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Richesses millénaires

Les plus vieilles traces d’habitat aux Philippines remontent au Néolithique. Abris rocheux et grottes étaient alors travaillés pour servir tout à la fois d’habitation et de sépulture, les niches funéraires étant taillées à même la roche pour y accueillir les momies. Mais les plus célèbres trésors millénaires du pays sont bien sûr les rizières en terrasses de la cordillère des Philippines. Patiemment, les Ifugao ont érigé des murs en pierre et boue pour sculpter le paysage et dessiner ses terrasses aux courbes élégantes capables de contenir de vastes champs inondés. Au cœur de ces somptueux paysages, les Ifugao ont construit de nombreux villages peuplés de bale, l’une des variantes de l’habitat traditionnel typique aux Philippines : le bahay kubo. Si chaque peuple possède sa variante, des caractéristiques communes existent. Les matériaux organiques, légers et résistants, sont privilégiés : poteaux, sols et murs sont en bois ou en bambou, et le toit est en chaume de plantes locales (le nipa notamment, d’où le surnom de Nipa Hut que les Américains donnèrent à ces habitations). Le bahay kubo est sur pilotis, une surélévation qui permet de se prémunir contre les nuisibles et les inondations. Modulaire, cet habitat est pensé pour permettre une construction facile et rapide. Les panneaux muraux sont ainsi souvent préfabriqués et attachés ensuite aux poteaux de bois selon un système de tenons et mortaises, ou avec des cordes et lanières, ne nécessitant l’usage d’aucun clou. Ces panneaux muraux sont souvent percés de larges fenêtres protégées par des stores ou auvents en bois. Le toit est toujours très pentu et avec de longues avancées protectrices. La structure, de plan cubique, se divise en 3 espaces : l’espace entre les poteaux qui sert d’espace de stockage ; l’espace de vie proprement dit qui se présente sous la forme d’un grand hall que l’on peut diviser via des panneaux-écrans en bambou ou en textile ; et le toit qui peut être séparé de l’ensemble par un plafond. Cuisine et salle de bains peuvent être ajoutées sur des plateformes construites à un niveau différent. Cet habitat s’inspire directement des greniers à riz ou alang aux élégants pignons ornementés. Parmi les autres formes de bahay kubo se trouvent les torogan du peuple Maranao. Ces derniers sont de véritables palais royaux dont on devine l’importance au nombre impressionnant de colonnes supportant les structures (jusqu’à 56 pour certains) et à la beauté des motifs sculptés employés pour décorer poutres et poteaux. Le Kawayan Torogan à Marantao a été classé Trésor National Culturel car il s’agit là du dernier torogan habitable. Nombreux sont également les peuples à avoir su tirer profit de la topographie pour imaginer un habitat défensif. Les formes les plus anciennes sont les kota, étonnantes structures de pierre, bois et bambou entourées de tranchées. Beaucoup de villes philippines ont été bâties sur des kota, à l’image de Cotabato City, « le fort de pierre ». Le peuple Ivatan est célèbre, lui, pour ses Ijang, établissements défensifs en terrasse établis sur des crêtes, dont les forteresses, souvent de formes triangulaires, sont taillées à même la roche. En matière religieuse, les premières mosquées du pays ne différaient pas des huttes traditionnelles. Mais rapidement, ces dernières ont évolué, respectant les codes de l’architecture islamique (volumes simples, cour centrale, galeries abritées, dômes, minarets, jeux sur les arcatures…), tout en présentant des influences hindoues (lambrequins finement sculptés, couleurs vives), et asiatiques (toits à étages multiples aux bords recourbés rappelant les pagodes). Parmi les plus anciennes, ne manquez pas la mosquée Sheik Karimol Makhdum du XIIIe siècle à Simunul.

Colonisation espagnole

La présence espagnole est d’abord une présence religieuse indissociable d’un style unique qui habille des structures pensées pour résister aux assauts de la Terre. On parle d’ailleurs de Earthquake Baroque, littéralement « baroque des séismes » ! Cette architecture se caractérise par des édifices trapus, plus larges que hauts ; des murs latéraux épais soutenus par d’imposants contreforts assurant une plus grande résistance aux secousses ; et des robustes tours clochers aux murs s’affinant vers le haut et souvent séparées du reste de la structure pour éviter les dommages en cas de chute. Ces édifices sont réalisés en pierre (tuf ou calcaire corallin) ou en briques consolidées à la chaux ou au mortier, donnant à l’ensemble des allures de forteresse de la foi (certaines possèdent d’ailleurs leurs propres fortins !). En matière stylistique, ces splendeurs du baroque, tout en dorures, peintures en trompe-l’œil, ferronneries et marqueteries, portent également la marque d’un étonnant métissage qui s’explique par le fait que les colons espagnols n’étaient pas formés à la construction. Ce sont donc les villageois philippins et les travailleurs chinois qui leur ont prêté main-forte. C’est ainsi que s’est créé un étonnant dialogue entre iconographie biblique, motifs locaux (feuilles de palmier, ananas, saints habillés en tenues traditionnelles philippines, décors en coquillages…) et motifs chinois (travail décoratif de la brique, motif du dragon…) Parmi les dizaines de paroisses et églises considérées comme Trésors Culturels Nationaux, 4 ont été classées au Patrimoine mondial de l’Unesco (église Saint-Augustin à Manille, Santa Maria à Ilocos Sur, et les églises de Paoay et Miagao). Les Espagnols ont également développé une architecture défensive dont Intramuros, le centre historique de Manille est sans conteste le plus beau représentant. La construction de la cité fortifiée a démarré au XVIe siècle. Objectif : associer au Fort Santiago (superbe structure crénelée en pierre volcanique, de forme trapézoïdale, et flanquée de multiples plateformes, bastions et batteries) un complexe système de remparts et fortifications, lui-même protégé par d’imposantes doubles-douves. A l’abri de ces remparts, se développe un urbanisme typiquement espagnol centré sur la Plaza Major où sont concentrés tous les pouvoirs. Mais c’est sans doute la ville historique de Vigan qui porte le plus la marque de cette urbanisme espagnol, avec son plan en damier, son organisation autour des places Salcedo et Burgos, et ses superbes rues pavées. La ville est surtout célèbre pour abriter de magnifiques exemples de l’habitat colonial par excellence : le bahay na bato, littéralement « la maison de pierre ». Chaque maison a son identité propre mais toutes partagent des caractéristiques communes : étage supérieur en bois surélevé et en saillie mettant notamment en valeur les fenêtres coulissantes en capiz (coquillages grattés jusqu’à la transparence et dont on fait les carreaux miniatures des fenêtres) ; poteaux de bois supportant l’étage supérieur mais intégrés dans des fondations en brique et pierre qui abritent souvent des espaces de stockage permettant la création de vides sanitaires protecteurs ; toits pentus, à pignons ou à 4 pans, en chaume, tuiles, ou zinc. En matière stylistique, ces maisons coloniales se sont fait le reflet des goûts de chaque époque, en particulier au XIXe siècle où les styles néo étaient en vogue. Ces trésors se comptent par centaines et beaucoup sont devenus des Heritage Houses ou Ancestral Houses, faisant l’objet de campagne de préservation et rénovation.

Période américaine

L’arrivée des Américains coïncide avec l’établissement d’un gouvernement civil. Partout s’élèvent des édifices gouvernementaux dans un mélange néoclassique/Beaux-Arts, leur donnant des allures de temples grecs. Une fois son assise politique et militaire assurée, le gouvernement américain fait venir le célèbre architecte et urbaniste Daniel Burnham pour repenser Manille et dessiner Baguio (nouvelle capitale d’été). Objectif : améliorer les conditions sanitaires, repenser l’urbanisme via de grands boulevards arborés, créer une cohérence esthétique en privilégiant le style Mission Revival (volumes géométriques simples, blancheur, lignes épurées…) teinté des premiers soubresauts du modernisme (modularité, absence d’ornementation), et jalonner l’espace de rappels visuels du pouvoir gouvernemental. En matière technique, Burnham a également développé des systèmes de renforcement des structures en béton, privilégié l’emploi de bois imputrescibles et anti-termites, introduit le système des blocs creux et lancé la fabrication en masse de buildings types. En parallèle, s’est développée la première génération d’architectes philippins qui ont tout de suite cherché à créer une synergie entre modernité et tradition, en s’amusant notamment avec les codes de l’Art déco. C’est le cas de Juan M. Arellano à qui l’on doit le Bulacan Provincial Capitol de Manille avec ses lignes géométriques et ses élégantes ornementations, et surtout le Manila Metropolitan Theater dont les lignes harmonieuses rappellent celles d’un orgue. Autre architecte phare de l’époque : Juan Napkill, à qui l’on doit notamment la célèbre façade du Capitol Theater avec ses formes et volumes géométriques et son lettrage en béton. Le style de Napkill emprunte les volumes simples du modernisme tout en les habillant d’ornementations et motifs faisant écho à l’histoire du pays. Un style qui ressort particulièrement dans le Rizal Shrine à Calamba, fidèle reproduction d’un bahay na bato couplée à des volumes géométriques modernes. Napkill est l’un des grands architectes philippins à avoir travaillé pour la toute puissante INC, Iglesia N Cristo, organisation religieuse célèbre pour ses églises aux extérieurs résolument néogothiques (motifs en trapèze et rosettes, tours et flèches élancées…) et aux intérieurs exubérants avec leurs dais et chœurs tout en dorures et ornements sophistiqués, arcatures savantes, peintures… Autre figure phare de l’époque : Pablo Antonio, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’architecture moderne philippine. Formes et volumes géométriques affirmés, utilisation du béton et de l’acier, importance de la ventilation traversante et de la lumière naturelle modulée par des écrans solaires et des fenêtres panoramiques inclinées, lignes épurées, importance des espaces verts… : Pablo Antonio a développé une forme de modernisme tropical que l’on peut lire dans le Galaxy Theater ou le Polo Club de Manille. L’influence américaine, elle, se fait toujours sentir, notamment avec la popularisation du bungalow. Structure de faible hauteur, avec un toit pentu en fer galvanisé et des murs en béton, le bungalow est peu cher et facile à entretenir. Sa monotonie formelle est souvent compensée par des couleurs vives. Fort Drum, île fortifiée surnommée « le cuirassé de béton » avec ses pontons, tourelles et casemates blindées, ou bien encore la Navy Memorial Chapel, étonnante chapelle construite à partir d’une demi-lune (structure préfabriquée de forme semi-circulaire en tôle ondulée et couches d’acier inoxydable montée sur des arches en métal formant la charpente) comptent parmi les vestiges d’une guerre américano-japonaise qui a détruit un nombre incalculable de trésors patrimoniaux…

Depuis l’Indépendance

Les États-Unis et le Japon refusant de financer la restauration des multiples trésors qu’ils avaient pourtant bombardés, le pays peine à dégager des fonds pour se reconstruire. Cependant, dès les années 1950, de nouvelles grandes figures de l’architecture philippine vont continuer à développer un modernisme qui ne fait l’impasse ni sur l’identité du pays, ni sur ses contraintes climatiques. Les plus célèbres de ces architectes, tous aujourd’hui désignés comme National Artist For Architecture, sont : José Maria Zaragoza, connu pour son style aux formes dérivées de l’architecture coloniale espagnole combinée aux designs simples et sobres du style international comme le prouvent notamment le Casino Espanol de Manille et l’église Santo Domingo de Quezon ; Francisco Manosa, pionnier d’un style néo-vernaculaire faisant la part belle aux matériaux locaux et à l’héritage des bahay kubo ; et enfin Leandro Locsin. Surnommé « le poète de l’espace », Locsin est célèbre pour son usage expressif du béton et ses volumes flottants inspirés des structures sur pilotis. Sa première grande réalisation est la célèbre église du Saint-Sacrifice, chapelle de forme circulaire surplombée d’une coque en béton armé d’une portée de 30 m. Sous la dictature Marcos, le pays connaît un étonnant essor de la construction, appelé de ses vœux par la controversée Imelda Marcos dont les monumentales et opulentes campagnes de travaux publics cachaient en réalité un système complexe de détournement de fonds… c’est qu’il fallait beaucoup d’argent pour entretenir le faste du Palais Malacanang au style américano-rococo-andalou. La plus célèbre des réalisations de l’époque est sans conteste le Cultural Center of the Philippine Complex comprenant notamment le National Theater Building surnommé « le volume flottant ». Un monumentalisme qui ne doit pas faire oublier que ces architectes ont également fait figure de précurseurs en matière d’architecture écologique, proposant les premières réalisations « green » à l’image du San Miguel Corporation Headquarters Building dont les courbes inspirées des rizières en terrasse ont été dessinées par Francisco Manosa. A partir des années 1980, le pays entre dans une phase de croissance urbaine sans précédent entraînant un jeu constant de destructions/constructions au mépris du bon sens écologique et humain. C’est notamment visible à Manille où les bidonvilles se multiplient, où circulation, pollution et îlots de chaleur rendent souvent le quotidien invivable et où partout sortent de terre des tours d’habitation sans âme et des infrastructures gigantesques, dont certaines, comme le Pont Binondo Intramuros, menacent directement les trésors classés. Face à ces dérives, nombreux sont aujourd’hui les architectes à opter pour d’autres voies. On voit ainsi se multiplier des créations contemporaines étonnantes aux designs s’inspirant directement des motifs traditionnels comme le New Clark City Atheltics Stadium à Tarlac qui rappelle le Mont Pinatubo avec ses façades et poteaux en Lahar (débris volcaniques) ; la Philippine Arena de Bulacan inspirée du Narra, l’arbre-mère du pays ; et le terminal 2 du Mactan Cebu International Airport avec sa superstructure en matériaux naturels. Les tours LEED (plus haute certification en matière écologique) sont de plus en plus nombreuses, à l’image du Zuellig Building, tandis que Manille voit se multiplier les micro-cités (Bonifacio Global City, Makati City…), zones mixtes à haute densité urbaine pensées pour offrir une meilleure qualité de vie via une architecture plus durable et davantage d’espaces verts. Mais la véritable révolution est celle amorcée par l’agence Sangay spécialisée dans le développement de l’architecture de bambou. Avec son grand plafond s’élevant à 12 m, le MLR Polo Pavilion impressionne ; tant et si bien que nombreux sont les Philippins à souhaiter se faire construire des résidences en bambou… ou la revanche d’un matériau pauvre aujourd’hui anobli !