Aux origines
Sur l’Ilha de Marajo, des tertres funéraires et les fondations de villages millénaires ont été mis à jour… mais selon les archéologues, le sous-sol du Brésil abrite bien d’autres trésors précoloniaux encore à découvrir ! De plus en plus menacés par la déforestation, les Indiens d’Amazonie ont su, tant bien que mal, préserver leurs traditions. Nombreuses sont les tribus à vivre dans des tabas ou villages composés de malocas ou okas, grandes maisons communautaires, généralement situées dans des clairières et protégés par des palissades en bois. C’est notamment le cas chez les Yanomani et les Xingu. Ces grandes huttes possèdent une structure en bois couverte de chaume. Les huttes sont le plus souvent disposées en cercle autour d’une grande place en terre battue où s’organise la vie de la communauté. Vivant en harmonie avec la nature, les Indiens d’Amazonie ne conçoivent leur habitat que comme temporaire. Lorsqu’ils quittent un site, ils détruisent leurs huttes dont les matériaux retournent ainsi à la terre qui les a vus naître. Sur les berges des fleuves, les Indiens Kaxinawa ont développé un ingénieux habitat sur pilotis construit en bois imputrescible et coiffé de toitures de palmes. Cet habitat sur pilotis est également utilisé en périphérie des villes lorsque les Indiens sont contraints de migrer et d’habiter en zones inondables, mais la palme est alors remplacée par la tôle. Dans l’Etat du Maranhão, notamment à Queimada dos Britos, vous pourrez également découvrir des huttes réalisées en palme et argile. Matériau phare, le palmier est souvent associé à la terre. Certaines populations recouvrent leurs murs d’un torchis appelé taipa composé de terre mélangée à des cailloux, tandis que certaines habitations sont construites selon la technique dite pau-a-pique, sorte de briques grossières de terre molle ou bouse plaquées sur une structure en bois. Une richesse vernaculaire que l’on retrouve dans de nombreuses pousadas (auberges traditionnelles brésiliennes) qui se font les ambassadrices d’un écotourisme salutaire.
Brésil colonial
D’abord simples villages ou pueblos, les missions jésuites accueillant les Indiens Guaranis se transforment en véritables villes dont le plan s’articule autour d’une grande place centrale bordée par les maisons communautaires indiennes, tandis qu’un long axe central relie le village à l’église dans une perspective toute théâtrale. Non loin, le couvent accueille les moines, avec, pour point central, le cloître bordé d’élégantes galeries couvertes. Au cœur de ces missions, les Guaranis ont développé un artisanat d’une étonnante richesse, notamment en matière de sculptures sur bois. Classé à l’UNESCO, le site de São Miguel Arcanjo illustre la splendeur de ces missions. En parallèle, la colonisation se poursuit sous les ors du baroque. L’extérieur des églises conserve une étonnante sobriété de formes et de décors. L’intérieur, en revanche, accueille toutes les exubérances décoratives, la talha – sculpture sur bois polychrome et couverte de dorures – en tête. Dans une mise en scène là encore très théâtrale, l’espace intérieur est organisé autour de la capela-mor, chapelle principale, et son maître-autel. Azulejos, dorures et peintures recouvrent plafonds sculptés, colonnes torses et pilastres dans un décor fait pour impressionner… et convertir ! Parmi les superbes exemples de ce baroque : l’Igreja da Ordem Terceira de Sao Francisco da Penitencia à Rio ; Nossa Senhora dos Pazeres à Monte dos Guararapes ; ou bien encore la très belle Nossa Senhora da Gloria, à Rio. Ce baroque religieux va atteindre son apogée dans le Minas Gerais où les confréries laïques de bandeirantes, ces aventuriers chercheurs d’or, rivalisent d’audace dans l’édification de leurs églises dont le baroque foisonnant confine au rococo, comme dans la Capela Do O à Sabara. C’est dans le Minas Gerais que va exercer le grand maître du baroque : l’architecte et sculpteur Antonio Francisco Lisboa, dit l’Aleijadinho (le petit estropié). Fils d’un architecte portugais et d’une esclave, atteint d’une maladie dégénérative, l’Aleijadinho est le symbole d’un art qui permet aux opprimés et aux démunis de transcender leur condition. Parmi ses chefs-d’œuvre, notons : l’église Saint-François d’Assise à Ouro Preto et surtout les 12 prophètes sculptés dominant le sanctuaire de Congonhas. La ville coloniale baroque, elle, se caractérise par un enchevêtrement de ruelles étroites et pentues, les ladeiras, pavées de pierres arrondies baptisées pé-de-moleque, littéralement « pied de garnement », car les enfants des rues y couraient pieds nus. Ces rues sont bordées de demeures coloniales, les sobrados, possédant un ou deux étages, organisées le plus souvent autour d’un patio, et reconnaissables à leurs toits en pente couverts de tuiles creuses, et à leurs étages nobles décorés de balcons en fer forgé et parfois de moucharabiehs, autant d’éléments témoignant des influences stylistiques portugaises et orientales. Les deux grands points de repère de la ville coloniale sont l’église et le palais du gouverneur, chacun possédant sa place où trône souvent une fontaine ou chafariz. Ouro Preto, Sao Luis, Diamantina, Recife et surtout Salvador de Bahia possèdent de somptueux centres historiques au riche patrimoine colonial. Cette période est aussi faite de troubles, ce qui explique la présence de nombreux forts sur le littoral. Parmi les plus belles fortifications, ne manquez pas : le Forte Dos Reis Magos à Natal avec son plan en étoile et le Forte de Montserrat à Bahia… Des forts destinés à protéger les ressources du pays que l’on exploite, notamment dans les engenhos, les grandes exploitations sucrières. Le site de Solar do Unhão à Salvador de Bahia en est l’un des mieux préservés.
De l’Empire à la République
Le Brésil impérial se tourne vers la rigueur néoclassique. Sous l’impulsion de Dom João VI, Rio se transforme en véritable capitale européenne. Il faut dire que le roi devenu empereur s’entoure de nombreux artistes européens, et notamment français, dont l’architecte Grandjean de Montigny. La Casa França-Brasil à Rio est l’une de ses grandes réalisations. La cour se fait également construire de nombreux palais et résidences d’été, à l’image du Palais Impérial dont les superbes jardins, aujourd’hui Parc de la Boa Vista, ont été imaginés par le paysagiste français Auguste Glaziou, à qui l’on doit également le très élégant Campo de Santana avec ses bassins, grottes et ponts. En parallèle, le pays voit se multiplier les fazendas, grands domaines ruraux associés à l’exploitation du café. Au centre, se trouve la Casa Grande, la maison du maître. Son rez-de-chaussée accueille des entrepôts, tandis que les habitations se trouvent à l’étage. Colonnes, pilastres et frontons néoclassiques décorent ces grandes demeures qui surplombent un jardin orné d’un bassin de céramique. Autour de la maison se déploient chapelle, cuisine, entrepôts, terreiros – grande terrasse dallée de pierre ou de céramique où l’on fait sécher les grains de café –, et quartier des esclaves baptisé senzala. Les riches propriétaires terriens se font également construire de superbes demeures en ville, les placetes, que l’on retrouve notamment sur l’avenue Paulista à São Paulo. Le tournant du siècle s’accompagne d’une grande effervescence urbanistique, comme le montre bien la nouvelle ville de Belo Horizonte. Inspirée de Washington, la ville, symbole de la nouvelle devise républicaine « Ordre et Progrès », s’organise selon un plan damier, tandis que de larges avenues boisées accueillant infrastructures publiques et équipements collectifs rayonnent en diagonale. Rio aussi se transforme et passe de ville coloniale à… cité haussmannienne sous l’impulsion de Francisco Pereira Passos, surnommé le maire-bâtisseur. De grandes avenues sont percées, à l’image de la célèbre Avenida Central, les rues sont élargies et de nouveaux bâtiments apparaissent, témoignant de l’évolution stylistique de l’époque, qui fait la part belle à l’éclectisme, comme le montre bien le Théâtre Municipal de la ville, dont les contours ne sont pas sans rappeler ceux de l’Opéra Garnier. A la fin du XIXe siècle, deux théâtres avaient déjà fait parler d’eux pour leur très éclectique exubérance décorative et leurs matériaux importés en totalité d’Europe (mosaïques portugaises, marbres italiens, tuiles alsaciennes…) : le Théâtre Amazonas à Manaus et le Théâtre Da Paz à Belém. En parallèle, se développe une étonnante architecture métallique, qu’avait annoncée l’Elevador de Salvador de Bahia, premier ascenseur urbain du monde. Souvent associée aux courbes de l’Art nouveau et à ses élégantes verrières, on retrouve cette architecture métallique dans les marchés urbains, à l’image du Mercado Municipal de Manaus ; dans les gares, comme dans l’Estaçao da Luz à São Paulo ; ou sur les ponts, tel le Pont Hercilio Luz à Florianopolis. Le début du XXe siècle est aussi celui du développement des stations balnéaires. Copacabana en est un bon exemple. Nombreuses sont les villas de son Avenida Atlântica à se parer des lignes géométriques et épurées de l’Art déco. Une modernité qu’avait également annoncée la grande exposition organisée à Rio en 1922.
Eloge du modernisme
Dans les années 30, Rio change sa physionomie sous l’impulsion de l’urbaniste français Alfred Agache qui imagine les grandes avenues du quartier du Castelo, des immeubles avec parking, et de vastes trottoirs surmontés d’édifices sur pilotis. C’est également l’avènement des gratte-ciel. L’Edificio Martinelli avec sa résidence Art nouveau au sommet de ses 30 étages, et l’immeuble Banespa dont les lignes Art déco rappellent celles de l’Empire State Building sont les deux plus célèbres tours de São Paulo. Mais c’est Le Corbusier qui va définitivement introduire le modernisme au Brésil. Vouant une véritable passion à la ville de Rio, il y réalise le Palacio Capanema dont les pilotis, brise-soleil et bureaux paysagers rappellent ses Cités Radieuses. Parmi les architectes qui assistent Le Corbusier se trouve le maître incontesté du modernisme brésilien : Oscar Niemeyer, qui va développer un style très personnel où la courbe règne en maître. L’église Saint-François d’Assise à Pampulha avec ses trois nefs en arcs paraboliques, ou bien encore l’Edificio Copan à São Paulo avec sa forme en S, illustrent bien cette architecture ondoyante. Mais les plus célèbres réalisations de Niemeyer sont à voir à Brasilia, ville conçue par l’architecte en collaboration avec l’urbaniste Lucio Costa, à la demande du président Kubitschek qui souhaitait donner au pays une nouvelle capitale. Bâtie ex nihilo, la ville permet toutes les « folies » architecturales et urbanistiques. Le plan directeur est inspiré du dessin d’un avion, la ville se faisant ainsi le symbole de la prospérité du pays. L’importance de la symbolique se retrouve dans les édifices de Niemeyer : la coque de la Chambre des Députés rappelle une sorte d’urne destinée à recevoir le vote du peuple, tandis que la forme fermée de la coupole du Sénat symbolise la concentration nécessaire à la prise de décisions ; de même la structure du quartier général de l’armée rappelle la forme d’une épée défendant la ville. Parmi les autres édifices à ne pas manquer : la Cathédrale Metropolitana et ses piliers courbes dessinant un cercle baigné de lumière, la pyramide de béton du Théâtre National ou bien encore le Parque da Cidade imaginé par une autre figure clé du modernisme, Roberto Burle Marx. En parallèle de ces édifices du pouvoir, la ville dispose aussi d’imposants quartiers résidentiels faits de superquadras, blocs d’habitations sur pilotis. Novatrice, la ville s’est pourtant révélée être un échec… centrée sur le tout-voiture, pensée pour une faible population et donc non adaptée aux exodes ruraux massifs voyant se multiplier les bidonvilles en périphérie, et isolée du reste du pays, Brasilia a les défauts de sa modernité. Autres grandes figures du modernisme, Alfonso Reidy a imaginé l’étonnant Musée d’Art Moderne de Rio, avec ses deux gigantesques niveaux soutenus pas une série d’arcs en béton armé ; tandis que Paulo Mendes da Rocha a transformé São Paulo avec son brutalisme épuré et élégant, faisant dialoguer verre et béton dans un savant jeu d’ouverture vers la nature, comme le montre bien la superbe Casa Butanta. Après Oscar Niemeyer, Paulo Mendes da Rocha est le deuxième architecte brésilien à s’être vu remis le prestigieux Prix Pritzker, le Nobel d’architecture !
Brésil contemporain
Dans les années 80, l’industrielle et industrieuse São Paulo se pare d’une forêt de gratte-ciel, tandis que les voies de circulation se superposent afin de désengorger le centre-ville. En périphérie, les quartiers ouvriers organisés en cercles ou en damiers côtoient de luxueuses villas, tandis qu’encore plus à l’écart les favelas se multiplient. Aucune ville n’échappe à l’apparition de ces quartiers de fortune devenus de véritables villes dans la ville où les premières cabanes en planches de bois et toits de palmes ont laissé place à des constructions en béton. Face aux favelas, les condominios ou gated communities font figure de véritables forteresses de béton. Fort heureusement, le Brésil contemporain possède un autre visage, celui de réalisations étonnantes et davantage en lien avec son histoire, à l’image du grand Sambodrome de Rio imaginé par Oscar Niemeyer, du MUBE de São Paulo réalisé par Paulo Mendes da Rocha ou de l’Instituto Inhotim, plus grand centre d’art contemporain à ciel ouvert dont les jardins ont été dessinés par Roberto Burle Marx. Cette période marque aussi le début d’une réflexion sur les questions environnementales. En 1992, Curitiba reçoit même le Prix Scroll of Honour-Habitat de l’ONU en récompense de son système de ramassage et de recyclage des ordures rachetées aux plus défavorisés, créant une économie vertueuse. Une réflexion écologique menée également par José Zanine Caldas, architecte autodidacte qui développa une architecture aux structures de bois brut apparentes. En parallèle, le Brésil a continué à s’enrichir de belles réalisations contemporaines. Oscar Niemeyer a réalisé le Musée d’Art Contemporain de Niteroi aux allures de soucoupe volante et le superbe auditorium de São Paulo ; Paulo Mendes de la Rocha a reçu le Prix Mies Van der Rohe Amérique Latine pour sa rénovation de la Pinacothèque d’Etat à São Paulo et a imaginé la Cais des Artes de Vitoria toute en légèreté et transparence ; Alvaro Siza a réalisé le Musée Iberê Camargo à Porto Alegre à la lumineuse structure de béton blanc ; la Franco-Brésilienne Elizabeth de Portzamparc a, quant à elle, imaginé le projet de réhabilitation de la Marina da Gloria à Rio avec de grandes promenades végétalisées aux allures de Land Art. Si les J.O. ont mis un coup de projecteur sur Rio et sa richesse culturelle, avec pour centre névralgique le Museu do Amanha aux lignes futuristes et à l’élégante blancheur imaginées par Santiago Calatrava, force est de constater que la plupart des infrastructures mises en place ont été finalement laissées à l’abandon… Un contraste saisissant avec l’architecture durable qui se développe aujourd’hui. L’ingénieur Helio Olga continue de pousser toujours plus loin l’architecture bois, s’inspirant de la réussite de son projet imaginé en collaboration avec Marcos Acayaba : la maison-tour de São Paulo, prototype de construction industrialisée mêlant harmonieusement bois et ciment. Peut-être Jean Nouvel s’en est-il inspiré pour imaginer sa Torre Rosewood, véritable bâtiment-paysage pensé comme une extension du Parc de Matarazzo à São Paulo. A cela s’ajoutent de nombreux projets écologiques qui opèrent un véritable retour aux sources !