À partir de 6 500 av. J.-C
Cultures de Starčevo et de Vinča
Homo sapiens s’installe définitivement en Grèce et en Bulgarie il y a environ 50 000 ans, se propageant ensuite au reste de l’Europe via la Méditerranée et le Danube. Mais les plus anciennes traces d’une présence humaine au Kosovo remontent seulement au néolithique, avec l’arrivée de tribus de l’actuelle Serbie. Ce sont d’abord les hommes de la culture de Starčevo, originaires de la région de Belgrade, qui prennent pied ici vers 6500 av. J.-C. Chasseurs-cueilleurs, ils maîtrisent les rudiments de l’agriculture. Leur présence est attestée dans les deux plus anciens sites archéologiques du pays, à Vlashnja/Vlašnja (municipalité de Prizren) et à Runik/Rudnik (municipalité de Skenderaj/Srbica). Ils sont supplantés au Ve millénaire av. J.-C. par la culture de Vinča, davantage structurée et dont l’épicentre se trouve aussi près de Belgrade. Rayonnant du nord de la Grèce au sud-est de la Hongrie, cette civilisation est très avancée (agriculture, cuivre, céramique lustrée, etc.) et pourrait avoir mis au point le premier alphabet de l’humanité comme en témoignent les signes gravés sur les tablettes de Tărtăria (Roumanie), de Dispilio (Grèce) et de Gradešnica (Macédoine du Nord). Au Kosovo, on retrouve sa trace à Vlashnja/Vlašnja et à Runik/Rudnik. Mais ce sont surtout des sites de Reshtan/Raštane (municipalité de Theranda/Suva Reka) et de Bardhosh (municipalité de Pristina) qui ont livré les objets d’art les plus célèbres du pays : des figurines féminines en terre cuite aux allures d’extraterrestre, comme la Déesse au trône exposée au musée du Kosovo, à Pristina.
De 3500 à 1300 av. J.-C
Cultures de Glasinac, de Baden et de Bubanj
Durant les âges du cuivre et du bronze, le Kosovo est peuplé de descendants des cultures de Starčevo et de Vinča ainsi que par de nouvelles tribus paléo-balkaniques issues des cultures de Glasinac (originaire de Bosnie-Herzégovine), de Baden (de Tchéquie) et de Bubanj (de Serbie). Cette période est marquée par l’édification de forteresses et de tumuli, dont on retrouve les vestiges sur une quinzaine de sites à travers le pays, notamment à Gadimja e Epërme/Gornje Gadimlje (municipalité de Lipjan/Lipljan) et à Llashtica/Vlaštica (municipalité de Gjilan/Gnjilane). Malgré le développement de la métallurgie, peu d’objets subsistent de cette période au Kosovo. La compréhension est également rendue difficile par le nationalisme actuel : les historiens albanais ont tendance à attribuer tous les sites locaux à la culture de Glasinac, voire aux Dardaniens (qui n’émergent pourtant que bien plus tard), deux peuples perçus par eux comme les ancêtres des Albanais. L’objectif est de prouver l’antériorité du peuplement albanais du Kosovo, en effectuant des rattachements hasardeux entre les hommes de Glasinac, les Dardaniens, les Illyriens, puis les Albanais.
De 1300 à 400 av. J.-C
Thraces, Dardaniens et Illyriens
Durant l’âge du fer, le Kosovo est d’abord investi par les Thraces. Ce peuple très hiérarchisé est présent dans l’est des Balkans et en Asie Mineure depuis le Ve millénaire av. J.-C. Moins bien connus sont les Dardaniens et les Illyriens qui arrivent à partir du XIe siècle av.-J.-C. Selon les historiens albanais, les deux peuples n’en forment qu’un et sont les ancêtres directs des Albanais. En fait, les Dardaniens proviennent sans doute du Bosphore (région des Dardanelles). Les Illyriens sont quant à eux probablement issus de tribus paléo-balkaniques de l’actuelle Croatie. Si l’on retrouve des traces de leurs langues dans l’albanais actuel, les deux peuples restent longtemps bien séparés. Ainsi, le Kosovo est alors surtout occupé par les Dardaniens, tandis que les Illyriens sont minoritaires et unis aux Thraces (on parle de tribus « thraco-illyriennes »).
De 393 à 28 av. J.-C
Royaume de Dardanie
En 393 av. J.-C., le roi Bardylis parvient à unir différentes tribus dardaniennes pour fonder le royaume de Dardanie. Sous influence culturelle grecque, celui-ci occupe principalement le territoire actuel du Kosovo. Constamment en lutte, ce nouvel État est en guerre au sud contre les Molosses et le royaume de Macédoine. À l’est, il doit combattre des tribus thraco-illyriennes soumises par les Celtes, notamment les Bastarnes et les Scordisques. Ces derniers parviennent à s’implanter à l’est du Kosovo en 279 av. J.-C., donnant leur nom aux monts Šar (Scordus en latin). Le royaume demeure toutefois puissant et reçoit le renfort de certaines tribus du royaume d’Illyrie (nord de l’Albanie). À partir de 201 av. J.-C., la Dardanie s’allie à Rome contre les Macédoniens et les Bastarnes. Après plusieurs défaites et une occupation, le royaume est rétabli avec l’aide de Rome en 168 av. J.-C. Alors que les régions voisines deviennent des provinces romaines, la Dardanie reste autonome pendant encore plus d’un siècle. Hormis quelques drachmes dardaniennes exposées au musée du Kosovo, peu de vestiges subsistent de cette période. On estime toutefois que Damastion, la capitale du royaume, se trouvait à l’emplacement de la célèbre forteresse médiévale de Novo Brdo.
De 28 av. J.-C à 395 apr. J.-C
L’Empire romain
Protectorat romain depuis 168 av. J.-C., la Dardanie est officiellement intégrée à l’Empire en 28 av. J.-C. Alors peuplé de Dardaniens, de Thraco-Illyriens et de Celtes, le territoire du Kosovo fait d’abord partie de la province d’Illyrie qui longe l’Adriatique, avant d’être divisé entre les nouvelles provinces de Dalmatie (côte adriatique) et de Mésie supérieure (région du Danube). Les Romains tracent des routes comme celle reliant le port de Dyrrachium (Durrës, en Albanie) à la capitale de la Mésie supérieure, Naissus (Niš, en Serbie). Ils développent les mines d’argent de Metalla Dardania (Trepča, au nord) et de Metalla Ulpiana (Novo Brdo, à l’est). Pour mieux contrôler celles-ci, deux villes sont fondées : Municipium Dardanorum (27 km au nord de Mitrovica), redécouverte récemment, et Ulpiana (près de Pristina), qui est aujourd’hui le plus important site archéologique du pays. Ulpiana voit en effet sa position renforcée en 284, lorsque l’empereur Dioclétien fait de la ville la capitale du nouveau district romain de Dardanie qui intègre la partie orientale du Kosovo ainsi que le nord de la Macédoine du Nord. L’ouest du Kosovo est quant à lui rattaché à Prévalitaine (nord de l’Albanie, Monténégro et sud de la Serbie). Le IVe siècle est marqué par la propagation du christianisme au Kosovo et par un recentrage de l’Empire vers l’Orient et ses racines helléniques.
395-840
Empire byzantin et sklavinies
En 395, face aux invasions qui menacent l’Empire romain, celui-ci est « provisoirement » divisé en deux : à l’ouest, l’Empire romain d’Occident est dirigé par Rome ; à l’est, l’Empire romain d’Orient a pour capitale Constantinople, ville fondée en 330 par l’empereur Constantin à l’emplacement de la cité grecque de Byzance. Mais cette séparation, qui passe juste à côté du Kosovo, va devenir durable. Après la chute de Rome (476), seul subsiste l’Empire romain d’Orient, dit byzantin, qui va durer mille ans. Comme tout le sud des Balkans, le territoire du Kosovo passe aux Byzantins. Pour les habitants, rien ne change si ce n’est que le grec remplace peu à peu le latin comme langue administrative. Toutefois, si le Kosovo est riche grâce à ses mines, il est éloigné de Constantinople et difficile à défendre. Ainsi, entre 441 et 449, le territoire est ravagé par les Huns. Il n’est reconquis qu’un siècle plus tard par l’empereur Justinien. Celui-ci établit des forteresses, comme celle d’Harilaq/Ariljača (municipalité de Fusha Kosova), et refonde Ulpiana sous le nom de Justiniana Secunda. Il fait de la cité un puissant évêché qui contribue à la christianisation de la région. Mais la reconquête justinienne est fragilisée par une épidémie de peste qui dépeuple le Kosovo et par l’arrivée des Slaves. Désignés sous le nom de Sklavènes, ceux-ci s’établissent à partir des années 520 au Kosovo et sont les ancêtres des Serbes. Une nouvelle vague de Slaves déferle sur les Balkans au VIIe siècle. Du Danube au Péloponnèse, ils forment des sklavinies, des colonies au sein de l’Empire byzantin. S’ils reconnaissent vaguement l’autorité de l’empereur, ils demeurent attachés à leurs langues et à leurs cultes. Le Kosovo est alors fortement déchristianisé et échappe de plus en plus aux Byzantins.
840-1018
Empire bulgare et principautés serbes
La présence d’une forte population slave au Kosovo facilite l’arrivée des Bulgares, d’origine turco-slave. Le khan Pressiyan (836-852) conquiert la plus grande partie du territoire dans les années 830-840. Son fils Boris Ier se convertit au christianisme en 865 et adopte les coutumes byzantines, ce qui permet un retour de l’Église et une meilleure administration. Toutefois, le Kosovo est constamment disputé par les princes serbes de Rascie (sud de la Serbie), de Dioclée (sud du Monténégro et nord de l’Albanie) et de Zeta (Monténégro central), vassaux de Byzance mais sous influence latine. Au Xe siècle, le Kosovo est ainsi divisé entre une région serbe au nord-ouest et une zone sous domination bulgare au sud-est. Au sein de la population se mêlent aussi bien des catholiques et des orthodoxes que des Serbes, des Bulgares, des Celtes, des peuples de culture gréco-latine comme les Aroumains et des « Albanais » (le terme n’est employé qu’à partir du XVIe siècle).
1018-1166
Retour de l’Empire byzantin
En l’an mil, l’empereur byzantin Basile II le Bulgaroctone (« tueur de Bulgares ») lance la reconquête des Balkans contre les Bulgares. Après la victoire décisive de la passe de Kleidion (Bulgarie), le 29 juillet 1014, le premier Empire bulgare s’effondre en 1018. Basile II reprend en main un immense territoire qui s’étend de l’Adriatique au Danube. Le Kosovo est intégré au thème (région militaire byzantine) de Bulgarie avec Skopje comme chef-lieu et Ohrid comme archevêché orthodoxe (deux villes de l’actuelle Macédoine du Nord). Basile II réaffirme aussi son autorité face aux princes serbes, mais concède à ceux-ci plusieurs fiefs autonomes. Après la mort de Basile II (1025), le Kosovo et les Balkans sont secoués par les révoltes bulgares et aroumaines en 1040 et en 1071. Les armées byzantines doivent aussi faire face aux raids destructeurs des Petchénègues (Turcs de la mer Noire) et au nouvel Empire bulgare dans les années 1080.
1166-1389
Royaume de Serbie
Le Kosovo constitue le cœur du royaume de la plus grande dynastie serbe, les Nemanjić (prononcez « némanicht »), qui a régné sur toute une partie des Balkans pendant deux siècles. Tout commence en 1163, lorsque les Byzantins confient la Rascie (juste au nord du Kosovo) aux Vukanović, des vassaux serbes et catholiques. Mais une guerre éclate entre le prince Tihomir Vukanović et son frère Nemanja. En 1166, lors de la bataille de Pantina (entre Mitrovica et Vushtrri/Vučitrn), Tihomir est tué et Nemanja s’empare du pouvoir. Il prend le nom de Stefan (« couronné ») et se convertit à l’orthodoxie pour tenter d'amadouer les Byzantins. Peine perdue. En 1191, ceux-ci matent la révolte serbe. Un accord est finalement trouvé : Stefan Nemanja reconnaît l’autorité de l’empereur, en échange de quoi il reçoit plusieurs territoires, dont le Kosovo. Cinq ans plus tard, le vieux roi devient moine et organise sa succession : son fils Stefan Nemanjić accède au trône, tandis que son autre fils, le futur saint Sava, prend la tête de la nouvelle Église orthodoxe serbe. Dès lors, la dynastie des Nemanjić n’aura de cesse de s’émanciper des Byzantins. C’est le Kosovo qui va leur fournir les moyens de leurs ambitions. Cette terre, alors en grande partie peuplée de Slaves, leur est acquise. Elle échappe au mouvement révolutionnaire chrétien des bogomiles (les « cathares des Balkans »). Et c’est le monastère de Peć (patrimoine mondial de l’Unesco) qui accueille à partir de 1253 le siège de l’Église orthodoxe serbe. Sous l’impulsion du « roi bâtisseur » Milutin (1282-1321) et de son fils Stefan Dečanski (1321-1331), Pristina devient un temps la capitale du royaume et le Kosovo se couvre d’églises et de monastères sublimes comme ceux de Gračanica et de Dečani, tous deux classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Les anciennes mines d’argent de Metalla Ulpiana sont protégées par la forteresse de Novo Brdo et attirent les marchands de Venise et de Raguse (Dubrovnik, en Croatie). Grâce à ces richesses, les Nemanjić écrasent les Bulgares à la bataille de Velbajd (1330) et dominent les Balkans. Le dernier grand roi de la dynastie, Stefan Dušan (1331-1355), va jusqu’à se faire couronner empereur et s’attaque aux Byzantins. Une décision qui causera l’affaiblissement aussi bien des Byzantins que des Serbes et laissera le champ libre aux Ottomans.
1253-1321
Stefan Milutin
Fils de la princesse française de Naples Hélène d’Anjou, Stefan Uroš II Milutin (ou Étienne Milutine) est le membre de la dynastie des Nemanjić qui a régné le plus longtemps (1282-1321) et le roi serbe qui a le plus profondément transformé le Kosovo. On lui doit notamment le choix de Pristina comme capitale du royaume, l’essor des mines d’argent de Novo Brdo et la construction de la forteresse du même nom. Menant la guerre contre les Bulgares, les Mongols et son propre frère Dragutin, il est surtout un roi bâtisseur. Des artistes de tous les Balkans rejoignent la prestigieuse « école du roi Milutin » et érigent pour lui une quarantaine d’églises et monastères en Serbie, à Constantinople, à Jérusalem ou en Italie. Mais son chef-d’œuvre reste le somptueux monastère orthodoxe serbe de Gračanica (près de Pristina), inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2006.
V. 1410-1481
Leka Dukagjin
Les Albanais d’Albanie ont comme héros national Skanderbeg (1405-1468). Ceux du Kosovo ont Leka Dukagjin (ou Lekë Dukagjini). Ce seigneur catholique fait partie d’une puissante famille albanaise qui contrôle le sud-ouest du Kosovo au début de l’ère ottomane (XIVe-XVe siècles). Né vers Lipjan/Lipljan, il mène continuellement bataille à partir de 1444. Il rejoint d’abord brièvement la révolte contre les Ottomans menée par Skanderbeg. Il guerroie ensuite contre des seigneurs albanais et les Vénitiens implantés au nord de l’Albanie et se retourne un temps contre Skanderbeg. Mais, à la mort de ce dernier, il s’allie à Venise et prend la tête de la rébellion anti-ottomane. S’il ne rencontre aucun grand succès militaire, il met au point le plus célèbre droit coutumier albanais : le Kanun de Dukagjin, encore suivi par certains clans du Kosovo et du nord de l’Albanie.
1389-1912
L’Empire ottoman
Dynastie turque et islamique fondée dans l’actuelle Turquie par le sultan Osman Ier en 1299, les Ottomans sont les descendants de tribus oghouzes venues de la mer d’Aral. Grands admirateurs des Byzantins, ils furent un temps leurs alliés. Mais ils n’auront de cesse de conquérir leurs territoires jusqu’à s’emparer de Constantinople en 1453. Les Ottomans prennent pied dans les Balkans dès 1347 et progressent rapidement. La disparition des Nemanjić (1371) et les querelles de succession serbes leur fournissent l’occasion de pousser plus loin. L’affrontement décisif a lieu le 28 juin 1389, à côté de Pristina, et se solde par la défaite de la coalition menée par les Serbes : la bataille de Kosovo Polje marque ainsi le début de la domination ottomane sur la plus grande partie des Balkans. Pour autant, les nouveaux maîtres se contentent d’une présence minimale, délégant d’abord le pouvoir à des rois serbes (Lazarević) et des seigneurs albanais (Dukagjin). On note alors l’installation de colons turcs, qui coïncide avec l’arrivée de Roms qui se sédentarisent. Mais le Kosovo restera mal contrôlé : dernier bastion chrétien défendu par des Serbes et des Albanais, la forteresse de Novo Brdo tombe en 1455. L’islamisation des populations est tardive : elle ne débute vraiment qu’au XVIe siècle et seulement par le biais d’incitations fiscales. Pour administrer le territoire, les Ottomans font preuve de pragmatisme et s’appuient surtout sur l’Église orthodoxe. Celle-ci voit plutôt d’un bon œil les Albanais catholiques se convertir à l’islam, puisque cela nuit à l’influence du pape. Quant aux mosquées qui sont érigées durant ces cinq siècles, elles sont de facture bien modeste comparées aux chefs-d’œuvre de l’architecture ottomane que l’on trouve par exemple à Constantinople. Le désintérêt des sultans pour le Kosovo apparaît plus frappant encore quand on pense à l’abandon des riches mines de Novo Brdo et de Trepča. En fait, les Ottomans voient surtout le Kosovo comme une base avancée dans le conflit qui les oppose aux Autrichiens et aux Hongrois (XVIe-XVIIIe siècles). Sur place, ils se contentent de faciliter le commerce en entretenant les voies romaines et en construisant des charchias, l’équivalent des souks arabes. Malgré plusieurs révoltes serbo-albanaises et la brève capture du Kosovo par les Autrichiens et les Hongrois en 1690, les populations profitent dans l’ensemble d’une large autonomie. Mais l’absence de développement économique et le déclin intellectuel de l’Empire ottoman provoquent l’essor de mouvements claniques chez les Albanais, la montée du sentiment national chez les Serbes et la propagation des haïdouks (bandits de grand chemin). La situation se tend à partir de 1878 quand 60 000 Albanais sont expulsés de la Serbie indépendante et trouvent refuge au Kosovo. Le rapport démographique s’inverse : pour la première fois, les Slaves deviennent minoritaires et réclament le rattachement à la Serbie. Les Albanais, au contraire, restent attachés à la tutelle ottomane et fondent la Ligue de Prizren. Ce mouvement prendra les armes jusqu’en 1912 non pour obtenir l’indépendance, mais pour tenter de réformer un empire à l’agonie.
1910-1997
Mère Teresa
Anjeza Gonxha Bojaxhiu, canonisée sous le nom de mère Teresa de Calcutta en 2016, est un symbole contesté de la nouvelle identité kosovare. Déjà, elle est revendiquée aussi bien par l’Inde (son pays d’adoption), la Macédoine du Nord (son pays de naissance), le Kosovo (le pays de ses parents) que l’Albanie (son pays de cœur). Si elle a « entendu l’appel de Dieu » au Kosovo, à Letnica (près Gjilan/Gnjilane), c’est bien en Inde que la sainte catholique a passé la majeure partie de sa vie auprès des plus pauvres. Elle est aussi contestée pour ses prises de position antimusulmanes et les détournements d’argent dont elle est suspectée. Mais aux yeux de toute une élite albanaise, le personnage a surtout le mérite de donner du Kosovo et de l’Albanie l’image de pays « moins musulmans ». Pristina possède ainsi depuis 2010 l’unique cathédrale au monde dédiée à mère Teresa.
Octobre 1912-mai 1913
Première Guerre balkanique
Cette guerre voit la défaite de l’Empire ottoman face à l’union formée par la Grèce, la Bulgarie, la Serbie et le Monténégro. Elle se traduit par le retrait des Ottomans des Balkans, l’indépendance de l’Albanie (28 novembre 1912) et l’annexion de territoires par les vainqueurs. La Serbie et le Monténégro s’emparent du Kosovo dès octobre 1912. La province compte alors 500 000 habitants, dont 50 % d’Albanais, 25 % de Serbes et 10 % de Turcs.
Juin-août 1913
Deuxième Guerre balkanique
Si la province est épargnée par la Deuxième Guerre balkanique, qui voit la Bulgarie perdre face à ses anciens alliés, elle est le théâtre de combats entre forces serbo-monténégrines et nationalistes albanais. Des milliers de musulmans fuient vers la Turquie et environ 15 000 Albanais sont tués lors d’insurrections à Peja/Peć et à Gjakova/Đakovica.
Décembre 1915 - 1920
Première Guerre mondiale
Durant la Première Guerre mondiale, la Serbie est envahie par l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie puis la Bulgarie en décembre 1915. Environ 400 000 soldats et civils serbes fuient jusqu’à Corfou à travers le Kosovo et l’Albanie. Décimés par le froid, la faim et les attaques incessantes de bandes armées albanaises, seuls 160 000 parviendront à destination. Ce « calvaire albanais » (Albanska golgota) restera gravé dans la mémoire du peuple serbe. Au Kosovo, sous occupation bulgare, les communautés sont dressées les unes contre les autres : tandis qu’ouvrent les premières écoles en langue albanaise, les écoles serbes sont fermées, des paramilitaires albanais quadrillent le territoire et 20 000 Serbes sont massacrés en 1917. En septembre 1918, l’armée française venue de Grèce chasse les Bulgares.
Le Kosovo intègre le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, renommé royaume de Yougoslavie en 1929. La Serbie, traumatisée par la guerre (elle a perdu 20 % de sa population), dirige d’une main de fer cette « première Yougoslavie » et provoque partout des mécontentements. Au Kosovo, les écoles albanaises sont fermées et 70 000 colons serbes s’installent. La province profite toutefois d’un boom économique grâce au redémarrage de l’activité minière à Trepča en 1920.
1941 - 1945
Seconde Guerre mondiale
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le royaume est envahi par l’Allemagne en avril 1941. À travers la Yougoslavie, les Serbes, les Juifs et les Roms sont pris pour cible par des nazis et leurs collaborateurs croates et albanais. Une grande partie du Kosovo est incorporée à l’Albanie fasciste sous tutelle italienne depuis 1939. Alors que les partisans de Tito mènent une guerre de libération en Serbie et en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, les actions armées sont rares. Il s’agit le plus souvent de massacres de partisans et civils serbes (environ 30 000 morts) par les vulnetari, des « volontaires » albanais locaux. En 1943, les Allemands prennent le contrôle de toute la province et créent la division SS Skanderbeg qui recrute 6 500 Albanais sur place. Ceux-ci participent à la déportation des Juifs de Pristina et, à partir d’octobre 1944, ils luttent contre l’armée de Tito qui entre au Kosovo. La province est officiellement libérée le 22 novembre 1944. Pourtant, 10 000 nationalistes et SS albanais poursuivront le combat jusqu’en juillet 1945, certains menant des actions sporadiques pendant encore dix ans.
1945-1980
Fédération yougoslave : l’apaisement
En 1945, le Kosovo intègre la Fédération socialiste de Yougoslavie en tant que province de la Serbie. Même si les Serbes ont une nouvelle fois été les principales victimes de la guerre (environ 500 000 morts entre 1941 et 1945), Tito entend ne pas reproduire les erreurs de la « première Yougoslavie ». Trois objectifs sont fixés : réconciliation, autonomie et développement. Au Kosovo, la réconciliation passe par la glorification des rares actes de résistance des Albanais pendant la guerre. En témoigne le grand Monument des mineurs, à Mitrovica, qui rend hommage aux mineurs serbes et albanais de Trepča qui s’étaient mis en grève dès avril 1941. Dans les faits, la justice se montre implacable envers les Albanais ayant collaboré avec les nazis. En 1963, les autorités tentent également d’infléchir l’essor démographique albanais (6 enfants par femme) en incitant les musulmans à s’exiler en Turquie. Mais rien n’y fait. En 1991, la population atteindra 1,6 million d’habitants, dont 81 % d’Albanais. Pour ce qui est de l’autonomie, c’est plus subtil. Le Kosovo n’est pas une « république » comme la Serbie, la Croatie ou la petite Macédoine, mais une « région autonome » de la Serbie. Ce compromis permet de ne pas réveiller le nationalisme des Serbes tout en offrant des avantages aux autres communautés comme l’enseignement en langues locales. Malgré la méfiance de Tito envers les Albanais, le Kosovo est progressivement doté d’un gouvernement (1963), d’une université (1969), d’un parlement, d’une cour de justice et d’un statut protecteur pour les musulmans (1974). Enfin, le Kosovo profite du formidable développement économique yougoslave : 10 % de croissance par an de 1950 à 1965. La province se modernise avec la construction de routes, d’hôpitaux et de nouveaux centres-ville qui remplacent les vieilles charchias ottomanes. Quant au conglomérat Trepča, il devient le plus gros groupe industriel de la Fédération avec 23 000 employés en 1988. Le Kosovo n’en demeure pas moins la région la plus pauvre de Yougoslavie. Fragilisée par la mort de Tito (1980) et la crise financière qui frappe la Fédération, elle devient un foyer d’agitation.
1981-1998
Fédération yougoslave : l’éclatement
En mars 1981, suite à une série de violences qui visent les symboles serbes du Kosovo, dont un incendie au monastère patriarcal de Peć, la loi martiale est décrétée. Cette révolte albanaise se solde par 18 morts et des centaines d’arrestations. En Serbie, le nationaliste Slobodan Milošević instrumentalise ces tensions pour parvenir au pouvoir. Élu président en 1989, il réduit aussitôt l’autonomie de la province, puis dissout le parlement de Pristina en 1990. Par bravade, les députés albanais votent une « Constitution du Kosovo » et l’écrivain nationaliste Ibrahim Rugova est bientôt élu « président du Kosovo » lors d’un scrutin clandestin. Milošević réplique en renforçant les mesures policières et en s’attaquant aux droits des Albanais : la reprise en main du Kosovo doit servir d’exemple pour éviter l’éclatement de la Yougoslavie. Peine perdue : à partir de 1991, toutes les républiques, à l’exception du Monténégro, déclarent leur indépendance. C’est le début des guerres de Yougoslavie. Alors que la répression se durcit au Kosovo, les soldats serbes sèment la terreur en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. En 1995, la Yougoslavie ne comprend plus que le Monténégro, la Serbie et sa province du Kosovo. Mais Milošević sort vainqueur du conflit bosnien qui a fait 100 000 morts : grâce au soutien diplomatique de la Russie, il a obtenu de l’ONU la création d’une vaste entité serbe semi-indépendante au sein de la Bosnie-Herzégovine. Au sortir de la guerre froide, c’est un affront pour les États-Unis. Ceux-ci vont dès lors tout faire pour punir Milošević et la Serbie.
Depuis 1999
L’après-guerre
En juin 1999, toutes les autorités civiles et militaires yougoslaves se retirent du Kosovo. Celui-ci est aussitôt placé sous la tutelle de l’ONU et de l’OTAN. La première gère le territoire avec la Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) qui comprend des fonctionnaires, des policiers et des juges. La seconde déploie la Force pour le Kosovo (KFor) qui compte au départ 50 000 soldats principalement britanniques, américains et français chargés d’assurer la sécurité. Quant à l’UÇK, officiellement dissoute, elle s’empare progressivement du pouvoir économique et politique, ne laissant qu’une place honorifique à Rugova, premier président officiel du Kosovo jusqu’à sa mort en 2006. Mais l’organisation poursuit ses actions armées contre les Serbes au Kosovo (jusqu’en décembre 2000) et dans le sud de la Serbie (jusqu’en juin 2001). Elle déclenche aussi la dernière des guerres de Yougoslavie avec l’insurrection albanaise de Macédoine du Nord (janvier-novembre 2001). Accusés de crimes de guerre, d’abus sexuels et même de trafic d’organes, les ex-dirigeants de l’UÇK sont pourtant couverts par les Occidentaux, au premier rang desquels le Français Bernard Kouchner, chef de la MINUK de 1999 à 2001. Aucun de ceux qu’on appelle aujourd’hui les « commandants » n’a été encore reconnu coupable par la justice internationale (un premier procès a commencé fin 2021), et ce alors que la plupart des criminels de guerre serbes ont, eux, déjà été jugés et condamnés, à l’exception notable de Milošević, mort durant son procès en 2006.
Malgré une importante aide financière de l’Union européenne, le Kosovo sombre dans la pauvreté et le chômage (50 % de la population active en 2006). La KFor et la MINUK se montrent incapables de faire respecter l’ordre. Victimes de discriminations et de violences, 300 000 Serbes, Roms et Gorans fuient vers la Serbie, notamment après les émeutes anti-serbes de 2004 orchestrées par les « commandants ». Pour satisfaire la population albanaise devenue ultramajoritaire (mais qui s’exile massivement pour des raisons économiques), ces derniers déclarent unilatéralement l’indépendance du Kosovo le 17 février 2008. Les Occidentaux, surpris et gênés, soutiennent pourtant les anciens de l’UÇK : les États-Unis et la plupart de leurs alliés reconnaissent le nouveau pays qui reste toutefois, au regard du droit international, une région de la Serbie. La KFor voit ses effectifs fondre et la MINUK est remplacée par la mission européenne Eulex aux compétences moins étendues. Les Kosovars décident désormais seuls de leur avenir. Pourtant, alors que la corruption bat des records, ils continuent élection après élection de reconduire au pouvoir les « commandants ». Car ceux-ci dirigent les deux grands partis albanais du pays (AAK à droite et PSD au centre gauche) et désignent la Serbie comme responsable de tous les maux. Toutefois, après deux décennies de domination des ex-UÇK, les choses semblent enfin évoluer.
1944-2006
Ibrahim Rugova
Le « président-écrivain » est la figure la plus marquante du Kosovo contemporain. Polyglotte et formé à Paris sous la direction de Roland Barthes, Ibrahim Rugova est né à Cercë/Crnce (près de Peja/Peć) dans une famille nationaliste albanaise et musulmane qui a collaboré avec les nazis. À partir de 1971, il rédige dix essais, dont l’un est traduit en français, La Question du Kosovo (1994). Indépendantiste, il fonde en 1989 la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), un parti albanais d’abord classé à l’extrême droite. Député au parlement de Pristina, il devient le principal opposant local à Milošević et est élu « président du Kosovo » lors d’un scrutin non reconnu en 1992. Mais il est progressivement mis à l’écart, car jugé trop pacifiste par l’UÇK. Il est toutefois désigné premier président officiel du Kosovo en 2002. Peu avant sa mort, il se convertit au catholicisme.
2021
Les Kosovars ont élu une nouvelle majorité parlementaire dirigée par le parti Vetëvendosjel (« Autodétermination » en albanais). Née d’une initiative citoyenne, celle-ci entend enfin s’attaquer à la corruption, à la pauvreté et au chômage en vue d’arrimer le Kosovo à l’UE. Pour autant, les tensions restent vives avec la Serbie. Par exemple, fin 2021, la frontière était bloquée suite à l’interdiction aux véhicules immatriculés en Serbie d’entrer au Kosovo.