L’hécatombe de la déforestation
Alors que la forêt représentait 75 % du territoire en 1950, elle ne couvrait que quelque maigres 25 % en 1990. Les raisons de cette hécatombe sont nombreuses. D’abord, l’exploitation du bois a longtemps été vue comme une porte de sortie de la pauvreté. Ensuite, les gisements miniers philippins, qui se trouvent parmi les plus importants au monde, se révèlent un cadeau empoisonné, quand les mines entraînent l’abattage massif d’arbres pour atteindre les précieuses ressources. L’agriculture industrielle, et l’agriculture traditionnelle sont aussi sur le banc des coupables. Le gouvernement vise notamment les kaingineros, des nomades qui pratiquent une agriculture au brûlis, très dévastatrice.
Le gouvernement se montre, ainsi, enclin à inverser la balance, si bien que depuis 2010, la forêt regagne doucement du terrain, passant de 23 % à 25,5 % du territoire aujourd’hui. Le pouvoir a mis en place à la fois une politique restrictive, interdisant, entre autres choses, l’exportation du bois depuis les provinces avec moins de 40 % de forêt ; et une implication de la population, par exemple en promulguant le devoir pour tous les étudiants de planter dix arbres par an, s’ils veulent obtenir leur diplôme. Le nerf de guerre de cette politique est le National greening program, lancé en 2011, ayant pour objectif le reboisement associé à la réduction de la pauvreté, la protection contre le changement climatique et la sécurité alimentaire.
Se sacrifier pour l’environnement
Dans l’archipel asiatique, certains écologistes payent leur combat de leur propre vie. Les Philippines détiennent ainsi le record asiatique du pays le plus meurtrier pour les environnementalistes. À l’échelle mondiale, seule la Colombie fait pire. En 2019, 43 d’entre eux sont morts pour leur combat, contre 30 en 2018. Ces tragiques événements ont principalement lieu sur les îles de Mindanao et de Negros, deux îles connues pour leur forte activité agricole : un secteur qui représente plus de la moitié des meurtres. Le problème vient à s’aggraver, alors que le mandat de Duterte a été deux fois plus meurtrier que celui de son prédécesseur, Benigno Aquino.
Parmi les morts, des militants écologistes, tentent d’empêcher l’abattage illégal d’arbres à Palawan, une des îles les plus riches en biodiversité, mais aussi les plus exploitées. Pour cela, ils collaborent avec les autorités pour procéder à des arrestations, et confisquent machettes et tronçonneuses, au péril de leurs vies. Un autre cas en 2020 fait état de neuf indigènes de l’ethnie Tumandok, tués pour s’être opposés à la construction du méga-barrage d’Iloilo. Ce projet philippino-coréen menace d’inonder leurs terres.
La politique face au défi écologique
Très tôt, les Philippines ont vu dans leur environnement si prospère un atout de taille, et ont créé des lois pour tenter de protéger cette corne d’abondance. Le droit à un environnement sain est même inscrit dans la Constitution actuelle, datant de 1987. C’est le Department of Environment and Natural Resources (DENR) qui est le chef d’orchestre de la politique environnementale nationale. Il tente de limiter la destruction de l’environnement et de réhabiliter les terres endommagées, tout en multipliant les campagnes de sensibilisation. L’une de ses branches, le Biodiversity Management Bureau représente l’autorité en charge des 200 sites protégés.
Mais, entre protection et exploitation, la politique philippine vacille, notamment quand les lobbies viennent s’ajouter à l’équation. Ainsi, les lois de protection de l’environnement sont loin d’être aux normes internationales, notamment en matière de protection des espèces. Dans une situation économique instable, la politique penche trop souvent en faveur des entreprises privées. D’ailleurs, en 2017, la ministre de l’Environnement Gina Lopez, pourtant largement soutenue par les Philippins, a été gentiment écartée du gouvernement à cause de sa prise de position contre l’industrie minière.
L’élection récente de Ferdinand Marcos Jr. ne semble pas annoncer un gros changement en termes de politique environnementale.
Des espèces en péril
À la croisée de la terre et de la mer, le pays abrite des écosystèmes très nombreux, allant des denses forêts tropicales aux récifs coralliens, en passant par les complexes mangroves de palétuviers. Cet environnement spectaculaire donne lieu à un nombre important d’espèces endémiques, telles que le Tarsier des Philippines (Carlito syrichta), plus petit primate du monde, ou la Nepenthes attenboroughii, une fascinante plante carnivore qui ne pousse que sur le mont Victoria, le deuxième plus haut sommet de l’île Palawan. Cette dernière, à l’image de nombreuses autres espèces, est en danger critique d’extinction. Elle figure même sur la liste des 100 espèces les plus menacées au monde, accompagnées de deux autres espèces philippines : la libellule Risiocnemis seidenschwarzi, et la Sterne d’Orient, un superbe oiseau blanc dont on dénombre moins de 50 individus. Comble du symbolisme : l’arbre national, Pterocarpus indicus, et l’oiseau national, l’aigle des Philippines, figurent eux aussi sur la liste des espèces en danger. De son côté, la vie marine est elle aussi fortement menacée, que ce soit par les méthodes agressives de pêche (à la dynamite et au cyanure, notamment), ou par la pollution. Une étude de 1994 établissait ainsi que seulement 50 % des coraux étaient en bonne santé, et que 2,4 % n’avaient pas été dégradés.
L’archipel face à la montée des eaux
Les Philippines font partie des pays les plus menacés au monde face au réchauffement climatique. Deux conséquences en particulier la menacent. D’abord, le dérèglement climatique amène la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, dans ce pays naturellement parmi les plus exposés au monde aux typhons, éruptions volcaniques, séismes, inondations et autres glissements de terrain. Ces événements, bien que naturels, semblent de plus en plus fréquents. En 2018, le typhon Mangkut accompagné de quelques autres catastrophes ont entraîné 4 milliards d’euros de dégâts.
De l’autre côté, les 7 641 îles qui forment les Philippines sont menacées par la montée des eaux. L’État est d’autant plus exposé qu’il est le cinquième au monde en termes de longueur de son littoral. En plus de cela, au fur et à mesure que les eaux montent, le sol s’enfonce. L’érosion est en effet l’un des principaux problèmes écologiques du pays. Alors que les eaux montent de 3 millimètres par an, les sols s’enfoncent, dans certaines localités, de six centimètres par an. Certains villages, comme Sitio Pariahan, ont déjà les pieds sous l’eau.
Les parcs naturels : trésors écologiques
Les Philippines segmentent leurs 240 aires protégées en de nombreux statuts, comme les parcs naturels, les parcs nationaux, les monuments naturels, les sanctuaires, les réserves marines… En 2018, le président Duterte a fait passer le nombre de parcs nationaux de 35 à 107, auxquels s’ajoutent 27 parcs naturels. Parmi eux, le plus grand, le Nothern Sierra Madre Natural Park, couvre à lui seul la moitié de la forêt primaire philippine. C’est donc tout naturellement qu’il est considéré comme celui à la biodiversité la plus riche. En tant que tel, il est érigé comme l’une des 10 zones de protection prioritaire du gouvernement, et a même droit à son bureau de gestion dédié, contrairement aux autres parcs.
Le Mounts Iglit-Baco National Park a beau ne même pas représenter un quart de cette superficie, il est, lui aussi, d’une importance cruciale. C’est en effet l’habitat principal du Tamarau (Bubalus Mindorensis), un petit buffle endémique aux Philippines et en danger critique d’extinction.
Le Mayon Volcano Natural Park abrite quant à lui un invité tout aussi prestigieux : le volcan le plus actif du pays. Malgré la colonne de fumée soufrée qui s’en échappe constamment, il abrite 104 espèces de vertébrés et une végétation luxuriante.