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L'intérieur de l''église San Francisco à Santiago de Chili ©SL-Photography - Shutterstock.com.jpg
Le Temple Baha'i © Natalia Ramirez Roman - Shutterstock.Com.jpg

Aux origines

Les Atacamènes, présents au Chili bien avant notre ère, passèrent progressivement de chasseurs nomades à sédentaires s’établissant dans des communautés d’habitats appelés ayllus, notamment à Tulor, qui conserve les fondations de maisons circulaires toutes reliées entre elles. Certaines ont été reconstituées dévoilant murs et voûtes de boue. Avec l’émergence des pouvoirs locaux sont apparues les premières pukaras ou forteresses. Ces dernières, le plus souvent construites au sommet de collines, se composent de plusieurs murs d’enceinte défensifs de forme circulaire. La Pukara de Quitor, forteresse étagée en terrasse, est une des plus connues. Les Incas perpétuèrent cette tradition en établissant leurs propres forteresses, à l’image de la Huaca de Chena dont les neuf enceintes représenteraient la forme d’un puma. Ces forteresses étaient reliées par le légendaire Qhapaq Nan ou Chemin des Incas, étonnant réseau de commerce, de communication et de défense partant de Cuzco au Pérou et s’étendant sur près de 30 000 km, comprenant routes pavées de pierre, ponts suspendus à flanc de canyon, escaliers escarpés épousant les reliefs, mais aussi postes de relais, forts et auberges.

Sur l’île de Pâques, vous pourrez découvrir les trésors de la civilisation pascuane, dont la maîtrise du travail de la pierre n’est plus à démontrer. Voyez ces imposants ahus, les plateformes portant les légendaires moai, et dont l’appareillage de pierres cyclopéennes est entièrement réalisé sans ciment, mais uniquement à l’aide d’un système de tenons et mortaises. Sur le site d’Orongo, village cérémoniel, vous pourrez observer une cinquantaine de maisons en pierres à demi-souterraines, bâties selon un plan en ellipse et décorées de nombreux pétroglyphes à l’effigie du fameux homme-oiseau. Sur le site d’Ahu Tahai, vous pourrez découvrir d’autres vestiges de ces maisons-bateaux ou hare paenga, ainsi surnommées car leur forme elliptique rappelle celle d’un navire. Des trous étaient percés dans la pierre afin d’y insérer des branches reliées à leur sommet, puis couvertes de joncs, feuilles ou herbes, formant ainsi un toit sécure. Etonnant !

Influences espagnoles

Les Espagnols ont utilisé partout en Amérique du Sud le même schéma urbanistique, dessinant des plans en damier où grandes avenues et petites rues ou calles mènent au centre névralgique de la cité : la place, bordée de portales ou arcades, ornée de fontaines et kiosques, et regroupant tous les pouvoirs (cathédrale, palais de justice…). On retrouve ce schéma à Santiago, à Valparaiso ou bien encore à La Serena. Les rues sont bordées par des maisons à l’architecture typiquement coloniale. En briques de terre sur soubassement de pierre, avec des toits de tuiles, leurs façades sont colorées et agrémentées de balcons souvent soutenus par des colonnades. Mais c’est bien sûr le patrimoine religieux, moteur de la colonisation, qui fait l’objet de toutes les attentions. L’église San Francisco de Santiago impressionne avec sa large nef, ses imposantes voûtes en plein cintre et ses plafonds à caissons. Si les grands centres urbains retranscrivent les styles européens, certaines régions du Chili développent un étonnant syncrétisme. L’église San Pedro à San Pedro de Atacama associe ainsi les très européens arches et contreforts, aux très locaux murs en adobe et charpente en bois de cactus couverte de terre et paille dont les éléments sont maintenus par des sangles en cuir de… lama !

Ne manquez pas non plus les superbes églises en bois de l’archipel de Chiloé, classées à l'Unesco. Construites sur des collines pour servir de repère aux marins (et pour éviter les inondations !), elles se distinguent par leurs clochers octogonaux à étages dont les portiques délimitent un parvis où se rassemblent les fidèles à l’abri de la pluie, leur plan basilical à trois nefs séparées par des piliers dont la nef centrale à voûte en berceau, leurs plafonds sculptés et leur structure en bois agencée sans aucun clou et rappelant les techniques de construction navale. L’église Santa Maria de Loreto à Achao, la plus ancienne, est aussi l’une des plus belles. Sur l’île, à Ancud notamment, les Espagnols érigent des fortifications, à l’image du Fort San Antonio dont on peut encore observer la silhouette géométrique et les plateformes de tir. Ce type de fortifications existe dans tout le pays, à l’image du Fort Reina Luisa à Osorno, dont on peut admirer les bastions circulaires et le massif appareillage de pierre des enceintes. En 1780, l’architecte italien Don Joaquin Toesca débarque à Santiago la tête pleine des lignes classiques alors en vogue sur le continent. C’est à lui que l’on confie la finalisation de la grande cité épiscopale de Santiago, dont la Cathédrale Métropolitaine est le fleuron. Voyez ses somptueuses arcades en plein cintre portées par d’étonnants piliers cruciformes ornés de plaques de marbre rose, les voûtes de sa nef finement ouvragées et couvertes de stuc et les pilastres rythmant sa façade aux tours élégantes. On doit aussi à Toesca le Palacio de la Moneda et la Basilica de la Merced.

Etonnants XIXe et début XXe siècles

A cette époque, le Chili attire bon nombre d’Européens, à commencer par les Allemands qui ont laissé une empreinte pour le moins… originale ! Les maisons de bois multicolores aux toits de tuiles rouges de Puerto Montt ont un charme très germanique, tout comme les maisons de Valdivia. Au musée colonial allemand de Frutillar sont même reconstitués beffrois, forges, moulins et maisons campagnardes ! Les Allemands sont également friands de néogothique, comme l’illustrent bien la Torre Bauer de Vicuna et le Castillo Wulff à Viña del Mar avec ses tours crénelées et son donjon. Les Français aussi participent à cette effervescence architecturale. François Brunet de Baines, qui a rédigé l’un des premiers manuels d’architecture d’Amérique latine, a formé bon nombre d’architectes chiliens, développant à foison un style résolument français comme en témoigne le Théâtre Municipal de Santiago. L’architecte franco-chilien Emile Jéquier amorce, lui, la transition vers la modernité. C’est à lui que l’on doit le Musée National des Beaux-Arts de Santiago inspiré du Petit Palais et dont la structure néoclassique est agrémentée de détails très modernes, sa coupole en verre et ses décors Art nouveau en tête. C’est également à lui que l’on doit la très belle gare ferroviaire de Mapocho aux dimensions impressionnantes et à la très belle voûte de verre et d’acier. Une gare construite en France et transportée pour être remontée sur place, tout comme la gare de Santiago ! Ces innovantes structures métalliques se retrouvent même dans les églises. A Coquimbo, la structure de l’église de Guayacan a même été conçue par un certain Gustave Eiffel ! Tout comme la Cathédrale San Marcos d’Arica.

Autre prouesse d’ingénierie : les ascensores de Valparaiso. Le Palacio Baburizza, actuel Musée des Beaux-Arts de la ville, est un autre bel exemple de modernité, mêlant décors de bois et ferronnerie Art nouveau en façade et lignes géométriques et épurées Art déco en intérieur. Très présents à Valparaiso, les Anglais ont également laissé leur empreinte au Chili via leurs légendaires clock-towers ou tours-horloges trônant fièrement sur les places des villes comme à Antofagasta ou Iquique. Cette dernière est indissociable de l’explosion de l’industrie du salpêtre. Durant l’âge d’or de son exploitation, la ville s’est couverte d’édifices très européens comme son théâtre municipal et sa façade néo-Renaissance, son Casino Espaňol avec panneaux de bois sculptés, coupole et céramiques néo-mauresques ou bien encore le Palacio Astoreca mêlant galeries, verrières, escaliers à double révolution, vitrines Art nouveau et mobilier néo-Renaissance. Le contraste est saisissant avec les quartiers de travailleurs se composant de petites maisons contiguës reliées par un patio commun placé au centre de ces conventillos ou petits couvents d’un nouveau genre. Cette grande épopée industrielle s’est également accompagnée de la création de villes nouvelles à proximité des gisements de matières premières. Les sites de Humberstone et de Santa Laura témoignent de cette frénésie urbanistique et architecturale. Autre lieu insolite à ne pas manquer : la ville minière de Sewell, bâtie en 1905 pour abriter les travailleurs de ce qui allait devenir la plus grande mine de cuivre du monde. On la surnomme la « ville des escaliers » du fait de son étonnante topographie. Elle est en effet juchée à 2 200 m d’altitude à flanc de montagne et possède d’impressionnantes déclivités. La ville s’est ainsi développée de façon organique en osmose avec le site selon un plan caractérisé par un système de circulation intérieure exclusivement piétonne via d’impressionnants escaliers. Son architecture mêlant bois et acier est un modèle de fonctionnalisme et annonce le modernisme à venir.

Effervescence contemporaine

A partir des années 1950, le béton est très largement employé, notamment dans les travaux de reconstruction. La cathédrale San Mateo d’Osorno a ainsi été entièrement reconstruite en béton armé. La cathédrale de la Très Sainte Conception à Concepción est, quant à elle, un élégant trait d’union entre épure néo-romane et sobriété rationaliste. Plus de grandiloquence avec la Croix du IIIe Millénaire inaugurée en 2000 à Coquimbo. Difficile de ne pas voir ce mastodonte de béton de 93 m ! Aujourd’hui, les créateurs contemporains opèrent un retour vers plus de sobriété tout en cherchant à concilier héritage du passé et innovations architecturales. La grande figure de la scène architecturale chilienne est Alejandro Aravena, lauréat, en 2016, du prestigieux prix Pritzker (le Nobel d’architecture). Aravena s’est fait connaître pour son opération « Quinta Moroy » lancée à Iquique pour résorber l’habitat insalubre et pour laquelle il a développé le concept de logement progressif, c’est-à-dire des demi-maisons qui peuvent ensuite être complétées et agrandies par les habitants au gré de leurs envies et moyens. Un projet qu’il a également employé dans le complexe Villa Verde à Constitucion juste après le tsunami de 2010. Son agence, Elemental, a également travaillé à la reconstruction de la promenade côtière de la ville. Le monolithe de béton du UC Innovation Center et les Tours Siamoises du Campus San Joaquin de l’Université Catholique du Chili à Santiago comptent parmi ses autres réalisations phares.

La région de Tunquen, au sud de Valparaiso, est devenue en quelques années un véritable eldorado architectural. Les grands noms de l’architecture chilienne et internationale y construisent des villas aux lignes épurées faisant la part belle au bois, au verre et au béton, à l’image de la somptueuse Casa Bahia Azul de Felipe Assadi surplombant la falaise ou bien encore la villa de Victor Gubbins inspirée de la Villa Savoye de Le Corbusier et dont la structure en béton brut de trois étages posée sur un socle carré de 3 m de haut évoque une tour de guet. Parmi les autres belles réalisations contemporaines à ne pas manquer, notons : le Temple Baha’i, superbe fleur constituée d’une structure métallique habillée de verre et de marbre, surplombant la commune de Penalolen, ou bien encore le théâtre en plein air d’Antofagasta dont la structure de béton brut semble un prolongement naturel du paysage alentour. Un désir de s’intégrer totalement à l’environnement que l’on retrouve dans de nombreux éco-lodges, à l’image du Nawelpi Lodge au cœur de la réserve écologique Huilo Huilo qui n’emploie que des matériaux naturels. Cette protection de l’environnement passe aussi par un recours plus systématique à la réhabilitation et au réemploi de matériau, comme en témoignent les nombreux containers transformés en logements et les anciens sites industriels transformés en hôtel de luxe comme The Singular à Santiago. Enfin, ce tour d’horizon ne serait pas complet sans une évocation de la question sismique. Le Chili est l’un des pays où les normes de construction sont les plus exigeantes et des innovations parasismiques ne cessent d’y voir le jour, comme la technique de l’isolement bas consistant à séparer la structure des immeubles de leur partie inférieure, les fondations étant appuyées sur des galets de caoutchouc absorbant les vibrations, ou bien celle des dissipateurs d’énergie plaqués sur les structures des édifices tels les grands X que vous voyez sur la façade de la Tour Titanium à Santiago. Mais chose étonnante, la Gran Torre Costanera de César Pelli à Santiago, qui du haut de ses 300 m est la plus haute tour d’Amérique Latine, ne possède aucun de ces systèmes…

Richesses vernaculaires

L’identité du Chili se lit aussi dans son habitat traditionnel. Sur l’archipel de Chiloé, dans la ville de Castro, vous pourrez ainsi découvrir les maisons de pêcheurs construites sur pilotis et baptisées Palafitos. L’archipel abrite aussi de jolies maisons à étages couvertes de tuiles en bois, comme vous pourrez en voir à Curaco de Velez et Chonchi. Sur l’île de Quinchao, les tuiles de bois sont vernies de couleurs vives ou peintes dans des tons pastel.

Des couleurs que l’on retrouve à Valparaiso, célèbre pour ses maisons traditionnelles à ossature de bois et recouvertes de tôle ondulée issue des containers (un matériau peu cher donc, mais très isolant !) et que l’on repeint aux couleurs les plus chatoyantes. Les quartiers Cerro Concepción et Alegre, dans le cœur historique de Valparaiso, regorgent de ces maisons mitoyennes et colorées. Nombreux sont les petits villages chiliens à posséder ce type de maisons en tôle bariolée bordant des rues encore en terre battue.

Les peuples autochtones ont également développé un habitat très riche. C’est le cas notamment des Mapuches et de leurs maisons traditionnelles baptisées ruka. Réalisée en matériaux naturels et biodégradables, la maison est donc éphémère, les Mapuches souhaitant limiter au maximum leur empreinte sur l’environnement. L’ossature de la ruka est en bois. Le torchis est employé comme isolant thermique pour combler les murs. Le toit, lui, peut être de chaume ou en tuiles de bois. Dans le nord du pays, il est possible d’observer des exemples d’habitats quechuas et aymaras qui font la part belle aux briques de terre et aux toits de chaume. La construction en terre ou adobe est encore très répandue au Chili. Disposée sur des structures en bois ou métallique, ou utilisée sous forme de briques, l’adobe est un matériau durable et écologique… mais qui nécessite un entretien particulier pour pouvoir résister aux assauts de la nature. Un défi pour les architectes qui dessinent le Chili de demain !