Naissance de la modernité
Au moment où les Sept se rencontrent, quarante ans après la Confédération, le Canada affirme progressivement son identité politique, économique et sociale. Malgré son importance croissante à l'échelle internationale, le Canada reste à la traîne sur plan culturel et artistique. Il existe bien un art paysagiste, mais il est académique et ne témoigne que de peu d'innovations artistiques. Dans cette atmosphère poussive, un groupe de peintres et d'illustrateurs publicitaires de Toronto se lie d'amitié au début des années 1910. Ils confrontent rapidement leurs travaux, leurs techniques ainsi que leurs réflexions sur l'art lors de dîners au Arts and Letters Club de la ville. Ils partagent la même frustration à l'égard du conservatisme de la scène artistique locale. Le Groupe des Sept naît officiellement en 1920 en tant qu'association artistique moderne, et se dissoudra en 1933. Les artistes cherchent à créer un nouveau style pictural canadien, « mû par des émotions fortes, né de notre propre paysage ».
Les membres du Groupe
L'influence que Tom Thomson exerça sur la formation Groupe ne fut jamais niée par ses membres. Avant sa mort précoce qui survint en 1917, ce garde-forestier les convertit assurément aux plaisirs de la vie au grand air. C'est sous son impulsion que les futurs Sept entreprennent de représenter les paysages sauvages l'Ontario. Il leur fait également découvrir les espaces vierges du bouclier laurentien. Ensemble, ils réalisent des esquisses et peignent en pleine nature, s'inspirant et se critiquant mutuellement. Mort noyé dans le lac Canoe, Tom Thompson n'assista pas à l'éclosion du Groupe, mais ses membres n'ont jamais cessé de saluer le rôle majeur qu'il a eu dans leur évolution. Ainsi Harris a déclaré : « J'ai compté Tom Thomson comme un membre, même si le nom du groupe date d'après sa mort. Tom Thomson a néanmoins été essentiel au mouvement, une partie prenante de sa formation et de son développement, au même titre que ses autres membres. »
Les membres fondateurs du Groupe des Sept sont Franklin Carmichael, Lawren Harris, A.Y. Jackson, Franz Johnston, Arthur Lismer, J.E.H. MacDonald et Frederick Varley. À l'exception de Lawren Harris, ils travaillent tous comme illustrateurs publicitaires chez Grip Ltd, une agence de Toronto spécialisée dans le design graphique. Plus qu'une passion, la publicité est pour eux un excellent compromis. Le directeur leur accorde une liberté qui leur permet de suivre des cours d'art ou de prendre de longs congés estivaux pour effectuer leurs expéditions créatives. Pour sa part, Lawren Harris hérite d'une entreprise de matériel agricole. En plus de lui assurer une indépendance financière, son statut lui permet d'apporter un soutien matériel au Groupe.
Il faut ajouter l'artiste peintre Emily Carr à cette liste. Bien qu'elle n'ait jamais compté parmi les membres du Groupe, son travail est fortement marqué par la démarche des sept peintres. Reconnue comme une figure de proue de l'art canadien, ses peintures ont pour thèmes les forêts et l'art totémique de la Colombie-Britannique.
Style artistique
Malgré leur volonté d'affirmer un style autochtone, les peintres du Groupe sont influencés par les postimpressionnistes : Vincent Van Gogh, Paul Gauguin ou Edvard Munch. Soldats durant la Première Guerre mondiale, A. Y. Jackson et Frederick Varley ont l'occasion d'étudier directement les œuvres de cette période ainsi que celles des néo-impressionnistes. On ne peut s'empêcher de voir dans les arbres morts ou dans les atmosphères sombres et ravagées de leurs productions ultérieures des rappels des scènes de combat auxquelles ils ont été contraints de participer.
En opposition au naturalisme du XIXe siècle, ils ambitionnent de rééquilibrer la relation entre l'art et la nature. Ils conjuguent imitation des effets naturels et expression de leurs sentiments à l'égard du motif représenté. Ils travaillent souvent ensemble, que ce soit en extérieur ou dans le Studio Building, construit en 1914 par Lawren Harris et le mécène James McCallum dans le quartier de Rosedale, à Toronto. Pour cette raison, la carrière de chacun des membres fondateurs évolue selon des trajectoires parallèles.
Avant cela, l'année 1912 marque un tournant décisif dans leurs recherches stylistiques. Cette année-là, MacDonald et Harris découvrent la peinture scandinave contemporaine dans une exposition qui se tient à Buffalo, aux États-Unis. Ils restent subjugués par la vision des peintres scandinaves, et plus particulièrement par leur utilisation des aplats et des couleurs vives pour insuffler la vie dans leurs paysages. Bien vite, ils prennent conscience que cette approche novatrice peut aisément s'appliquer à leur art, c'est pourquoi leurs premières œuvres comportent des aplats denses et des couleurs vives. D'une simplicité audacieuse, elles font la part belle aux motifs de surfaces.
En 1921, après un séjour sur l'austère rive nord du lac Supérieur, Lawren Harris commence à schématiser plus radicalement les couleurs et les compositions de ses peintures. À sa suite, MacDonald, Carmichael et Varley s'inspirent de ses méthodes pour diluer les pigments et styliser leurs compostions. Mais Lawren Harris va encore plus loin. Au milieu des années 1920, il réduit ses peintures à quelques formes élémentaires presque monochromes. Dix ans plus tard, il devient l'un des pionniers de l'abstraction canadienne.
Accueil et évolution du Groupe
À la formation du Groupe, les Sept ne se présentent pas comme des peintres spécialisés dans le paysage. Il faut attendre leur première exposition à la Art Gallery of Toronto (devenue la Art Gallery of Ontario) en 1920 pour qu'ils stipulent leur attachement exclusif au paysage. Dès cet évènement, ils suscitent la controverse. La critique compare leurs œuvres « au contenu de l'estomac d'un ivrogne » et leur reproche de représenter « un outrage aux bonnes mœurs ». Au bout du compte, ces débats enflammés contribuent à établir leur renommée. Les peintres leur répondent intelligemment et soulignent avec passion l'importance de leur art en tant qu'expression véritablement nationale. Ils disposent néanmoins du soutien infaillible d'Eric Brown, alors directeur de la Galerie nationale du Canada. Sept ans avant la formation officielle du Groupe, Brown acquiert certaines de leurs œuvres pour enrichir la collection de la Galerie. Pour faire taire les détracteurs, il veille à ce que les peintures des Sept soient montrées dans les principales manifestations artistiques, notamment au Canada et à Wembley (Royaume-Uni). Leur présence dans le paysage artistique assoit rapidement leur légitimité.
Entre 1925 et 1931, les Sept rappellent haut et fort l'importance du sujet, perçu par eux comme l'élément essentiel de la peinture canadienne. Ils multiplient les expéditions, s'aventurent toujours plus haut vers le nord, à la conquête de formes et de tonalités. Convaincus que l'esprit du Canada se ressent dans sa substance la plus intime, ils fusionnent leur conception d'une contrée arctique au vaste territoire indompté.
Leur succès repose en partie sur les compétences annexes de certains d'entre eux. Enseignants, écrivains ou excellents orateurs, ils assurent habilement la promotion de leur travail. C'est ainsi qu'ils s'exposent aux États-Unis mais aussi au Royaume-Uni et en France. En second lieu, par leur simplicité colorée, leurs œuvres semblent conçues pour toucher le plus grand nombre. De fait, les reproductions en masse de leurs toiles se vendent comme des petits pains. Lorsque le Groupe des Sept se dissout en 1933, son style a rapidement abouti à un genre traditionnel moderne.
Carrière après le Groupe des Sept
Varley et MacDonald fondent leur propre école en 1933, le British Columbia College of Arts, dans l'objectif de réunir la peinture, le théâtre, la danse et la musique. Ne parvenant pas à concurrencer la Vancouver School of Art dans le contexte de la crise économique, l'établissement se voit contraint de fermer ses portes deux ans plus tard. MacDonald part s'installer à Nootka, dans un environnement soumis aux éléments naturels. Il entreprend d'insuffler une expression spirituelle dans ses vastes paysages. Il en résulte une série de peintures semi-abstraites qu'il appelait des « modalités » et définissait comme « des expressions de la pensée en relation avec la nature ».
Varley déménage à Lynn Valley, dans le nord de Vancouver. Ruiné après la fermeture de l'école, il rêve de retourner en Angleterre. Un portrait commandé par le Musée des beaux-arts lui permet de déménager dans l'est du pays en 1936. À Ottawa, il vend quelques esquisses et enseigne, mais au début de la guerre, ses cours ont été annulés et il part vivre à Montréal.
Postérité
En douze années d'existence, nul ne conteste que le Groupe a magnifiquement renouvelé la peinture canadienne. On peut même affirmer que les panoramas du Bouclier canadien, empreints de romantisme, ont participé à l'émergence d'une « vision nationale ». Les vastes forêts sont hissées au rang de symboles de l'Indépendance du Canada. Au milieu des années 1950, les reproductions de leurs peintures décorent toutes les écoles canadiennes. Tous les musées du pays possèdent et surtout valorisent les œuvres du Groupe.
Le nationalisme qui anime ces sept peintres est à double tranchant. S'il a initié la formation du Groupe, il a également limité son épanouissement. Son influence sur la scène artistique s'essouffle progressivement. La qualité picturale est reléguée au second plan. Sur ce point, tous les membres ne sont pas égaux en termes d'évolution artistique. Ceux qui deviennent les plus renommés sont aussi les moins audacieux. Les amateurs retiendront probablement les esquisses à l'huile vibrantes de vie et d'émotion de MacDonald, Varley et Jackson.
Il faut néanmoins leur reconnaître le mérite d'avoir prouvé que l'art canadien était capable de bousculer les genres et de se hisser sur la scène internationale. Grâce à cela, ils ont encouragé la création de musées et d'organismes gouvernementaux à vocation culturelle. Le groupe, et plus particulièrement Lawren Harris et A. Y. Jackson, a ouvert la voie à des générations d'artistes du Canada et d'ailleurs. Leur influence se ressent chez des artistes aux styles très différents : le peintre écossais Peter Doig, le peintre abstrait Jack Bush ainsi que le Groupe des Onze dont il fit partie. Cette alliance d'artistes a également vu le jour à Toronto, mais vingt ans après la rupture du Groupe des Sept. L'objectif principal était d'exposer de l'art abstrait dans leur ville.
De nos jours, la plupart des musées publics canadiens abritent des peintures du Groupe des Sept, dont le Musée des beaux-arts du Canada, la Art Gallery of Ontario et la McMichael Canadian Art Collection.