Découvrez la Serbie : Le patrimoine religieux

La Serbie conserve les traces de nombreuses traditions religieuses. Les églises catholiques et les mosquées musulmanes parsèment son territoire, suivant les anciens domaines des empires qui se partageaient le pays. Pour les Serbes, ce riche héritage n’est pas vraiment le leur. Eux se sont toujours identifiés aux monastères orthodoxes, souvenirs des grands moments de leur indépendance et garants de leur langue et leur culture. Les monastères serbes referment les plus beaux exemples d’authentiques arts serbes et ont été le berceau des plus grandes œuvres littéraires de leur civilisation. Tout ceci explique la grande révérence que les Serbes ont vis-à-vis de ces communautés religieuses, qui prospèrent aujourd’hui. Le reste du monde se familiarise peu à peu avec ce phénomène culturel particulier et les touristes affluent sur les sites, d’autant plus que trois d’entre eux figurent sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco : Sopoćani et Studenica ainsi que Dečani au Kosovo.

Pourquoi tant de monastères ?

C’est souvent la première question qui nous vient à l’esprit quand on découvre la multitude de monastères disséminés en Serbie. La réponse, comme souvent, est politique et suit la diffusion de la foi chrétienne dans les Balkans. En effet, malgré la conversion au christianisme des Romains au IVe siècle, la diffusion de l’orthodoxie en Serbie romaine est contemporaine à celle du peuple serbe. Quand les Slaves arrivèrent en masse pour coloniser les Balkans, l’Empire romain était assez peu christianisé en dehors des grandes villes et la hiérarchie religieuse était principalement urbaine. Pour l’empire, la conversion des Slaves du Sud était tout autant une nécessité politique qu’une preuve de pragmatisme : les clans slaves dispersés dans la région deviendront par la conversion les premiers garants de l’ordre religieux dans les campagnes. Si les Slaves se sont convertis sans états d’âme, il faudra tout de même du temps pour qu’ils s’approprient réellement cette religion étrangère et pour se faciliter la tâche, ils intégreront leurs rites païens aux coutumes chrétiennes, créant dès le début une culture religieuse particulière par rapport à leurs voisins orthodoxes. Les chefs slaves ont bien compris les avantages de cette nouvelle religion : alors qu’ils devaient partager leur pouvoir avec des chamans et prêtres païens, la conversion leur a permis de s’affirmer au sein de leur clan. Par ailleurs, le système très hiérarchisé de l’Église créait une structure idéale pour contrôler le territoire, récolter les tribus et diriger les hommes. Dernier avantage, les moines ne font pas de politique (en théorie). Si un chef voulait garder pour lui une terre riche, sans s’attirer les jalousies de ses vassaux, il lui suffisait d’y fonder un monastère… pas de jaloux, pas de possibilité de reprendre cette terre (elle appartient maintenant à Dieu) et les impôts vont dans la poche du fondateur ! Petit plus pour les plus pieux, on s’attire aussi par le procédé la grâce de Dieu, le salut de son âme et, plus concrètement, la faveur des religieux et de ses sujets les plus croyants. Ce procédé gagnant-gagnant explique l’explosion de la fondation de monastères orthodoxes dans la région, à mesure que l’influence des premiers princes serbe grandit. Ainsi, le Kosovo, terre ancestrale des Serbes, peut se vanter de posséder une des plus grandes concentrations d'églises et monastères chrétiens du monde après le Vatican ! La dynastie des Nemanjić (ou Nemanjides) est au cœur de cette entreprise et pour leurs efforts – les plus cyniques diront, preuve de l’aspect très politique de la chose – ils seront tous canonisés après leur mort (à l'exception du plus puissant d’entre eux, l’empereur Dušan).

Les Nemanjides, grands fondateurs

Le fondateur de la dynastie et de la Serbie indépendante, Stefan Nemanja (canonisé à sa mort sous le titre de saint Syméon le Myroblite), a lui-même pris sa retraite dans un des nombreux monastères qu’il a fondés. Son fils, Rastko, n’est pas en reste, vu qu’il est le célèbre saint Sava, patron saint des Serbes, isapostole (c’est-à-dire que pour les orthodoxes, il est considéré comme un égal des apôtres de Jésus) et fondateur de l’Église autocéphale de Serbie en 1217. Le monastère symbolique des débuts de la Serbie des Nemanjides est Studenica en Rascie, un monument de la culture serbe. C’est au sein de ce riche monastère que saint Sava déclara l’indépendance de l'Église orthodoxe et y écrivit le premier texte littéraire en langue serbe, une hagiographie de son père intitulée La Vie de saint Syméon. C’est d’ailleurs ici que les reliques de saint Syméon reposent, aux côtés d’un autre de ses fils, Stefan Ier, premier roi de Serbie. Toutefois, l’âge d’or des monastères a lieu cent cinquante ans plus tard, sous l’âge d’or de la Serbie médiévale de l’empereur Dušan. Ce dernier participa à la dotation de nombreux monastères, fit rénover les principaux monastères familiaux et en fit construire de nombreux autres, dont le complexe du monastère des Saints-Archanges à Prizren, au Kosovo, où il s’est fait enterrer. Ce monastère est aujourd’hui une ruine habitée par une poignée de moines, les bâtiments ayant été démantelés par les Ottomans pour construire la mosquée voisine de Sinan Pacha.

Les Sinaïtes serbes

Le terme sinaïte désigne le clergé serbe en lien direct avec la Terre sainte. Il s’agit soit de moines serbes ayant reçu des enseignements de monastères en Palestine ou du mont Athos en Grèce, soit de moines venus directement du Levant pour participer à la vie spirituelle de la Serbie. Ces liens entre les Balkans  et la Palestine expliquent le dynamisme exceptionnel de l’Église orthodoxe serbe.

Le premier des sinaïtes n’est d’autre que le grand saint Sava lui-même, venu visiter la Terre sainte à deux occasions et ayant fait une longue retraite spirituelle dans le désert du Sinaï. Plusieurs monastères ont alors été financés en Palestine parsaint Sava et ces liens entre la Terre sainte et la Serbie n’ont jamais cessé. Dans les siècles suivants, de nombreuses personnalités de l’Église ont pu enrichir la spiritualité serbe d’enseignements de la Terre sainte, mais aussi transmettre tout un ensemble de textes antiques et d’avancées scientifiques.

Le temps des troubles

L’occupation ottomane, effective à partir du milieu du XVe siècle, a fortement affecté la culture monastique. Sous les Ottomans, les monastères avaient le droit d’exercer sous une importante surveillance des autorités mais n’avaient pas le droit de s’étendre ou de mener des projets trop ambitieux. Alors que le serbe n’est plus reconnu comme une langue de gouvernement ou de littérature par l’occupant, les monastères vont devenir les derniers lieux d’apprentissage de la langue. C’est autour des moines que les Serbes vont conserver un lien avec leur culture, apprendre leur histoire et donc, tout naturellement, se rassembler lorsqu’ils se soulèvent contre le joug ottoman. En contrepartie, c’est contre les moines que la répression des Turcs sera la plus sévère, comme le témoigne la destruction des reliques de saint Sava en 1594. C’est l’archevêque et moine rebelle Arsenije III qui mena en 1690 la grande migration des Serbes dans l’empire des Habsbourg et obtint pour eux le statut de corpus separatum, un peuple autonome sous l’autorité de l’Église orthodoxe serbe. Cette nouvelle vie à la frontière déclencha la fondation des dix-huit monastères de Fruška gora, un des ensembles les mieux conservés à ce jour. Le renouveau de la culture des monastères se poursuit ensuite jusqu’à l'indépendance et le royaume de Yougoslavie, avant de prendre à nouveau un coup sous le régime de Tito après la Seconde Guerre mondiale. De nombreux monastères sont fermés et reconvertis, puis, pendant les guerres de Yougoslavie, sont pris pour cibles, particulièrement par l’UÇK albanais au Kosovo.

Les grands styles religieux serbes

Les grands édifices religieux serbes empruntent à la fois aux traditions catholiques et orthodoxes. En fonction des régions et des époques, on préférera le style roman ou le style grec, avant de voir l’apparition d’une architecture propre, synthèse de ces différentes influences. Malheureusement, ces expérimentations artistiques et architecturales seront coupées court à deux occasions : le début de l’occupation ottomane en 1459 et l’arrivée du régime communiste de Tito en 1945. L’évolution des styles est aussi géographique, suivant les migrations des Serbes vers le nord, alors qu’ils fuient la lente installation musulmane. Les plus  anciens monastères eux, sont au Kosovo, terre ancestrale des Serbes.

 Style Raška (école de Rascie) : 1170-1300. Le style Raška est prégnant dans la région de Rascie. Il est en directe ligne des canons de l’architecture romane, aux façades pleines et très sobres, parfois plâtrées et peintes. Les églises suivant ce style culminent avec un seul large dôme surmontant le transept, tandis que la façade ouest s’ouvre sur un narthex. L’école de Rascie se démarque par sa culture artistique autochtone, et possède les plus anciennes fresques de style serbe du pays. Les exemples les plus célèbres de l’école de Rascie sont les monastères de Studenica et le magnifique monastère peint de Žiča.

Style Vardar (ou style serbo-byzantin) : 1200-1300. Contemporaine du style Raška, le style Vardar « byzantin » s’inspire directement des canons architecturaux byzantins. Les églises dans ce style ont un plan en croix classique, surmonté de cinq dômes élancés. Leur façade est en pierre de taille ou en brique, avec des frises de couleur rouge, grise ou jaune en fonction des matériaux  disponibles. Contrairement aux églises Raška, les motifs des fresques Vardar sont des copies conformes des classiques byzantins et développent des thèmes communs au monde grec. Les églises Vardar comprennent souvent un narthex sur leur façade ouest. Ce style est le plus courant dans le sud du pays, à la frontière macédonienne. Les exemples les plus célèbres du style Vardar sont le monastère de Gračanica au Kosovo et l’église du Roi dans le monastère de Studenica.

Style morave : 1370-1459. Le style morave est né sur les rives de la rivière Morava. Il est la synthèse  des expériences des constructeurs des siècles précédents et constitue le vrai style autochtone serbe. De plus en plus affirmé dans les monastères de l'âge d’or de l’Empire serbe, il s’arrête brusquement après sa chute, en partie parce que l’essor des techniques mises en œuvre et l’effort dans les décorations demandait des fonds importants qui ne sont plus disponibles. Le style morave est très reconnaissable par son plan en croix réduite, aussi appelé plan en trèfle. Cela donne une carrure plus monumentale et pousse les bâtiments vers le haut. Plutôt que les dômes, l’effort  décoratif est tourné vers les frises et les motifs sur les façades. Comme pour le style Vardar, les façades sont agrémentées de pierres de couleur, mais cette fois elles forment systématiquement des motifs géométriques. L'intérieur des églises moraves est dominé par des fresques serbes qui ne suivent pas les canons byzantins. Les plus grands exemples de style morave sont les monastères de Ravanica et de Kalenić.

Style serbo-byzantin moderne : 1850-1939. Aussi appelé style néobyzantin, il est lié au renouveau de l'architecture voulue pour la Serbie indépendante et plus tard le royaume de Yougoslavie. S'il s’inspire du style Vardar byzantin, il est aussi le fruit de son époque et voit de grandes influences romantiques et Art nouveau. C’est un style plus monumental que ses prédécesseurs, utilisé aussi pour des bâtiments civils tels qu'à Belgrade l’ancien bureau des postes (en restauration après qu’il a été massacré par les communistes) ou le musée des PTT. Le style a connu différentes phases. La première, très ornementée, favorise la brique et les frises. La dernière, bien plus sobre, préfigure les styles soviétiques. Les églises néobyzantines suivent le plan en croix et à cinq dômes grec, avec des façades de préférence plâtrées et des dimensions qui n’ont rien à voir avec leurs prédécesseurs médiévaux. Le plus grand édifice religieux du pays, l’église Saint-Sava de Belgrade, est un exemple néobyzantin tardif.

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