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Le village de Kampung Pelangi, surnommé le %22rainbow village%22 © HaniSantosa - stock.adobe.com.jpg

Art rupestre

Le plus ancien dessin figuratif au monde se trouve en Indonésie. La première représentation humaine fait son apparition dans les grottes de Maros-Pangkep, sur l'île de Sulawesi. Empreintes de mains en négatif et animaux tracés aux pigments rouges et violets ont été découverts dans les abris sous-roche par des archéologues en 1906. Les fouilles se sont poursuivies et, plus récemment, la première scène de chasse de l'histoire de l'humanité y a été mise au jour. Les dernières études la datent à 43 900 ans, ce qui la place avant Chauvet (38 000 ans et son célèbre rhinocéros). Cette datation remet en cause les théories situant les origines de l'art en Europe. Sur une paroi d'une longueur de 4,5 mètres, la scène montre des chasseurs munis de lances et de cordes poursuivant six porcins ou buffles vus de profil. Encore plus étonnant, les chasseurs ont un corps humain mais une tête animale. C'est pourquoi les spécialistes ont émis l'hypothèse que ces dessins découlaient de croyances.

Figuration et religion

L'art indonésien reste attaché à la figuration. Après l'animisme et le culte des ancêtres, les îles adoptent les croyances indiennes comme toute l'Asie du Sud-Est. Le bouddhisme et l'hindouisme dominent la culture locale pendant des siècles. Cela est encore plus vrai à Sumatra et Java. Mais lorsque l'Islam prend le contrôle de Java au XVIe siècle, les princes hindous s'enfuient avec leurs fidèles et leurs artisans et s'établissent à Bali.

Peintures, sculptures et masques ayant un usage religieux, leur exécution doit se conformer à des règles symboliques. Par exemple, les statues pratima, les effigies des dieux visiteurs, sont fabriquées dans des matériaux précis, selon des iconographies codifiées et laissées dans les autels des sanctuaires. En revanche, les bas-reliefs racontant la descente de l'homme en enfer occupent la partie basse du temple, la plus impure. Même les joyaux sont imprégnés de signification religieuse. Les kriss, en tant que symboles de la descendance, sont forgés par les pandéqui, et soumis à des rites spéciaux. Et la facture de tous ces objets est régie par un calendrier d'interdits et de rites. Seuls quelques jours et quelques heures sont propices, encore qu'il faille respecter des cérémonies.

L'artiste est alors le convoyeur des traditions et des contes. D'anciens lontars illustrés (ou livres en bambou) sont visibles à la Bibliothèque de Singaraja, à Sukawati et à Karangasem. Les peintures, exécutées sur un tissu en coton local, devaient contenir des scènes narratives et être assignées à des endroits précis. Les panneaux « parba »  des temples devaient être décorés de figures divines. La peinture sur vêtements devait contenir des illustrations qu'on ne découvrait que dans certaines circonstances, notamment les mariages.

Les peintures classiques devaient rester fidèles au wayang kulit , la représentation scénique relatant les épopées du Ramayana et du Mahabharata. De nos jours encore, les Balinais aiment assister  aux warang kulit. Il incombait aux peintres de découper les figures dans le cuir et de raconter les mêmes histoires en utilisant la même iconographie. Garants des valeurs traditionnelles, les artistes indonésiens sont pendant des siècles protégés par les cours des royaumes. Le résultat est tangible dans les gria, les maisons de brahmanes, les temples et les palais. Les plus connues sont celles peintes au plafond du Kerta Gosa (Kertha Gosa Park) à Klungkung, ancienne cour de justice du royaume.

Sculptures et masques

En sculpture, les lois sont dictées par le matériau. Les tribus pratiquent la sculpture sur bois et sur pierre. L'art de la sculpture sur pierre se développe entre le VIIIe et le XVe siècle. Il est marqué par les croyances hindou-bouddhistes comme on peut le voir dans l'important temple de Borobudur (VIIIe-IXe siècles, centre de l'île de Java), célèbre notamment pour son Bouddha de Borobudur, qui est l'image même de la sérénité. Autre lieu hautement symbolique, l'ensemble de la plaine de Prambanan. Aussi appelé Candi Rara Jonggran, ce site implanté à Yogyakarta regroupe 240 temples. Une gravure date sa fondation à 856. Dédié à l'épouse de Shiva, le temple principal abrite des scènes de combat opposant le Bien et le Mal. Les principales divinités, dont Brahma, Shiva, Ganesh et Vishnu apparaissent dans les bas-reliefs.

La sculpture sur bois est traditionnellement pratiquée dans les tribus Asmat, Dayak, Nias et Toraja. Plusieurs régions sont réputées pour leur sculpture sur bois : Jepara (Java) ainsi que Bali et ses villages environnants comme Mas et Ubud.

Les masques font partie intégrante des rituels. Portés lors des danses, ils participent au récit des contes et légendes hindous. À l'origine, ils aident aussi à établir un lien avec les esprits. À ce titre, ces objets sont sacrés et confectionnés selon des codes précis, transmis de père en fils. Les deux personnages les plus courants sont Barong et Rangda, présents depuis l'époque animiste. On les retrouve jusque dans les publicités et les souvenirs touristiques. Barong arbore une crinière de lion, et Rangda ressemble à une sorcière à la chevelure emmêlée, affublée de longues défenses. Pour les Indonésiens, toute créature peut être malveillante ou bienveillante, et le mal est souvent victorieux. Barong incarne la justice. Le visage de Rangda est souvent recouvert d'un voile pour éviter que l'on pose les yeux sur celle qui représente la malchance et les pouvoirs maléfiques. Dans les danses masquées, Barong et Rangda s'affrontent, ornés de bijoux dorés.

Ubud et Klungkung

Au XVIe siècle, sous domination islamique, Bali devient la terre d'exil de princes hindous et des artisans indonésiens. La production artistique à l'ère hindoue repose sur les princes et leur entourage. Les palais et les pavillons sont ornés de panneaux de bois, de peintures et d'objets finement travaillés. La décoration, la musique et les danses participent aux rituels religieux. C'est ce lien entre beauté et rites qui explique que la culture soit restée vigoureuse. Sculpteurs, peintres, danseurs et musiciens mettent leurs compétences au service des grands événements.

Dans les premières années du XXe siècle, les Hollandais exercent leur pouvoir, notamment dans le système éducatif. La colonie est contrainte de s'ouvrir au tourisme, changement qui se reflète dans les arts balinais. Les artisans commencent à envisager leurs productions comme de l'art. Ils diversifient les techniques, les genres et les thèmes. Sous l'influence occidentale, les conventions ancestrales connaissent un profond bouleversement. Les représentations des épopées hindoues cèdent la place aux scènes de la vie quotidienne et au paysage. Cette mutation est retracée au Museum Bali à Denpasar qui expose les différents arts indonésiens de la préhistoire au XXe siècle. Toujours à Denpasar, le centre d'arts Taman Budaya associe expositions et ventes de créations locales.

Le centre culturel s'est néanmoins établi à Ubud. Walter Spies (1895-1942), musicien et peintre, arrive à Ubud en 1927 à l'invitation du roi d'Ubud, Cokorda Raka Sukawati, qui sent le rôle que pouvait jouer la culture et l'art. Grâce à Walter Spies, les peintres de la région d'Ubud et des environs adoptent de nouvelles techniques et cherchent l'inspiration dans des thèmes différents. La révolution artistique est lancée. Un autre Européen, le peintre hollandais Rudolf Bonnet (1895-1978) s'installe à Ubud en 1929, renforçant l'influence artistique européenne. Ces artistes expatriés capturent sur la toile les paysages balinais, la vie quotidienne, les mille détails de la vie religieuse. Ils travaillent aussi d'après modèle vivant et incitent les Balinais à faire de même. Pour cela, ils distribuent le papier, la toile, les pinceaux et les couleurs aux Balinais habitués à peindre sur des découpes de toile de Nusa Penida, à l'aide de pigments naturels. Le concept de l'espace diffère dans l'art balinais. Tout l'espace de la toile est rempli, sans recourir à la perspective. Spies et Bonnet introduisent une nouvelle approche de l'espace et de sa représentation et guident leurs confrères locaux dans l'élaboration d'une conscience individuelle. Ces derniers commencent à signer leurs œuvres et à devenir, au sens européen du terme, des « artistes ». Ce mouvement s'étend au-delà du petit village d'Ubud. Bientôt, des peintres viennent de partout demander conseil. Inspirés par cet enthousiasme, Bonnet, Spies et le roi d'Ubud fondent l'association « Pitamaha » en 1936. La tradition s'est perpétuée jusqu'à ce jour, Ubud restant le cœur de la création balinaise, là où les artistes partagent volontiers leur savoir.

Peinture

La peinture traditionnelle a son centre à l'est de Bali, à Klungkung, également appelé Emarapura. Siège du dernier royaume à résister à la colonisation, la cité a connu l'âge d'or des temps anciens. Les peintres de Klungung ont entretenu une tradition qui limitait l'art pictural à sa fonction narrative. Le village de Kamasan est lui aussi un centre réputé pour ses peintres, et la réalisation de panneaux dans les sanctuaires et de calendriers astrologiques.

La peinture se réinvente avec l'arrivée d'artistes européens. Le Hollandais Bonnet et l'Allemand Spies sont les principaux initiateurs de cette ouverture aux influences occidentales.

Au XIXe siècle, Raden Saleh (1811-1880) pose les jalons de la peinture indonésienne moderne. D'origine arabo-javanaise, Raden Saleh naît dans une famille aisée, sur l'île de Java. Inscrit à l'école néerlandaise, il rencontre le Belge Antoine Payen, missionné par le ministère pour peindre des paysages de Java. Celui-ci remarque le don du garçon et l'initie aux techniques de peinture européennes. Adolescent, il est envoyé se former aux Pays-Bas. Il séjourne en France, admire Delacroix et le romantisme. Sa toile Chasse au taureau sauvage, retrouvée dans la cave d'un particulier dans le Morbihan, sera vendue 7,2 millions d'euros en 2018. C'est ainsi que l'œuvre est retournée en Indonésie, dans les valises d'un collectionneur de Djakarta.

A la suite de Raden Saleh, un genre populaire se développe en Indonésie, celui des scènes romantiques implantées dans la vie locale. Le collectif Pita Maha (1936) est fondé avec l'aide du roi d'Ubud. Certains artistes accèdent à une renommée internationale.

Modernisme

L'artiste Nyoman Gunarsa (1944-2017) est le maître incontesté de l'art contemporain indonésien. Après une formation académique, le peintre élabore le style de « l'École indonésienne » en traitant les traditions balinaises et hindoues selon un vocabulaire expressionniste. Les mouvements et les tonalités des danses indonésiennes se retrouvent dans ses toiles intenses. Les figures religieuses affichent leurs émotions touchant à la béatitude. Il fonde le groupe Sanggar Dewata Indonesia en 1970, puis organise des expositions dans le monde entier sans pour autant quitter son île natale. Maintes fois primé, il ouvre deux musées sur l'île, à Yogyakarta et à Klungklung.

Le Gunarsa Museum of Classical & Modern Art, monté par le peintre non loin de son domicile de Banda, abrite de l'art classique et contemporain. Sculptures anciennes, masques, peintures sur écorce et œuvres du maître sont répartis sur trois étages.

Nouvelles tendances picturales

Après la Seconde Guerre mondiale et la crise de l'Indépendance, Bali connaît une nouvelle flambée créative dans les années 1960 et 1970.

Arie Smit (1916), arrivé en 1956 à Penestanan, distribue des tubes de couleurs aux plus jeunes. Cela occasionne un nouveau style fait de surlignages épais et de sujets extravagants. Les artistes de Batuan s'adonnent aux joies du détail en développant une école de miniatures d'une beauté époustouflante fondée sur le principe du lavis d'encre de Chine. Peu à peu, Bali attire les peintres nationaux, javanais et d'autres parties de l'Indonésie, comme Affandi, Srihadi et bien d'autres. Leur production, longtemps prisonnière de l'académisme européen, inonde le marché.

Une nouvelle génération de peintres, venant des académies de Java et de Denpasar, s'attaque avec succès à la peinture abstraite. Tusan conçoit un cubisme « à la balinaise », Gunarsa penche vers l'action-painting. Seul Made Wianta élabore son propre style à partir d'une recherche chromatique subtile, rehaussant des volumes abstraits par une utilisation systématique du détail.

Expression urbaine

L'art contemporain indonésien regroupe tous les modes d'expression et tous les styles. Traditions ancestrales, croyances et innovations visuelles cohabitent avec bonheur.

Le street-art fleurit en Indonésie. S'il n'est pas officiellement toléré, le gouvernement commence à faire appel aux graffeurs. Les plus réputés se nomment Anagard, Dnztwo, Bujangan Urban ou Quint. Certains ont collaboré au « rainbow village ». Cette commande du gouvernement les chargeait de revigorer le village de Kampung Pelangi à Java. Pari tenu ! Les façades multicolores ont clairement rendu ce village attrayant.

Dans le sud de Bali, à Canggu, une multitude de fresques et de graffitis recouvrent les murs. Pour localiser le centre de la culture urbaine locale, longer la route Raya Canggu en direction de Tanah Lot. Matériel, vêtements, galerie d'art spécialisée, tout est réuni pour faire des heureux. À l'origine d'Allcaps, l'envie de Julien Thorax de proposer un lieu d'échange, où il soit possible de peindre sur la plage ou près des rizières. La localité était avant son installation un village de pêcheurs qui attirait une faune branchée. Allcaps propose des circuits street-art pour découvrir Bali à travers la culture urbaine, en plus du festival TROPICA. Cette manifestation fait en prime de l'Artivisme. Environnement et égalité des sexes sont défendus à cette occasion, entre décors peints et cadre naturel.

Jakarta s'est érigée en capitale de l'art de rue dès 2011. Cette année-là, s'est tenu le Jakarta Sunday Street Art Movement. Si le but de ces artistes pacifistes était de diffuser des messages de paix dans l'archipel, nombre d'entre eux se sont faits connaître grâce à cet événement. De nos jours, à Jakarta, les amateurs de fresques urbaines se retrouvent rue Jalan Cikini Raya.

Scène contemporaine

Le paysage contemporain se caractérise par sa pluralité et sa vitalité. L'émergence de nouveaux talents propulse rapidement l'Indonésie au niveau international. L'ouverture en 2017 du Musée d'art moderne de Nusantara (MACAN) à Jakarta offre une plateforme de qualité aux plasticiens de tous horizons. À leur tête, l'artiste I Nyoman du Masriadi séduit les collectionneurs de l'étranger. Né en 1973, le peintre figuratif est la tête d'affiche de la scène actuelle. I Nyoman Masriadi mélange avec beaucoup d'humour l'histoire indonésienne et la vie contemporaine. Ses personnages se situent entre le héros de bande dessinée, l'archétype et la divinité. Grand observateur de la société actuelle, il crée l'événement lors de la foire Art Jakarta 2022.

Christine Ay Tjoe est la femme artiste la plus connue en Indonésie. Née en 1973, Christine Ay Tjoe étudie à Bandung puis en Allemagne et à Singapour. Mixant abstraction et figuration, elle est connue pour ses toiles ultra colorées, ses installations et ses sculptures protéiformes.