Période coloniale
Bien avant la période coloniale, qui s’étend de 1521 à 1898, les peuples indigènes avaient développé leurs arts et leurs rituels. Les pratiques graphiques concernaient principalement des dessins dans les grottes et l’ornement des céramiques, et objets du quotidien.
Les Européens, menés par l’explorateur portugais Magellan, font entrer la religion chrétienne sur l’archipel. La construction des églises catholiques se base sur la croix latine, l’un des motifs repris dans la décoration des édifices. L’iconographie religieuse est traitée dans un style baroque reconnaissable à l’exagération du sentiment religieux. La dramatisation se ressent jusque dans la profusion de détails. La sculpture prend pour principal motif les saints. Ces statues sont volontiers brandies lors de processions.
Naissance de la peinture
Considéré comme le père de la peinture philippine, Damián Domingo y Gabor (1796-1834) jette les bases de l’académisme. Il diffuse ces normes au sein de l’académie artistique qu’il établit dans sa résidence de Tondo en 1821. Le lieu a pour vocation de rendre l’art plus accessible. Cette école est probablement la première académie en Asie à transmettre les techniques occidentales. La perspective, qui construit l’image par plans et rend compte de la profondeur, constitue l’apport le plus significatif de sa méthode. Son enseignement marquera plusieurs générations d’artistes philippins.
Dès ses débuts, Domingo se spécialise dans les portraits et les scènes religieuses. Il rassemble un album de costumes traditionnels, destiné aux collectionneurs. Son talent, combiné à sa facilité à s’adapter à la demande, font de lui un artiste sollicité et une référence dans l’histoire artistique des Philippines.
Tendance nationaliste
Sous l’occupation américaine (1898-1946), certains artistes se rebellent contre les codes occidentaux. La tendance, qui se veut le reflet de la culture philippine, est portée en peinture par Fernando Amorsolo.
En sculpture, l’élan nationaliste est incarné par Guillermo Tolentino (1890-1976). Sur commande du président Palma, Tolentino édifie sa gigantesque Oblation (l’Offrande) en 1935. L’homme nu (une feuille de vigne a été ajoutée ultérieurement) tend ses bras grands ouverts vers le ciel. Interprétée comme le don de soi à la Nation, la statue trône désormais sur le campus de l’Université des Philippines Diliman. Plusieurs répliques ont été réparties dans les universités du pays. Guillermo Tolentino se voit confier en 1930 la conception du Monument Bonifacio. Afin de transmettre au mieux l’émotion nationaliste, il interviewe des concitoyens ayant pris part à la Révolution contre les autorités espagnoles.
Cependant, le titre du premier Artiste Nationaliste n’a été décerné qu’en 1972 par le président Marcos. Il est revenu à Fernando Amorsolo (1892-1972), le « Grand Old Man of Philippine Art », sorte de maître vénéré. Formé aux styles espagnols, Amorsolo a recours au contre-jour et à une palette colorée pour traduire la luminosité des Philippines. Les modèles irradient sur ses toiles, comme on peut le constater au Vargas Museum, situé sur le campus de l’Université des Philippines Diliman. L'artiste, très productif, peint une dizaine de toiles par mois jusqu’à mort.
Modernisme et abstraction
L’occupation japonaise correspond à la période sombre de l’histoire des Philippines. Le modernisme, porté par Victorio Edades, Calos Francisco et Galo Hernandez, se fait à peine sentir que la majorité des œuvres d’art sont détruites. Mais l’après-guerre voit rejaillir les différentes avant-gardes, dont l’abstraction et la performance.
Pionnier de l’expressionnisme abstrait, José Joya (1931-1995) privilégie les couleurs franches. A travers ses harmonies chromatiques, il évoque les paysages tropicaux de son île natale. Son geste plein de spontanéité laisse paraître le passage du pinceau. Il décroche en 1954 une bourse qui lui permet d’étudier en Espagne. Ses premières toiles sont figuratives. Peintre, céramiste et graveur, il explore ensuite les techniques mixtes. C’est en cela qu’il influence les talents émergents. Il est choisi en 1964 pour représenter les Philippines à la Biennale de Venise. Un choix résolument moderne. L’Ateneo Art Gallery à Manille expose l’une de ses toiles les plus connues, intitulée Granadean Arabesque. Le Musée National des Philippines lui a consacré une rétrospective en 2011.
Modernisme et réalité
La tendance figurative de l’expressionnisme est représentée par Ang Kiukok (1935-2005). Né de parents chinois, il reçoit la médaille de l’Artiste National en 2001. Il faut dire que depuis les années 1960, le succès commercial de Kiukok ne faiblit pas. Bien que remarqué avec ses versions cubistes et surréalistes de la Crucifixion, c’est sa série Fishermen at Sea qui consolide sa popularité. Cet hommage aux pêcheurs lui vaut la reconnaissance de ses contemporains. Certaines de ses œuvres sont présentées au Cultural Center of the Philippines.
Dans l’archipel, la photographie prend tout son sens avec Eduardo Masferré (1909-1995). Cet autodidacte originaire des montagnes de Sagada se fabrique une chambre noire qui fonctionne sans électricité. Ses photos documentent les us et coutumes de son peuple. Grâce au recueil People of the Philippine Cordillera Photographs 1934-1956, paru en 1988, il fait connaître la culture philippine à l’étranger.
Pacita Abad (1946-2004)
Née sur l’île de Batanes, Pacita Abad est contrainte de quitter les Philippines du fait de son activisme politique. D’abord étudiante en droit à San Francisco, c’est là qu’elle découvre sa vocation d’artiste. Sa peinture se caractérise très rapidement par des couleurs éclatantes. Sa première période demeure axée sur les questions socio-politiques et les emblèmes de la culture philippine (masques, fleurs exotiques, etc.). Puis elle met au point la technique du « trapunto », qui consiste à coudre sur ses toiles des éléments tels que des boutons, des coquillages, du métal ou du verre. Par la suite, elle devient artiste itinérante. En parcourant l’Asie, elle renouvelle ainsi son inspiration. Son art s’enrichit de techniques et de motifs empruntés à chaque étape de ce long voyage jusqu’à ce que la maladie l’emporte.
Parmi ses 5 000 créations, Pacita a recouvert de cercles multicolores un pont de 55 mètres, l’Alkaff Bridge à Singapour. L’artiste a participé à une soixantaine d’expositions internationales.
Sculpture moderne
Le père de la sculpture moderne aux Philippines voit le jour à Bohol en 1930. Napoleon Abueva fréquente l’Université des Philippines avec le peintre José Joya. Puis, au College of Fine Arts, il devient le disciple de Guillermo Tolentino. Il expérimente tous les matériaux : bois, acier, béton, et bronze. Nombre de ses œuvres parsèment désormais le campus. En les examinant, on note une association de formes traditionnelles et abstraites. Dans un registre classique, il donne forme aux Neuf Muses ou à un Groupe de Femmes tissant le drapeau philippin. Ce pan de son travail lui a valu la distinction d’Artiste National.
A la demande du président Marcos, il signe les bas-reliefs de la croix dressée sur le mont Samat (Bataan). Ce monument commémoratif de 555 mètres est la plus haute croix d’Asie. Elle rend hommage aux soldats tombés au combat lors de la Seconde Guerre mondiale. Des escaliers permettent de grimper à l’intérieur de la croix et de profiter d’une vue exceptionnelle sur Bataan.
Dans un autre registre, les sculptures d’Agnes Arellano (née en 1949) s’inscrivent dans une recherche expressionniste. Ses réalisations mettent en valeur le corps féminin à travers le prisme de la sexualité ou du mysticisme. Issue d’une famille d’architectes renommées, Agnes Arellano étudie un an à Paris, à la Sorbonne. Elle associe des références religieuses ou poétiques pour composer ses installations les plus surréalistes. Marquée par la mort tragique de ses parents et de sa sœur dans l’incendie de leur maison survenu en 1981, elle décortique le thème du cycle de la vie, la création et la destruction. Elle puise dans ses voyages, et les cultures qu’elle découvre, son inspiration sans cesse renouvelée. Le tantrisme lui révèle son motif de prédilection, le yab-yum, ou « couple divin père-mère ».
Art urbain à Manille
Du street-art à Manille ? Pas qu’un peu ! Depuis 2014, la capitale accueille le MOS - festival d’art urbain. Le Meeting of Styles est la plus grande manifestation du genre en Asie. Chaque printemps, les street-artistes accourent du monde entier. Ensemble, ils échangent leurs techniques et fusionnent leurs styles.
Tout au long de l’année, les spots à connaître sont nombreux. En banlieue, à Quezon City, les murs du parking de Task Us réunissent la crème de l’art urbain philippin dont le pochoiriste GRIT, le graffeur JP Pining, et ARAL Cru.
A Marikina cette fois, on trouve le Goodfriend Bridge. Le long mur qui borde Mayor Gil Fernando Avenue a été élu par les collectifs « mur de la liberté ». Tout le monde peut venir s’exprimer. De ce fait, chacun recouvre les dessins du voisin. C’est aussi la zone de repos favorite des conducteurs de jeepneys.
A Manille, le Nagtahan Bridge a bénéficié de l’Urban Artscape Project. Sous la supervision des enseignants de l’université, les dix colonnes du pont haut perché ont été attribuées à cinq groupes d’étudiants. Chaque réalisation s’inspire de la culture traditionnelle sous tous ses aspects : symboles, héros nationaux, événements historiques, cyclones sont racontés sur les piliers autrefois gris béton.
N'oublions pas qu’aux Philippines, les modes de transport se transforment en œuvres d’art. A tous les coins de rue, dégainez vos appareils pour immortaliser les camions, rickshaws, jeepneys, bus… Ici, l’art a la bougeotte !
Art contemporain
De nos jours, nombre d’artistes philippins arrivent en bonne place sur la scène internationale. A leur tête, l’un des peintres les plus prisés est affectueusement surnommé BenCab. Benedicto Cabrera, né en 1942, est un ancien élève de José Joya. Depuis un demi-siècle, ses peintures, gravures et dessins séduisent le public. BenCab a ouvert à Baguio, son lieu de résidence, le BenCab Museum. Sa collection réunit une multitude d’œuvres de ses contemporains autour de ses créations personnelles. Suivant son exemple, les jeunes talents ouvrent leurs propres lieux d’exposition à Manille. Dans la capitale, on assiste à un afflux de galeries d’art.
Une sélection ? Silverlens (la respectée), The Drawing Room et Artinformal (pour les découvertes locales), Green Papaya Art Project (scène innovante), MO Space (installations).
Particularité des Philippines, le land art se développe dans les rizières. Une cinquantaine d’ouvriers ont créé un portrait (végétal) de Miss Univers Catriona Gray dans une rizière de Nueva Ecija. Citons les plantations de Banaue, Hungduan, Batad et Mayoyao. Côté plage, des sculptures en pierre se dressent sur Valugan Boulder Beach. Quand on vous dit que l’inspiration est partout !