Un habitat traditionnel vivace
La hutte sous toutes ses formes, généralement en pisé et couverte d’un toit de chaume, est encore et pour longtemps le lot commun d’une immense majorité de la population. On peut distinguer les habitations des Dorzé, très élevées et de forme ogivale, tandis que les Guragé sont réputés pour leurs vastes cases bien agencées. La hutte afar, simple structure légère couverte de peaux, est une sorte de tente facilement démontable, adaptée à une vie nomade. Enfin, dans la vieille ville d’Harar, les maisons traditionnelles à étages et de plusieurs pièces, dont une de réception richement décorée, ont un charme oriental qui leur est propre. Selon les régions, les habitations peuvent se couvrir de décorations aux motifs animaliers, géométriques ou symboliques. Dans les zones peu boisées et plutôt arides, la pierre constitue le matériau de construction naturel donnant lieu à des bâtiments plus aboutis. Dans le Tigré, certaines fermes s’organisent autour de vastes dépendances, tandis que la région amhara de Lalibela compte quelques maisons à étages. Dans l’ensemble, les villes moyennes, sans charme aucun, sont toutes semblables, organisées autour d’une rue principale bordée de bâtiments bas au toit plat. On note que l’habitat collectif, qui n’existait jusqu’à ces dernières années qu’à Addis-Abeba, est en train de se développer en périphérie des villes de province afin de répondre à la croissance rapide de la population, suivant une urbanisation verticale.
La famille, une valeur refuge en Éthiopie
Si, en dehors de l’école, la famille reste pour beaucoup la cellule de base de l’éducation, pour les Konso, Borana et Oromo, l’éducation communautaire par classes d’âge est une constante, surpassant la famille. Au sein de ces groupes, une initiation sociale intense est dispensée par des représentants investis de prérogatives administratives, garants spirituels veillant au respect des traditions coutumières. Dans les familles paysannes, l’enfant est proche de sa mère qui l’allaite jusqu’à ses deux ans, voire au-delà, tandis que le père est traité avec une grande déférence, surtout à la campagne, où les enfants assurent le service et ne partagent pas le repas de leurs parents. S’ils ne vont pas à l’école, les garçons gardent le bétail et aident aux travaux des champs. Les travaux domestiques sont réservés aux femmes et donc aux filles, qui apprennent l’art de la cuisine, la traite des animaux, des corvées de bois et d’eau, et la vente des produits au marché. Une autre attribution des enfants est de s’occuper de leurs frères et sœurs cadets. Quelle que soit l’ethnie, le pouvoir de décision appartient encore presque toujours aux hommes. Cependant certains groupes comme les Surma entretiennent un esprit profondément égalitaire. Chez les Afar, la femme peut posséder du bétail (le plus souvent des chèvres) en son nom propre, ce qui lui assure une certaine indépendance.
Un modèle familial qui varie selon la religion
Le prénom reçu est pour beaucoup un signe d’appartenance religieuse, qui permet de distinguer très facilement les musulmans des chrétiens. Chez les orthodoxes, Yordanos (Jourdain), Mariam, Getachew (le guide), Teferi (celui qu’on craint) sont courants. Un garçon sera baptisé quarante jours après sa naissance, quatre-vingts si c’est une fille. La constante, pour les orthodoxes, est la monogamie et l’indissolubilité du mariage religieux. Pour cette raison, de nombreux Éthiopiens se marient en dehors de l’Église, sous divers contrats, ainsi les cas de divorce et de remariage sont fréquents. Les prêtres, quant à eux, peuvent se marier, mais une fois seulement. Chez les tribus animistes, il est fréquent que les enfants reçoivent un deuxième nom issu du bestiaire ou lié à des éléments naturels. Parmi les populations nomades, pour qui le bétail est la richesse suprême, le deuxième nom est le plus souvent celui d’un bovin ou la couleur de la robe d’une vache. La polygamie est très courante chez les musulmans et les tribus animistes. Pour ces dernières, l’idée de virginité n’a rien d’une valeur et la sexualité est libre dès l’adolescence, le mariage seul entraînant des obligations de fidélité (surtout pour la femme). L’importance du bétail dans les unions est une constante chez les peuples nomades ou semi-nomades. Seul un homme ayant constitué un troupeau conséquent peut prétendre au mariage, et c’est l’abondance de son cheptel qui lui permettra de prendre plusieurs épouses. Dans diverses ethnies, le droit au mariage est accordé après l’accomplissement de certains rituels. Ainsi l’oukouli des Hamer et le saginé des Surma sont un passage obligé vers l’âge adulte sans lequel un mariage ne saurait être accepté. Chez les Oromo, Borana et Gudji essentiellement, le droit à la procréation est conditionné par l’accès à une classe d’âge déterminée par le système du gada, tandis que, chez d’autres tribus, le conseil des anciens régule les naissances en fonction des ressources nécessaires à la survie du groupe. Bien que la religion ne le mentionne nulle part expressément, il a de fortes chances d’être circoncis par tradition, comme à peu près partout à travers le pays. Si quelques ethnies de la vallée de l’Omo ne pratiquent pas la circoncision, pour d’autres elle s’accompagne de rituels collectifs qui consacrent l’entrée du garçon dans la structure sociale du groupe. Pour certains chrétiens arborant une croix sur le front et dans de nombreuses ethnies où les motifs sont d’ordre décoratif, l’adolescence est la période des scarifications qui marquent la fierté d’appartenance à un groupe. Front et joues largement entaillés, buste et dos piquetés de centaines de petites cicatrices sont une marque de courage, de résistance à la douleur et s’affichent comme carte d’identité indélébile déterminant les origines de chacun.
Mariage trop jeune, kidnapping et excision : les dures conditions des femmes
Bien qu’il y ait un âge légal pour le mariage, il n’est quasiment jamais respecté, les unions précoces restant un problème majeur de la société éthiopienne. Fréquemment mariées dès l’âge de douze ans, de nombreuses petites filles souffrent de complications lors des grossesses. Ces complications entraînent parfois un rejet de la part de leur mari, voire de leur entourage, ce qui crée des situations de grande détresse. Selon un rapport IRIN de 2022, 50 % des filles de la région d’Amhara sont mariées avant 15 ans. Au niveau national, plus de la moitié sont mariées avant 18 ans. La Fistula Clinic, à Addis-Abeba, se consacre au traitement des femmes qui souffrent de fistule obstétricale – un mal directement lié à la procréation précoce. Dans certaines régions, « l’enlèvement » de la mariée reste encore fréquent même s’il est officiellement puni par la loi. Cette tradition oromo d’un autre âge a été portée à l’écran par Zeresenay Mehari dans le film Difret sorti en 2015. Lors d’une étude menée auprès de 227 épouses éthiopiennes enlevées pour un mariage, toujours par l’IRIN, 60 % d’entre elles avaient déclaré avoir été enlevées avant l’âge de 15 ans, et 93 % avant l’âge de 20 ans. L’excision enfin, concerne près de 75 % des femmes en Éthiopie selon un rapport de l’Unicef. C’est moins que les 80 % des années 2000, mais ça reste un taux très élevé. Chez les musulmans éthiopiens, quasiment toutes les filles sont excisées. Chez les Afar, les Kereyou ou les Somali, qui pratiquent un islam très conservateur, les filles seront « au mieux » excisées, au pire infibulées (les petites et grandes lèvres sont aussi excisées en plus du clitoris). De même dans les tribus de la vallée de l’Omo, animistes. Ces pratiques mutilatrices peuvent être exécutées jusqu’à un âge avancé et déboucher sur la mort car réalisées dans des conditions moyenâgeuses. Les chrétiens orthodoxes pratiquent l’excision aussi dans ce pays, un peu moins à Addis-Abeba et dans la région Amhara, mais c’est l’un des pays avec un taux d’excision les plus élevés au monde.
Une éducation déficitaire chez les ruraux
La société éthiopienne étant essentiellement rurale, le travail des enfants est une nécessité dès le plus jeune âge et l’éducation scolaire, même élémentaire, est souvent perçue comme inutile, surtout pour les filles. Il n’est pas rare de croiser des bergers de 5 ou 6 ans dans les montagnes du Lasta ou du Simien, seuls avec leurs bêtes. Sous la monarchie, la politique éducative visait principalement à former les cadres et l’éducation de masse n’a commencé qu’après la révolution de 1974. Selon les chiffres de l’Unicef, actuellement 7,6 millions d’enfants ne sont pas scolarisés, spécialement dans la région du Tigré, suite à la guerre de 2021 à 2023, où 2,3 millions d'enfants ont besoin d'aide humanitaire pour simplement se nourrir. De plus 20 % des écoles ont été détruites ou endommagées en Amhara et au Tigré récemment. Si l’école est obligatoire, les capacités d’accueil font défaut malgré la construction d’écoles dans les campagnes. Pour de nombreux enfants, le trop grand éloignement de l’établissement est un obstacle à la scolarisation. Près des deux tiers de la population de moins de 20 ans sont alphabétisés, mais les disparités restent criantes entre zones urbaines et rurales. La capitale regrouperait plus de la moitié des établissements scolaires du pays. Plus d’une dizaine d’universités, dont celle d’Addis-Abeba créée en 1961 par Hailé Sélassié, accueillent des étudiants des quatre coins du pays. Les meilleures facultés accueillent des étudiants issus des classes aisées dont certains poursuivront leur cursus à l’étranger. Le gouvernement a énormément investi dans l’éducation ces dernières années, mais la qualité de la formation laisse parfois à désirer. Le pays possède une université orthodoxe parallèle qui accueille une partie minime des élèves. Certains jeunes garçons décideront de quitter leurs parents pour assurer leur éducation auprès d’un maître traditionnel ou dans un monastère. Il y a peu de temps encore, cet enseignement mêlait une formation spirituelle stricte et un dénuement matériel qui obligeait chaque étudiant à mendier quotidiennement sa nourriture dans les villages environnants. Ce type d’enseignement dépendant de l’Église a depuis toujours préservé la culture chrétienne du pays dans sa forme originelle. Chez les musulmans, l’école coranique complète souvent l’enseignement classique et c’est là que l’on s’initie à l’arabe par la lecture du Coran dans une madrassa.
Un système de santé et de retraite inexistant
Excepté pour les fonctionnaires et les militaires, il n’existe en Éthiopie aucun système de retraite. En milieu rural, les personnes « âgées » (rarement au-delà de 45 ans) travaillent aussi longtemps qu’elles le peuvent, ou doivent compter sur leurs enfants et sur le clan pour assurer leur subsistance. Par tradition et pour des raisons sanitaires évidentes, les funérailles ont lieu le jour même du décès ou le lendemain. Durant quarante jours, les proches et les amis viennent, parfois au prix d’un voyage de plusieurs jours, rendre visite à la famille, qui doit alors assurer leur restauration. Comme le mariage, les funérailles sont coûteuses et, dans les campagnes, des fonds de solidarité se sont constitués pour assister les plus démunis. Comme pour l’éducation, l’accès aux soins est très inégal entre zones urbaines et rurales. Avec une moyenne d’un médecin pour 30 000 habitants (1 pour 300 en France), de nombreux Éthiopiens n’ont concrètement aucun accès aux soins. Un enfant éthiopien a plus de huit chances sur dix de naître en milieu rural. Dans des conditions de confort, d’hygiène et d’alimentation souvent minimales, le premier combat est celui de la survie, dans un pays où le taux de mortalité infantile s’établit à presque 47 décès pour 1 000 naissances. Dans les zones les plus reculées, les populations doivent compter sur les programmes sanitaires des organisations internationales pour avoir accès à des soins basiques, ou sur les dispensaires ouverts par les missionnaires. Dans de telles conditions, il n’est pas surprenant de constater une très forte survivance de la médecine traditionnelle pratiquée par des herboristes, parfois des religieux, les techniques ancestrales étant encore enseignées dans les monastères.
Une médecine ancestrale imprégnée de croyances
Leur croyance aux esprits de toute sorte incite les Éthiopiens à recourir aux amulettes devant les protéger des forces du mal et de l’inconnu. Dès sa naissance, l’enfant est pourvu d’un talisman destiné à le préserver des maladies et du mauvais sort. À son baptême, un chrétien reçoit le mateb, une triple cordelette de soie à laquelle sera suspendue une croix dont il ne devra jamais se séparer. C’est donc peut-être pour éviter d’éventuels oublis que le symbole chrétien est souvent tatoué sur un front, parfois même scarifié. Tout au long de la vie du croyant, l’eau bénite est abondamment consommée pour ses vertus curatives et l’emnet, une poudre de charbon et d’encens, est appliquée sur le visage afin de repousser les démons. Quant aux musulmans, ils portent autour du cou des petits boîtiers renfermant des versets du Coran. Parmi les diverses croyances, celle qui concerne le monde des zar semble particulièrement vivace. Selon la légende, Ève aurait caché à Dieu ses quinze plus beaux enfants. En l’apprenant, Dieu décréta que « ceux qui avaient été cachés resteraient cachés », donnant ainsi naissance au monde des zar, invisible mais semblable à celui des hommes, organisé en société hiérarchisée, avec chefs et serviteurs. La parole du Tout-Puissant selon laquelle « le frère gouvernera son frère » est interprétée par les adeptes de cette croyance comme l’affirmation de la domination secrète des zar sur les hommes, ce qui oblige ces derniers à consacrer aux zar des rituels afin de s’assurer leur bienveillance. Car si un zar est offensé, il peut infliger aux humains des tourments auxquels seul un guérisseur saura mettre fin, par le biais de la transe et de sacrifices. Si l’Église condamne l’action de ces illuminés et le culte des génies, les daftara (clercs laïcs) pratiquent une forme d’exorcisme en confectionnant des rouleaux prophylactiques et recourent même, pour le diagnostic des troubles graves, aux calculs magiques et aux données astrologiques. Pour le profane désireux d’éviter les mauvais esprits, quelques règles simples s’imposent : éviter de fréquenter les zones de hautes herbes, spécialement après la saison des pluies, ces lieux passant pour être appréciés des zar maléfiques. Ne pas se tenir dehors quand le soleil est au zénith, à l’heure où peut frapper le nedadé (démon craint des Afar) qui rend fou. Éviter de respirer l’air d’une pièce non aérée depuis longtemps, le megania, porteur de maladie, peut y rôder…