Aux origines
Le site de Lepenski Vir abrite d’étonnantes traces d’habitat préhistorique. Le site doit son nom au plâtre d’argile boueuse et rougeâtre, lep, qui recouvre ses maisons. Lepenski Vir signifie littéralement « le tourbillon d’argile rouge ». Disposées en éventail et organisées autour d’allées et places, ces maisons disposent toutes d’un même plan trapézoïdal et de sculptures monumentales traduisant un travail raffiné de la pierre. Les Romains poussèrent plus loin ces réflexions en associant urbanisme et architecture défensive, établissant le puissant limes du Danube, composé de routes, forteresses, cimetières, villes et ponts. Parmi les sites les plus impressionnants, ne manquez pas la forteresse de Diana, à Karatas, le pont de Trajan à Kostol, dont les vingt piliers de pierre et de brique soutiennent une structure en bois s’étendant sur près de 1 200 m, et son fort de plan carré, aux coins arrondis, dont les murs épais abritent baraquements, entrepôts et ateliers, ou bien encore le site de Gospodin Vir avec sa route creusée dans la roche soutenue par des consoles de bois pour enjamber le fleuve et longeant les impressionnantes Tables de Trajan taillées à même la roche. Une monumentalité que l’on retrouve sur le site romain de Felix Romuliana-Gamzigrad, ensemble commémoratif et palatial imaginé par l’empereur Galère. Un tétrapyle (monument carré dont chaque face a l’aspect d’un arc de triomphe à baie unique) y marque la séparation entre le temporel (palais, thermes, basiliques) et le spirituel (mausolées, temples). Les Romains font de l’urbanisme l’outil de leur puissance. Un fait que démontre le site de l’ancienne Viminacium, aujourd’hui ensevelie sous la terre, mais dont on sait qu’elle abrite une des plus importantes nécropoles de l’Empire romain, des temples, bains, palais et théâtres faits de dalles et de briques… dont certains paysans se servirent des milliers d’années plus tard pour construire leurs maisons. Caričin Grad, ancienne Iustiniana Prima, porte, elle, la marque de l’empereur byzantin Justinien. Les fortifications de la ville haute abritent notamment une très belle basilique-cathédrale à trois nefs dotée d’un élégant atrium bordé de portiques et d’un baptistère tréflé, ainsi qu’une place centrale circulaire, des rues bordées de portiques au pavement de pierre et un ingénieux système de canalisation. Hors les murs s’étendent aqueducs, thermes, églises et bâtiments résidentiels… témoins d’une ville en pleine expansion.
Trésors médiévaux
La Serbie médiévale est marquée par l’art serbo-byzantin, qui se divise en trois grandes écoles. L’école de la Raška se caractérise par des églises à nef unique surmontée d’un dôme précédent le chœur. Les intérieurs y sont richement décorés, tandis que les extérieurs empruntent à l’architecture romane occidentale leur sobriété des lignes. Parmi les plus beaux témoins de cette école, ne manquez pas le monastère de Studenica ceint d’une muraille circulaire abritant notamment l’église de la Vierge, tout en marbre blanc, ou bien encore l’église Saint-Achille d’Arilje avec son dôme à six fenêtres et ses pilastres et arcatures aveugles en façade. L’école du Vardar se caractérise par des églises à plan en croix inscrite, avec des dômes multiples, une façade occidentale précédée d’un porche et une polychromie de pierres et de briques créant des motifs décoratifs. Les églises de l’école de la Morava, elles, déploient plans tréflés, absides rayonnantes, narthex (vestibule) occidental et ornements plastiques et polychromes en façade. L’église du monastère de Manasija avec ses cinq coupoles, l’église du monastère de Ravanica avec son dôme à neuf pans et ses décors de céramique aux motifs floraux et géométriques, ou bien encore l’église du monastère de Ljubostinja avec son dôme supporté par quatre piliers et ses rosaces et dentelles de pierre en sont les plus belles représentantes. Quelle que soit l’école, tous ces édifices abritent de somptueuses fresques byzantines réalisées par des peintres grecs exilés venus exprimer ici un art somptueux du volume, de la couleur et de la lumière. Aux silhouettes crénelées et fortifiées de ces monastères, répondent celles des grandes forteresses jalonnant le pays du haut de leurs promontoires rocheux. Celle de Smederevo avec son plan triangulaire, sa double ligne de remparts ponctuée de dizaines de tours et protégée de douves est l’une des plus impressionnantes du pays. Le vieux Ras, une des premières capitales du royaume de Serbie, abrite les vestiges d’un urbanisme pensé au service de la puissance de l’autorité serbe qui y impose une imagerie dynastique, se plaçant ainsi comme un pouvoir providentiel et sacré. Enfin, à l’ouest du pays, ne faites pas l’impasse sur les cimetières de tombes médiévales (Stecci) en pierre calcaire, à l’étonnante richesse de formes (dalle, coffre, toiture à pignon, piliers, croix monumentale) et de motifs décoratifs.
Ottomans, Austro-Hongrois et Serbes
Alors qu’elle possédait plus de soixante-dix mosquées ottomanes, Belgrade n’en abrite plus qu’une aujourd’hui : la mosquée Bajrakli, bâtiment cubique surmonté d’un dôme octogonal, flanqué d’un minaret élancé à toit conique, et possédant un mihrab (niche indiquant La Mecque) aux belles inscriptions calligraphiques. Belgrade abrite également le turbe du cheikh Mustafa, tombeau en pierre de plan hexagonal sur lequel repose un dôme décoré d’inscription coranique. Le pont de pierre d’Užice, l’impressionnante citadelle de Nis abritant la somptueuse mosquée à coupoles de Malkoçoglu Bali Bey et le hammam de Minnetoglu Mehmed Bey avec ses plafonds ornés de muqarnas (motifs en stalactites), les magnifiques bains thermaux de Novi Pazar avec leurs voûtes et coupoles, sont les témoins du faste urbanistique et architectural de la période ottomane. Durant cette période, les Serbes se réfugient dans la province autonome de Voïvodine, non loin des monts de la Fruška gora, et y établissent une série d’impressionnants monastères. Édifiés aux XVe et XVIe siècles, ils reprennent les codes de l’école de la Morava (plan tréflé, abside rayonnante, coupoles, riche décoration en façade), avant d’être reconstruit au XVIIIe siècle, à la suite des assaut ottomans, dans un style résolument baroque (hauts clochers à bulbes, façades blanches, toitures de tuiles rouges, riches iconostases gravées et sculptées). Parmi les plus beaux monastères, ne manquez pas : Krušedol, Privina Glava et Novo Hopovo. Durant leur brève incursion en Serbie, les Austro-Hongrois adaptèrent les grandes forteresses médiévales aux évolutions de l’artillerie à l’image des forteresses de Belgrade et de Petrovaradin, et repensèrent les centres urbains à grand renfort de lignes baroques et classiques comme en témoignent Novi Sad et Zemun. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les Ottomans construisirent de nombreux konaks. Plan rectangulaire, base en pierre, murs chaulés de blanc percés de fenêtres disposées symétriquement, façade principale ornée d’oriels (balcon fermé et vitré), façade sur cour avec balcon ouvert et porche-galerie, cour arborée ceinte de hauts murs… tels sont les grands traits de ces palais urbains. Parmi les plus beaux : le konak du pacha de Vranje et le konak du gospodar Vasin à Kraljevo. Une tradition qui sera perpétuée par les souverains serbes, notamment le prince Milos, qui se fit construire l’Amidžin Konak à Kragujevac et le konak de la princesse Ljubica à Belgrade, qui entame une transition vers des styles plus européens comme le montrent ses frontons, corniches et colonnes ornant ses angles. Un style néoclassique que l’on retrouve dans les châteaux et résidences d’été, tel le monumental château de Karatsonyi avec son grand porche à colonnes corinthiennes, comme dans les nouveaux lieux de pouvoir, tel l’hôtel de ville de Sombor.
Éclectisme et modernité
Sous l’influence des Hongrois, la Serbie va se parer aux couleurs de l’Art nouveau et plus spécifiquement du style Sécession mêlant formes géométriques simples et foisonnement du décor. C’est la ville de Subotica qui en abrite les plus beaux exemples. Le palais Leović a été dessiné par Odon Lechner, l’un des maîtres hongrois de la Sécession, qui inspira nombre d’architectes, dont Marcell Komor et Dezső Jakab qui réalisèrent la magnifique synagogue de la ville. Voyez ses parements en stuc, ses décorations en céramique émaillée, ses éléments en bois sculpté et ses vitraux colorés illuminant sa coupole soutenue par une structure métallique d’une étonnante modernité. La Serbie va également connaître une phase de romantisme national, fondée sur la renaissance du style serbo-byzantin mais teintée de nouveautés formelles. Branko Tanazević, le grand représentant de ce courant, réalise la maison de Dragomir Arambašić entre influence byzantine et Art nouveau, et l’ancienne centrale téléphonique de Belgrade mêlant rosettes et dômes nervurés à une asymétrie très moderne. Viktor Lukomski, lui, dessine l’hôtel Avala mêlant éléments byzantins, ottomans (porches, arcades) et modernistes (toit plat, ouverture rectangulaire sans ornement). L’imposante cathédrale Saint-Sava de Belgrade, dessinée par Aleksandar Deroko, abrite la plus grande mosaïque en coupole du monde. Voyez sa façade en marbre blanc et granit et ses dédales de galeries intérieures. Un style byzantin que les frères Krstić reprennent dans leur église Saint-Marc de Belgrade avec ses dômes et arcades. Mais les frères architectes sont également de grands promoteurs du modernisme comme le montrent les volumes simples et les lignes épurées de la Banque agraire et de l’immeuble Igumanov à Belgrade. Une sobriété des formes qui annonce l’Art déco, style privilégié pour illustrer l’essor de la capitale. Parmi les immanquables de ce style : la Chambre des travailleurs avec ses volumes géométriques dénués de tout ornement à l’exception de sculptures monumentales tout à la gloire des travailleurs, et le Commandement des forces armées à Zemun, temple du modernisme technologique dont le plan rappelle la structure d’un avion. N’oublions pas l’ambassade de France de Belgrade réalisée par Henri-Roger Expert, symbole d’une architecture moderniste nourrie de classicisme comme en témoigne sa demi-rotonde, ses escaliers d’honneur et ses grands volumes de marbre blanc.
Architecture contemporaine
Les grands représentants de la période yougoslave sont les spomenik, mémoriaux de béton mêlant monumentalisme et expressionnisme. Le monument aux Soldats du détachement de Kosmaj prend la forme d’une gigantesque mine de béton, symbole de la guérilla et de la résistance. Le mémorial aux Juifs serbes représentant les tables de la Loi a été conçu par Bogdan Bogdanović, l’un des plus grands architectes de l’époque. On lui doit également l’allée des Patriotes méritants conçue comme un jardin bordé de béton. Cette période s’accompagne également de nouvelles recherches urbanistiques, comme le montre bien Novi Beograd, grand quartier résidentiel divisé en blocs mêlant progressisme et modernisme, avec, en son centre, le monumental palais de Serbie et son dôme de verre. Autres incontournables de ce brutalisme : la tour Genex perçant le ciel de ses deux tours reliées par un pont aérien, la tour d’habitation du quartier de Karaburma dont les volumes triangulaires en saillie lui ont valu le surnom de « tour Toblerone », ou bien encore la tour Avala, reposant non pas sur le sol mais sur un trépied de béton. Aujourd’hui pourtant, la spéculation immobilière grandissante pousse les promoteurs à détruire les richesses de la ville au profit de projets pharaoniques, tel Savograd, complexe résidentiel et commercial dont on ne peut manquer les trois tours inclinées de verre et d’acier, et bien sûr le Belgrade Waterfront abritant un gigantesque centre commercial (la Galerija Belgrade) et qui s’apprête à voir s’achever la Kula Belgrade, tour de verre de 168 m imaginée par la célèbre agence américaine SOM. Fort heureusement, certains projets optent pour plus de mesure, faisant la part belle aux réhabilitations, à l’image des docks de Beton Hala transformés en bars et restaurants, du Old Mill Hotel Belgrade, ancien moulin sublimé par le dialogue entre matériaux anciens et naturels, ou bien encore le SkyWellness, centre de bien-être qui réinvente la Fleur du Danube, emblème brutaliste aux étonnants volumes en porte-à-faux. En parallèle, de nouvelles créations imaginent une architecture plus respectueuse de l’histoire et de l’environnement, à l’image du Lapidarium d’Užice, pensé pour sublimer la pierre avec ses grands espaces voûtés, et du chalet imaginé par Tijana et Andrej Mitrović à Divčibare, faisant dialoguer un volume blanc géométrique avec une un toit pentu à bardeaux de bois.
Richesses vernaculaires
La région viticole de Negotinska Krajina abrite de nombreux pivnice. Lieu de stockage et de transformation du vin, ces caves étaient originellement semi-enterrées et surmontées de toits d’herbe, puis elles se sont développées en structures à un ou deux étages. Fondations en pierre, structure en bois complétée de torchis, toits en croupe recouverts de tuile caractérisent le plus souvent ces étonnants bâtiments regroupés autour de places et d’allées. Le site le plus étonnant est le cimetière de Rajacke Pivnice dont les 200 tombes aux reliefs ornementaux les plus variés sont abritées dans les caves. La richesse de l’habitat traditionnel serbe peut aussi être observée dans les nombreux ethnovillages du pays. À Sirogojno, vous pourrez découvrir des églises et maisons en bois aux toits très pentus avec hauts pignons et couverture en bardeaux. À Tiganjica, vous observerez les étonnantes maisons du style Banat avec leurs pignons arrondis percés d’oculus et leurs toits de tuile surplombant leurs murs de brique. L’ethnovillage de Moravski Konaci, lui, abrite des maisons en planches ou en rondins de bois sur fondations de pierre et des églises en bois aux toits à plusieurs niveaux s’imbriquant les uns dans les autres, créant un étonnant effet d’élévation. Autant d’éléments que l’on retrouve à Küstendorf, village-décor entièrement conçu par le cinéaste Emir Kusturica et récompensé pour son travail de reconstruction par le prestigieux prix Philippe Rotthier. Tout y est en bois… jusqu’au pavement des rues escarpées ! D’une manière générale, que les structures soient en pierre sèche, en pisé, en ossature bois et torchis, que les toits soient en tuiles, bardeaux de bois ou pierre, les maisons serbes possèdent toutes des caractéristiques communes : plan rectangulaire, base en maçonnerie, murs chaulés de blanc, et surtout importance fondamentale donnée au porche-galerie à colonnades, baptisé çadaç. À ces maisons s’ajoutent les célèbres kullas ou maisons-tours fortifiées aux murs épais percés de meurtrières, les moulins, qu’ils soient à vent ou à vapeur, les ambars ou greniers avec leurs jolis pignons décorés, et les kotobanja ou séchoir à maïs que l’on reconnaît à leur structure en bois et leur porche-galerie. Un petit patrimoine à la richesse infinie… comme la Serbie !