il créa tout ce qui existe, il domina toute la terre et permit la vie et la fécondité. Toutefois, ils ne possédaient pas d’expression écrite ; la transmission des légendes et de leur histoire s’effectuait par voie orale. De manière assez ironique, l’écriture mapuche naquit avec l’expansion des Espagnols et l’évangélisation qui s’ensuivit. Le massacre de la conquête économique du XIXe siècle n’a toutefois pas éradiqué la présence mapuche dans cette zone. Réputés pour leur qualité de guerriers intrépides, les Mapuches affirment encore souvent avoir résisté à deux grandes vagues de colonisation : les Incas et les conquistadors. Aujourd’hui, on considère qu’il subsiste environ 600  000  Mapuches au Chili. Leurs descendants ont maintenu vivantes leur culture et leur langue et travaillent encore quotidiennement pour les maintenir. Ils demandent aujourd’hui la restitution de leurs terres et le respect de leur mode de vie : des revendications sans réponse de la part du gouvernement chilien bien que la loi indigène du 5 octobre 1993 reconnaisse l’existence des peuples indigènes comme « part essentielle des racines de la Nation chilienne ». Ils seraient la seule exception – ou presque – au métissage chilien. Depuis quelques années les confrontations entre les Mapuches et les propriétaires terriens, soutenus par le gouvernement et l'armée, font rage, en particulier dans la région de l'Araucanie. En 2023, les opérations coup de poing (type sabotage de machines agricoles) des Mapuches se multipliaient et étaient qualifiées d'actes terroristes par l’Etat. Une situation qui est loin d'être solutionnée.

Les peuples de Patagonie

Les Fuégiens étaient 7 000 au XIXe siècle, 600 en 1924 puis plus que cent en 1940. Aujourd'hui, ils ont complètement disparu. Trois peuples minuscules composés d’une vingtaine de milliers d'individus se partageaient les immensités hostiles du sud du Chili : les Alakalufs (ou Kaweskars), les Yamanas (ou Yagans) et les Onas (ou Selk’nam). Affrontant sans cesse les éléments d'une nature puissante, ils vivaient sur la Terre de Feu et dans les environs du détroit de Magellan. Malgré des descriptions et des études d’ordre géographique ou ethnologique, on connaît malheureusement mal leur histoire et leurs mœurs.

Les Alakalufs se déplaçaient au gré des saisons et de leur nourriture composée notamment de cholgas (moules géantes) d’où leur nom d’ailleurs, tiré du yaghan halakwulup, signifiant « mangeur de moules ». Nomades de la mer, ils possédaient 30 mots pour définir les vents et un exceptionnel vocabulaire maritime pour désigner les marées, les courants et les changements climatiques. Marins et chasseurs de phoques, ils se déplaçaient à bord de canaux. Au début du XIXe siècle, les Alakalufs étaient en totale perdition : devenus mendiants, arrachés à leurs traditions, ils héritèrent à tort d'une réputation de cannibales et du mépris de toute la société occidentale. Le gouvernement finit par recueillir au poste de Puerto Eden, dans le canal Messier, les derniers Alakalufs. Privés de leur terre et de leur liberté, ils sont aujourd'hui à peine une petite dizaine à descendre directement de leurs ancêtres.

Les Yamanas étaient également des « nomades de la mer » ainsi que d’excellents artisans. Leurs paniers, faits de joncs, servaient à collecter les mollusques, les coquillages et les fruits. Sur l’eau, les hommes utilisaient des harpons sommaires (de 3 m de longueur, dont la pointe était formée par l’os côtier d’une baleine) pour chasser les loups de mer, les pingouins ou les cormorans. Constamment à bord de leurs canoës, ils se déplaçaient le long des côtes et passaient la moitié de l’année sur mer. Enfin, ces populations ne s’habillaient pas vraiment ; les corps étaient enduits d’huile de poisson et de graisse de mammifères marins pour protéger la peau des méfaits du climat. De nos jours, quelques métis (métissés avec des Chilotes surtout, habitants de Chiloé) sont encore regroupés à Villa Ukika, près de Puerto Williams, sur l’île Navarino.

Les Selknams parcouraient la steppe en quête de ñandús (l’autruche patagonne) et de guanacos qu'ils attrapaient à la course ! Aucun chef permanent ne dirigeait les tribus ; mais une certaine hiérarchie cimentait les liens sociaux : les chamans étaient investis du pouvoir de guérir ; les sages étaient les dépositaires des traditions mythologiques ; enfin, les guerriers étaient respectés pour leur expérience : de fait, leur position les apparentait parfois à celle d’un chef. Au milieu du XIXe siècle, des chercheurs d'or (Julio Popper notamment) s’établirent dans la région et les chassèrent, puis l'arrivée des missionnaires les contamina de terribles maladies : la dernière des Onas, Lola Kiepja mourût dans les années 1950.

La culture Rapa Nui

Isolée à plus de 3 000 km des côtes chiliennes, l’île de Rapa Nui (plus communément appelée Île de Pâques) abritait à son apogée une civilisation prospère et énigmatique. Sans véritables ressources ni maîtrise de la métallurgie, les Rapa Nui ont été capables de construire les Moai, ces statues mégalithiques représentant leurs ancêtres. Originaires de Polynésie, ils ont traversé les eaux de l’océan Pacifique avant de découvrir l’île en 500 apr. J.-C. Dès le VIIe siècle, ils commencèrent à ériger leurs premiers Moai et leur activité se poursuivit pendant plus de 1 000 ans. Divisée en six tribus, ou mata, l’île comptait plus de 50 villages et plus de 880 Moai. Mais comment cette civilisation a-t-elle disparu ? Conflits tribaux ? Contrairement aux idées reçues, les Rapa Nui n’étaient pas de nature à s’entre-tuer. Écocide? Ils sortirent indemnes de la déforestation. La cause de leur disparition est malheureusement assez traditionnelle : c'est la rencontre avec l'extérieur. Lorsque les colons européens ont découvert cette île en 1722, ils ont apporté des maladies contre lesquelles les habitants n’étaient pas immunisés. À noter également que les Rapa Nui furent arrachés à leur terre natale afin de servir de main-d’œuvre sur le continent américain. Aujourd’hui le nombre de descendants du peuple Rapa Nui est estimé à un peu plus de 5 000 personnes.

Une identité multiculturelle

Suite au génocide indigène, les terres chiliennes ont été successivement occupées par des immigrants rêvant du Nouveau Monde. La forte vague d’immigration du XIXe et du XXe siècle peupla alors le pays d’hommes et femmes étrangers à ces latitudes. Ils étaient principalement Européens et on comptait un grand nombre d’Espagnols, Italiens, Français, Allemands, Croates ou encore Irlandais. Mais pas seulement ! Le Chili possède aujourd’hui la première communauté palestinienne du monde avec plus d’un demi-million de descendants directs. On compte également des dizaines de milliers de descendants d’esclaves africains, forcés à l’exil, à l’époque coloniale (Valparaíso fut durant le XVIIIe siècle un important port d’esclave avant l’interdiction de l’esclavage en 1811). La société chilienne est aussi, en partie, le résultat du métissage des différentes populations issues de l’immigration et des populations locales. Au fur et à mesure des décennies, ce pays longtemps isolé est devenu une terre d’accueil et d’enracinement où se sont construites des identités mixtes.

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