De la sculpture Dông Son à l’influence chinoise
L’art vietnamien est l’un des arts extrême-orientaux les plus controversés et les plus méconnus, exception faite de la période de la civilisation du bronze, ou Dông Son, mise au jour et étudiée entre 1920 et 1960, dans la région de Hanoi, par l’École française d’Extrême-Orient. Cette civilisation, dite de l’art du bronze, date de -1000, pour les vestiges les plus anciens, jusqu’aux premières incursions chinoises au IIe siècle avant notre ère. Elle s’étendait probablement, à son âge d’or, de la région du Tonkin jusqu’à l’Indonésie, mais son unité culturelle est néanmoins remise en cause. Ces peuples ont créé une variété d’œuvres en bronze, rituelles pour la plupart, dont beaucoup décorées de figures humaines et animales, et coulées à la cire perdue. Les objets les plus fréquents sont des tambours, des cloches, des haches de cérémonie ainsi que des sculptures, parfois anthropomorphes. Très élaborées, elles sont d’une grande finesse. Certains motifs en relief, dont la spirale, sont restés présents dans les arts de la région même après l’extinction de cette civilisation. Le Viêt Nam passe ensuite sous influence chinoise, d’où des analogies facilement repérables dans les styles architecturaux, les ornementations et l’écriture. Cette influence se fait sentir de façon prépondérante jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, malgré quelques tentatives d’indépendance entre le XVIe et le XVIIe siècle.
La laque, une technique ancestrale
Cette technique existerait depuis plus de deux mille ans. La laque est une matière végétale, issue du suc laiteux de l’arbre à laque (cây son), un liquide conservé pendant deux à trois mois dans des paniers de bambou imperméabilisé. Le dépôt est ensuite mélangé avec de la résine, de la térébenthine et des colorants pour obtenir une laque colorée. C’est une matière très résistante aux insectes, à l’eau salée ou à la chaleur. Elle peut s’appliquer sur une multitude de supports : bois, cuir, papier, toile, vannerie… C’est un certain Trân Lu, patron de la corporation des laqueurs, qui, au début du XVIe siècle, rapporte d’une mission d’ambassade en Chine les techniques de dorure et d’argenterie. L’art de la laque poncée a quant à lui vu le jour vers 1932 sur l’inspiration d’un groupe de peintres sortis de l’École supérieure des Beaux-Arts d’Indochine. Après composition du dessin, celui-ci est recouvert d’un vernis opaque (canh gian) qui est ensuite poncé, révélant images et couleurs selon des effets jamais totalement maîtrisés.
L’estampe, pilier de la culture vietnamienne
Jusqu’à l’introduction des techniques de l’imprimerie occidentale au XIXe siècle, les Vietnamiens ont recours à la xylographie et utilisent des planches de bois gravées en relief afin d’imprimer des textes religieux, des documents de Cour et des images populaires. Ces dernières sont en particulier fabriquées dans le village de Dông Hô (province de Bac Ninh) et rue Hang Trông (rue des Tambours), à Hanoi. Les deux techniques de fabrication correspondent à deux styles différents.
À Dông Hô, les estampes sont imprimées par l’application d’une planche de bois de plaqueminier gravée. Elles représentent des scènes traditionnelles : vie à la campagne, jeux traditionnels, scènes d’amour gaillard ou courtois, scènes de jalousie... Du papier Zo (d’origine végétale) est utilisé, enduit de nacre (diep). Elle est ensuite coloriée par applications successives de couches correspondant aux différentes couleurs et gravée sur autant de planches de bois. Dans la rue Hang Trông, en revanche, le dessin imprimé sur du papier industriel est colorié au pinceau. Les estampes de Hang Trông représentent surtout des images cultuelles (tigres blancs, saints) et trahissent une influence chinoise plus marquée. Ces estampes sont surtout fabriquées pendant le 11e et le 12e mois lunaire afin d’être vendues pendant le Têt, le Nouvel An vietnamien, où elles ornent les foyers. Ces estampes, toujours réalisées selon la méthode traditionnelle, témoignent d’un remarquable travail artisanal. On peut les acheter dans les boutiques des vieilles rues de Hanoi.Peinture et art moderne, au cœur de l’histoire coloniale
La tradition des arts figuratifs a toujours été très vivante au Viêt Nam, ce dont témoignent les nombreuses estampes populaires. Avec la colonisation, les arts vietnamiens sont au XIXe siècle considérablement influencés par le style artistique français, qui prospère principalement dans les grandes villes comme Hanoi et Hô Chi Minh-Ville. Au début du XXe siècle, de nombreuses institutions artistiques françaises sont créées au Viêt Nam, comme l’École des Beaux-Arts d’Indochine, inaugurée à Hanoi en 1925 en tant que succursale de l’École nationale des Beaux-Arts de Paris. Dès lors, les artistes vietnamiens modernes ont commencé à combiner les techniques françaises à des matériaux traditionnels comme la soie, la laque ou la porcelaine, et à hybrider les codes picturaux, créant un mélange unique d’éléments orientaux et occidentaux. L’art moderne vietnamien est ainsi né, illustré par de grands peintres comme Nguyên Sang, Nguyên Gia Tri, To Ngoc Van ou Bui Xuân Phai.
Bui Xuân Phai (1920-1988), « le peintre de l’âme de Hanoi »
Bui Xuân Phai est né en 1920 dans le village de Kim Hoang, réputé pour sa tradition de la gravure sur bois. Diplômé en 1945, il est issu de l’une des dernières promotions de l’École des Beaux-Arts de Hanoi et a contribué à façonner l’évolution de l’art moderne vietnamien, devenant l’un des peintres les plus célèbres d’Asie du Sud-Est au XXe siècle. Après la révolution d’août (1945), Bui Xuan Phai prend part à des activités artistiques au service de la Révolution. De retour à Hanoi en 1952, il travaille dans son atelier sur ses thèmes de prédilection : rues de Hanoi, portraits de famille, natures mortes, en décalage avec une peinture militante. Il enseigne à l’École des Beaux-Arts et donne des illustrations à des journaux. En 1957, il s’engage dans une tentative de libéralisation des arts et lettres qui se heurte à la notion d’art au service du peuple mise en avant par le Parti. Le mouvement est réprimé sans état d’âme par le pouvoir : Bui Xuân Phai échappe au camp de travail, mais il perd son poste d’enseignant. De 1960 à 1988, diminué physiquement du fait des privations endurées dans le maquis et dépourvu de revenus financiers, Bui Xuân Phai mène une vie difficile, mais caractérisée par une fidélité sans faille à sa vocation d’artiste. Le peintre connaît une gloire principalement posthume. Ses toiles les plus connues, qui représentent les rues de Hanoi baignées d’un sentiment de solitude et de mélancolie, sont très cotées sur le marché de l’art.
La photographie, un art qui se libéralise progressivement
La photographie a été introduite au Viêt Nam dans la deuxième moitié du XIXe par des photographes européens et hongkongais. Les premiers photographes utilisent ce médium pour documenter les sites historiques, faire le portrait des administrateurs coloniaux et de l’aristocratie vietnamienne ou capturer la vie quotidienne des grandes villes. Le succès de cette technologie réside principalement dans son potentiel en matière de diffusion d’informations sur la Cochinchine, le Tonkin et l’Annam par les administrateurs coloniaux, mais aussi dans l’importance qu’ont les portraits de famille dans la tradition vietnamienne, notamment dans le cadre des pratiques confucéennes du culte des ancêtres. Avec la guerre d’Indochine et la guerre du Viêt Nam (1946-1954 puis 1955-1975), les pratiques de la photographie studio diminuent au profit du photojournalisme ou de la photographie documentaire, qui servent principalement à documenter et transmettre les actualités de l’époque à un public international.
Depuis 1986, avec la libéralisation des politiques économiques vietnamiennes, on assiste à une diversification des sources de financement et une plus grande liberté artistique pour les photographes. Du côté de la photographie documentaire, la censure constitue toujours un frein, en particulier pour ceux dont les œuvres pourraient révéler les dessous de la société vietnamienne. Du côté de la photographie artistique, plusieurs générations de photographes talentueux ont vu le jour, à l’image de Bùi Xuân Huy (né en 1953), l’un des premiers photographes vietnamiens envoyés à l’étranger pour étudier la photographie. Ses photos des rues de Hô Chi Minh-Ville sont empreintes d’ambivalence et d’égarement, elles sont une métaphore des changements qui touchent sa ville et son pays.Une scène contemporaine qui s’affirme peu à peu
Après la fin de la domination française, le Viêt Nam est confronté à des tensions croissantes entre les religions et les groupes politiques, qui se caractérisent par une période de creux dans la création. Les interventions américaines, des années 1950 au début des années 1970, ont complètement bouleversé le pays, empêchant toute forme d’expression artistique. Une véritable renaissance culturelle n’est venue que tard après la réunification de 1976, dans les années 1990. Les œuvres des artistes ayant pris part à la lutte pour l’indépendance acquièrent une grande valeur, elles décrivent l’histoire du pays et de ses soulèvements et entreprennent un travail de mémoire nécessaire. Néanmoins, la liberté d’expression restant limitée, toute prise de position allant à l’encontre des idées du régime est réprimée.
Si les artistes portent toujours les influences occidentales dans leur travail, ils les intègrent de manière critique et continuent de les mettre en parallèle à des techniques et approches traditionnelles. Tout au long des années 1980 et 1990, des villes comme Hô Chi Minh et la capitale Hanoi s’affirment sur le marché de l’art, tandis que les collectionneurs, galeristes et musées internationaux manifestent un intérêt croissant pour l’art vietnamien et que le nombre d’expositions lui étant dédié ne cesse d’augmenter. Au Viêt Nam même, de nombreux centres d’art, galeries et musées se développent ces dernières années, soutenant la création locale. On pense par exemple à the Factory Contemporary Arts Center et la Galerie Quynh à Hô Chi Minh, et au Vincom Center for Contemporary Art à Hanoi. L’Institut français de Hanoi est lui aussi très actif du point de vue de la création contemporaine, avec une mise en valeur des échanges interculturels. Ces récentes évolutions font présager d’un avenir prospère pour l’art vietnamien.Le Street Art, une pratique de plus en plus populaire
Si les touristes sont friands de street art, le gouvernement et les populations locales ne le sont pas toujours. Mais face à l’enthousiasme des jeunes urbains en quête d’évasion, qui le pratiquent depuis quelques années seulement, une tolérance se développe progressivement, et on commence à voir fleurir de plus en plus de fresques dans les rues de Hanoi ou de Hô Chi Minh. Cet art de la rue reste néanmoins contrôlé par l’État et soumis à la censure – dans la plupart des cas, les fresques sont donc propres et soignées, rarement critiques, mais plutôt porteuses de messages positifs.
Des institutions se sont développées pour soutenir le mouvement, comme la Giant Step Urban Art Gallery, une plateforme de conversation et de collaboration pour les street-artistes locaux qui présente à la fois des œuvres originales et des archives photographiques. Pour n’en citer qu’un, l’un des lieux à ne pas manquer pour son originalité est la ruelle Ao Dài dans le quartier de Duc Thang, dont les murs sont revêtus de peintures touchantes ayant pour thème la protection de l’environnement, le bonheur familial, les sentiments liant mère et enfant, ou encore le planning familial. Leur auteur est Cao Tri Thinh, un homme qui dénote dans la scène locale, du haut de ses presque 100 ans !