Première dame de l’Antiquité
Occupée dès le paléolithique, la péninsule ibérique regorge de traces laissées par les diverses populations venues s’intégrer aux Ibères, d’abord celtes, puis phéniciennes, grecques et carthaginoises. Parmi les premiers témoignages retrouvés en Espagne, la Dame d’Elche nous éclaire sur les us et coutumes de son époque. Ce buste féminin en pierre calcaire daté du Ve siècle av. J.-C. surprend par les proportions équilibrées de son visage qui reflète une forte influence grecque. Cependant, ses bijoux et sa tunique constituent un parfait exemple de tenue ibère. La cavité creusée dans sa partie postérieure servait probablement à conserver des reliques. Qu’elle soit une déesse, une reine ou une défunte, elle reste la pièce maîtresse du Musée archéologique national (MAN) de Madrid, fondé en 1867 par la reine Isabelle II. Il abrite par ailleurs des sculptures ibères, des mosaïques romaines, des vestiges wisigoths, hispano-musulmans et médiévaux.
Débuts de la peinture
Les manuscrits enluminés par les moines mozarabes au Xe siècle semblent avoir été les premières manifestations de l’art pictural espagnol. Aux XIe et XIIe siècles, les peintures murales se multiplient dans les églises : sans perspective, elles montrent des personnages aux postures hiératiques. L’une des premières expressions de l’art roman en Castille se situe au cœur de la vieille ville de León. Le Panthéon royal de la Real Colegiata de San Isidoro, « la chapelle Sixtine de l’art roman », est recouvert de peintures murales du XIIe siècle représentant des scènes du Nouveau Testament (la Cène, la Crucifixion) et de la vie champêtre. Des détails réalistes caractérisent le style espagnol naissant. Durant la période gothique, aux XIVe et XVe siècles, les retables religieux fusionnent les codes de l’art italien, français et flamand. La Crucifixion peinte par Ferrer Bassá (1285-1348,) et conservée au Musée des Beaux-arts de Valence, montre un Christ souffrant, stylisé mais sans être idéalisé. Peintre miniaturiste, Bassá se détache des enseignements français pour se tourner vers l’école florentine, ce qui lui vaut le surnom de « Giotto catalan ». Peu à peu, les artistes du XIVe siècle favorisent eux aussi l'influence italienne. Le traitement de la perspective et la glorification du corps humain s’en trouvent bouleversés. A Valence, Fernando de Llanos introduit les techniques de Léonard de Vinci. Cela préfigure l'intensité dramatique de la peinture du XVIe siècle.
Le Siècle d'Or
Natif de Crète et formé à l'école vénitienne, le Greco arrive en Espagne en 1570. Son œuvre devient dès 1600 un point culminant de l'art européen. Le Greco, marqué par Le Titien et Le Tintoret, maîtrise comme personne l'art des formes et des couleurs qui confèrent à ses tableaux une expressivité teintée de spiritualité.
Quatre peintres incarnent le Siècle d'or espagnol. Par ses portraits de saints, Francisco de Zurbarán s'est surtout distingué comme peintre de la vie monacale, tandis que Bartolomé Esteban Murillo exprime l'âme andalouse à travers ses compositions religieuses, de ses Immaculées à ses Saintes familles sans oublier ses scènes réalistes comme Le Jeune Mendiant. Avec ses célèbres bodegones, Fray Juan Sánchez Cotán, est le pionnier de la nature morte espagnole.
C'est cependant Diego de Velázquez qui représente le mieux ce Siècle d'or espagnol. Peintre officiel de la cour de Philippe IV, Velázquez fait preuve d'un talent inédit. Les célébrissimes Meninas (Musée du Prado) constituent une œuvre complexe où les éléments d'interprétation se cachent derrière l'apparence d'une scène ordinaire de la vie du palais. Velázquez effectue deux voyages en Italie. A cette époque, les liens entre les peintres des différentes écoles européennes se resserrent et les échanges se multiplient.Goya, maître de l’Histoire
L’élan créateur faiblit au cours du XVIIIe siècle espagnol, cependant marqué par un artiste : Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Goya peint aussi bien des portraits officiels, dont Charles IV et sa famille, que des drames historiques : El dos de mayo et El tres de mayo (1814), conservés au Musée du Prado, devenus les symboles de la résistance des Espagnols contre les Français lors de la guerre d'Indépendance espagnole. Grâce aux tableaux de Goya Les Fusillades et La Charge des Mamelouks, nous assistons à l’insurrection de mai 1808 des Madrilènes contre les troupes napoléoniennes. L’artiste révolutionne le genre historique en capturant l’instant à la manière d’un photographe. Goya était aussi un graveur hors pair. Son talent pose les jalons de l’art des temps modernes, notamment du courant romantique.
Modernisme
Après avoir étudié les maîtres au Prado, Joaquín Sorolla (1863-1923) visite Paris dès 1885. Ce génial touche-à-tout de la peinture accède très rapidement à la célébrité. Son talent lui permet d’explorer aussi aisément la psychologie des modèles que les jeux de mouvement et de lumière. Salué comme la figure de proue de l’impressionnisme espagnol, son œuvre se découvre au Musée Sorolla de Madrid ou au Musée des Beaux-arts de Valence.
Au début du XXe siècle, une vague d'artistes espagnols prend la direction de Paris. La capitale française est alors réputée pour son esprit bohème. Ces artistes venus de Madrid, de Barcelone ou du Pays basque, jouent un rôle prépondérant dans le tournant que prennent alors les arts visuels. La figure de proue de cette révolution picturale n’est autre que Pablo Picasso (1881-1973), installé à Paris dès 1904. Il bouleverse la peinture par ses incessantes remises en question, sa capacité à métamorphoser et à sublimer la réalité. Son œuvre est vivante et évolutive : époque bleue, puis rose, cubisme, néoclassicisme suivi d'une brève échappée surréaliste, puis abstraite, jusqu'à l'expressionnisme tragique de Guernica (1937) conservé au Centro de Arte Reina Sofía à Madrid. Picasso explore sans relâche de nouveaux moyens d'expression. Ce sont les prostituées de la carrer d'Avinyó qui lui inspirent la réalisation des Demoiselles d'Avignon, toile qui préfigure en 1907 le début du cubisme. On pourra aussi admirer ses œuvres au Museu Picasso de Barcelone ou au Museo Picasso Malaga.
Parmi les grands noms de l’art moderne espagnol, deux surréalistes élaborent des univers contrastés : Joan Miró et Salvador Dalí.
Joan Miró (1893-1983) naît à Barcelone. C’est à Paris qu’il fait la connaissance d’autres grands artistes espagnols comme Picasso, mais aussi des Surréalistes. Amoureux de Majorque, il s’y établit après la guerre, près de Palma. On peut désormais visiter sa résidence-atelier, la Fundació Pilar i Joan Miró. Sur le continent, on visitera la Fundació Joan Miró de Barcelone. Peintre, sculpteur, graveur et céramiste, Joan Miró est l’un des rares artistes à avoir créé un langage unique, devenu universel. Qualifié de peintre « mirobolant » par Desnos, il aimait les couleurs vives, et par-dessus tout le bleu. Ses formes à la frontière de l’abstraction lyrique évoquent les oiseaux, les étoiles et le monde onirique, que ce soit dans ses gravures ou ses œuvres monumentales.
Salvador Dalí (1904-1989) s’impose comme le maître de la provocation et de la mise en scène. Son œuvre foisonnante peut être découverte en partie au Teatre-Museu Dalí de Figueres, sa ville natale. Visions ironiques de la réalité ou franchement hallucinatoires, ses créations sont le fruit de l’exploration de l'irrationnel par le délire, sa fameuse « méthode paranoïaque-critique ».L’Après-Guerre
Les années 1950 et 1960 sonnent l'avènement d'une nouvelle génération d'artistes dont la vitalité et le dynamisme ne seront reconnus qu'après la mort de Franco. Ces plasticiens s'expriment dans de nombreux genres : critique sociale, pop art ou encore néoréalisme.
Antoni Tàpies (1923-2012) se rattache tour à tour au tachisme, à l’expressionnisme, au surréalisme avant de combiner des techniques de collage, de grattage et d’assemblage qui seront sa signature. La géométrie, la couleur et enfin la matière sont au cœur de ses préoccupations. De même que le sculpteur Eduardo Chillida et le peintre Arroyo, il est l'une des plus fortes personnalités artistiques de sa génération. La Fundació Antoni-Tàpies de Barcelone invite à s’immerger au cœur de son univers.
Dans le Madrid des années 1950, le groupe « el Paso » renouvelle les techniques picturales. Ses représentants, dont Antonio Saura, Manuel Millares et Manuel Rivera, introduisent des matériaux alternatifs dans leurs tableaux tels que le tissu ou la toile métallique. Dans les années 1960, les peintres Juan Genovés et Rafael Canogar revendiquent un langage pop qui s'engage dans la critique du régime franquiste.
L’art moderne et contemporain, espagnol, mais aussi international, se donne rendez-vous au sublime Museo Guggenheim à Bilbao qui expose également les talents de demain. Restons au Pays basque pour découvrir deux sculpteurs incontournables. Les sculptures d’Eduardo Chillida (1924-2002) ornent une multitude d'espaces publics, en particulier à Saint-Sébastien, sa ville natale, où l'on peut admirer son célèbre, Peigne du Vent, à l'extrémité de la baie de La Concha. Autre grand sculpteur contemporain d’origine basque, Jorge Oteiza (1908-2003) est considéré comme le pionnier de la sculpture abstraite en Espagne. La fondation Jorge Oteiza a été inaugurée en 2003 à Alzuza. Jorge Oteiza signe la façade principale du Santuario de Arantzazu, dans le Guipúzcoa, ornée de quatorze apôtres alignés sur 12 mètres.
La Movida
La censure imposée par Franco depuis 1939 s’écroule du jour au lendemain alors que Juan Carlos Ier rétablit la démocratie. Accompagnée d’un miracle économique, l’énergie de la libération anime le début des années 1980 en particulier dans le quartier de Malasaña et la calle del Pez à Madrid. Le renouveau de la vie nocturne se traduit par l’éclosion de lieux culturels et festifs, bars et galeries d’art. Dans le même ton, les images aux tons saturés de la photographe madrilène Ouka Leele inspirent la jeune génération. A noter, la salle Bárbara de Braganza de la Fondation Mapfre est de nos jours consacrée à la photographie.
Né en 1956, Alberto García-Alix est l’un des photographes espagnols majeurs des années 1980. Son travail plein de sensibilité documente comme aucun autre le milieu de l’underground, la nuit, le rock et le porno. Ses portraits en noir et blanc font de lui un témoin essentiel de la Movida. Lauréat du Prix national de la photographie en 1999, ses œuvres sont exposées à travers le monde.
Les photographies de Chema Conesa, né en 1952, constituent une biographie en images de son pays. Le photographe Ramon Masats, fondateur du collectif La Palangana est salué pour son rôle dans « la professionnalisation de la photographie espagnole et sa grande influence sur les générations de photographes ultérieures ».
Tendance street-art
Dans la lignée de l’explosion délurée de la Movida, les graffiteurs madrilènes s’en donnent à cœur joie. L’idéal est de flâner dans les quartiers populaires de Madrid comme Lavapiès. La calle de los Embajadores est connue comme la rue emblématique de l’art urbain. Graffitis, fresques ou tags, les artistes investissent les murs, les vitrines, les abribus et les rideaux de fer des magasins. Surréalistes, naïfs ou engagés, ils ne laissent pas indifférents. En bas de la calle Argumosa, la Tabacalera est le temple officieux du street-art. Installé dans une ancienne manufacture de tabac, il dispose d’un jardin prisé par la jeunesse madrilène. A l’extérieur, les murs offrent un vaste panorama de l’art urbain. Il faut savoir qu’en 2014, la ville a lancé le projet « Muros » destiné à animer les murs de cette zone. Parmi les 57 graffitis, on compte celui de Suso 33, célèbre artiste madrilène passé de la rue aux musées.
A Barcelone, le street-art explose dès les années 2000. Rien ne l’arrête, les artistes s’expriment sans aucune limite. Tous les talents font halte à Barcelone, ville qui s’érige soudain en capitale mondiale de l’art urbain. Les lieux inoccupés sont alors pris d’assaut. Le plus représentatif, la Carboneria trône désormais comme le cœur battant de la création. Ouvert au public. Bon à savoir, la galerie Montana se consacre à ce genre artistique depuis une dizaine d’années.
Sur la côte nord-ouest de l’Espagne, le festival Vigo-City of Colour revalorise son patrimoine par l’art urbain. Tous les étés, les murs de Vigo sont confiés aux graffeurs invités. Une cinquantaine de fresques sont à découvrir. D’un bout à l’autre de la péninsule espagnole, métropoles et modestes bourgades encouragent la créativité sous toutes ses formes !