10000-1100 av. J.-C
Préhistoire : du Paléolithique à l’âge de bronze
Selon les archéologues, l’île est habitée dès l’époque paléolithique. Le Musée archéologique de Corfou retrace la vie des habitants aux différentes époques de la Préhistoire en se basant notamment sur les travaux de l’archéologue corfiote Augustus Sordinas. Durant une large période de la Préhistoire, à l’ère glaciaire, Corfou était encore rattachée au continent. C’est vers 10 000 av. J.-C., à la fin de la dernière ère glaciaire, que les températures se réchauffent un peu, que le niveau de l’eau monte et que l’île se détache de l’Epire. Les premiers habitants étaient des chasseurs-cueilleurs, équipés d’armes et d’ustensiles en pierre. Dans les îles Ioniennes, c’est au nord-ouest de Corfou, vers Sidari et sur l'îlot de Diaplo, qu'on trouve les traces les plus anciennes d’habitats entre la fin du Mésolithique (10 000-6 500 av. J.-C.) et le début du Néolithique (6 500-3 000 av. J.-C.). Une agriculture s’organise et des populations se sédentarisent près des côtes. À l’âge du bronze (3 000-1 100 av. J.-C.), ces îliens continuent de compter sur l’élevage, l’agriculture et la pêche pour subsister, désormais avec des outils en métal. L’habitat migre vers le centre et partout dans l’île.
1100-224 av. J.-C
Epoques géométrique, archaïque et hellénistique
En 734 av. J.-C., les Corinthiens fondent une colonie connue sous le nom de Kérkyra au sud de l’emplacement actuel de la vieille ville. Cette ville devient un comptoir de commerce sur le chemin de la Sicile et fonde de nouvelles colonies en Illyrie et en Epire. Colonie corinthienne durant la période classique (VIIe siècle av. J.-C.), Corfou connaît un important essor, aussi bien économique que culturel, et se nomme alors Corcyre. A partir de la fin du IVe siècle, elle passe successivement sous le contrôle des Spartiates, des tyrans de Syracuse et du royaume de l’Epire. Alliée d’Athènes, elle participe avec sa puissante flotte aux guerres du Péloponnèse, mais connaît ensuite une période de déclin avec des raids constants de barbares et de pirates. Etat indépendant, Corfou décide pourtant de s’associer à Rome, le nouveau maître de la Méditerranée, en 229 av. J.-C. Après six siècles de calme, l’Epire vacille et l’île vit sous la menace des Huns, des Vandales et des Goths. La côte de l’Epire et Corfou passent sous l’influence de la république romaine en 229 av. J.-C. et servent de point de départ à l’expansion de Rome vers l’est. Pendant ce temps, l’unité des cités grecques ne survivra pas à Alexandre le Grand. Le monde grec entre dans une période de décadence dont les Romains tirent profit. C’est l’époque d’Epicure, de Zénon, père du stoïcisme, et des statuettes de Tanagra.
330-1453
Période byzantine
Corfou passe sous la domination de l’Empire d’Orient au moment de la division en 336 et connaît une longue période de troubles, qui commença avec l’invasion des Goths en 551. La population abandonne progressivement la vieille ville. Corfou est prise par les Normands en 1081 et retourne à l’Empire byzantin en 1084. En 1204, lors de la quatrième croisade, les croisés prennent Constantinople et y fondent un Empire latin qui va durer jusqu’en 1261. L’Empire byzantin est démantelé. Proche géographiquement de la Papauté et de l’Occident, l'île reste pourtant sous la coupe de Byzance. A quelques encablures de l’Italie catholique, on pratique ici le culte orthodoxe. Les empereurs de Constantinople parviennent à conserver l’île grâce à un allié de circonstance : Venise. La Sérénissime va dès lors accroître progressivement son influence sur Corfou. Cette première période vénitienne ne dure pas longtemps. Dès lors, en échange de leur soutien militaire, les Vénitiens obtiennent des bases navales, dont Corfou qu’ils occupent de 1204 à 1214. L’île tombe ensuite sous la domination des derniers despotes de l’Epire (1214-1267), puis sous celle des Angevins de Naples (1267-1386), qui s’en servent pour appuyer leur politique contre l’Empire byzantin, alors rétabli à Constantinople, et la République de Venise. Premier Français à régner sur Corfou, le roi de Naples Charles d’Anjou aura laissé un mauvais souvenir aux habitants pour avoir lutté contre la culture hellénique et la religion orthodoxe. Lui et ses successeurs ont pourtant donné à l’île ses premières structures administratives et accueilli les juifs fuyant les pogroms en Occident. Mais la Cité des doges convoite toujours l’île et s’en empare en 1386. Ces quelques années suffiront pour détruire la cohésion de la civilisation byzantine et créer les circonstances propices à sa décadence. L’affaiblissement de l’Empire byzantin sera vite perçu par les Ottomans : en 1453, Constantinople tombe aux mains des Turcs, un événement aujourd’hui encore ressenti tragiquement par beaucoup de Grecs. De son côté, au XIe siècle, la Céphalonie est envahie par les Normands de Sicile, puis devient la possession des Francs avant de passer sous tutelle italienne.
1453-1814
Occupation turque et résistance
L’histoire de la Grèce ottomane n’est pas la même selon les territoires. Alors que la Crète, les îles ioniennes, Nauplie et les Cyclades restent aux mains des Vénitiens, un nouvel ennemi déferle : l’Empire ottoman. Fondée en 1299, cette puissance turque et musulmane conquiert peu à peu les territoires byzantins. Constantinople elle-même est assiégée quatre fois avant que ses remparts cèdent sous les coups des canons de Mehmed II, le 29 mai 1453. En Céphalonie, la dynastie des Orsini et les Tocchi sont présents sur l’île jusqu’en 1478. L’île n’est sous le joug ottoman que pendant vingt ans et les Vénitiens s’installent ensuite et développent l’activité commerciale de l’île jusqu’en 1797. La République de Venise profite des conflits internes dans le royaume de Naples pour prendre le contrôle de Corfou. Cette deuxième période vénitienne va durer plus de quatre siècles (1386-1797) et profondément marquer l’île. Pour ses besoins propres, la Sérénissime va transformer Corfou en immense garde-manger, introduisant l’olivier et la tomate. Le commerce se développe à cette période. Face aux pirates et aux sultans turcs, de puissantes fortifications sont érigées. Véritable colonie vénitienne, Corfou s’occidentalise tandis que le reste de la Grèce s’orientalise. Malgré la prospérité, de profondes inégalités sociales pèsent sur les habitants. Avec la prise de Venise par Bonaparte, l’île devient française en 1797, avec le traité de Campo Formio. Mais le futur empereur, qui prépare déjà sa campagne d’Egypte, ne veut pas lâcher cette île stratégique sur la route de l’Orient. Selon lui, « Corfou vaut plus que toute l’Italie ». Pourtant, avec la déroute française en Méditerranée, les alliés russes, turcs et anglais deviennent les nouveaux occupants en 1799. L’alliance russo-turque fonde la république fédérative des Sept-Îles, dont Corfou devient la capitale entre 1799 et 1807. Puis les troupes napoléoniennes reviennent en 1807, jusqu’à la chute de l’Empire en 1814. La France a marqué l’île en abolissant le système féodal, en réorganisant l’administration et en aménageant le centre-ville. En 1814, le protectorat britannique s'installe, il durera un demi-siècle jusqu’en 1864.
1814-1864
Protectorat britannique et rattachement au nouvel Etat grec
Débute alors la dernière longue occupation étrangère : le protectorat britannique. Pendant ce temps, ailleurs dans le pays, la guerre d’indépendance est lancée. La Grèce retient le 25 mars 1821 comme date du début du soulèvement, à Patras. Dans les faits, la devise « la liberté ou la mort » est brandie dès les 15-17 mars 1821 dans plusieurs localités du Péloponnèse. L’émotion relayée par Delacroix, Hugo, Byron et Lamartine suscite la naissance de mouvements philhellènes. Ces derniers font pression sur les États européens pour soutenir les Grecs. Le 6 juillet 1827, le traité de Londres marque un tournant avec l’intervention de la Russie, de l’Angleterre et de la France en faveur des Grecs. La victoire navale de Navarin (20 octobre 1827), puis l’expédition française de Morée et la neuvième guerre russo-turque obligent finalement les Ottomans à se retirer du sud de la Grèce le 14 septembre 1829. La fragile République hellénique qui naît à l’indépendance représente environ un tiers de la Grèce actuelle. Corfou et les îles Ioniennes sont finalement rattachées au nouvel Etat grec indépendant plus de trente ans après sa création. La Grèce récupère les îles Ioniennes auprès des Britanniques en 1863 et une partie de la Thessalie en 1878. Puis, à l’issue des Guerres balkaniques (1912-1913), le pays prend sa forme actuelle, à l’exception des îles du Dodécanèse qui seront cédées par l’Italie en 1947. Pendant le XIXe siècle, Corfou devient un centre culturel, avec la création de l’Académie ionienne. À Zante, le poète Dionysos Solomos (1788-1857) rédige l’Hymne à la liberté qui deviendra l’hymne national.
1914-1974
Guerres, crises et dictatures
Pendant la Première Guerre mondiale, l’île sert de base navale aux Anglais et aux Français. Corfou va alors connaître les heures les plus sombres de son histoire. Avec l’invasion de la Grèce par les forces de l’Axe en 1941, Corfou passe sous contrôle de Rome. Mussolini veut en faire une île italienne, comme ses îles voisines. L’écrivain français Louis de Bernières choisira la Céphalonie comme toile de fond à sa célèbre fresque historique, La Mandoline du capitaine Corelli, histoire d’amour entre une jeune femme et un officier italien. Pendant ce temps, mal aimé par son peuple, le général grec Ioannis Metaxas devient un héros national en refusant l’ultimatum de Mussolini le 28 octobre 1940 (« Jour du Non »). Après une farouche résistance contre les Italiens, la Grèce est envahie par l’Allemagne nazie en avril 1941. Mais durant l’occupation, le pays connaît deux traumatismes majeurs : la famine de l’hiver 1941-1942 (plus de 250 000 morts) et l’extermination de 86 % de la population juive. À Corfou, les Italiens, colons et descendants de vieilles familles vénitiennes sont massacrés ou contraints à s’enfuir. Quant aux juifs corfiotes, ils sont systématiquement déportés vers les camps de concentration, 2 000 d’entre eux meurent à Auschwitz.
En tout, la Seconde Guerre mondiale provoque la mort de 574 000 Grecs (8 % de la population). En 1944, les communistes parviennent à libérer le territoire. Toutefois, sous la pression des Britanniques, ils sont écartés du pouvoir. Cela provoque la Guerre civile grecque (1946-1949), premier affrontement de la guerre froide. Au sortir d’une décennie de guerre, la Grèce est plongée dans la pauvreté. Le régime monarchique constitutionnel est dominé par Constantin Karamanlis (1907-1998), à droite, et Georges Papandréou (1888-1968), au centre gauche. Le pays reste fragilisé par une faible industrialisation, la dette, la corruption et une fonction publique aussi pléthorique qu’inefficace. Face à cette situation, un groupe d’officiers s’empare du pouvoir le 21 avril 1967. Emmenée par Georges Papadopoulos, la « dictature des colonels » entend restaurer l’ordre et relancer la Grande Idée. Avec le soutien des États-Unis et de la Grande-Bretagne, les communistes sont emprisonnés, le rock et les cheveux longs, interdits. L’Europe s’émeut lorsque, le 17 novembre 1973, des chars prennent d’assaut l’École polytechnique, à Athènes. Mais c’est un autre événement qui va causer la chute du régime. Affaiblie, la junte tente de redorer son blason avec l’Enosis : l’union de la Grèce et de Chypre. Le 15 juillet 1974, les militaires grecs renversent le président chypriote Makarios. La Turquie craint pour la minorité chypriote turque et envoie son armée capturer la partie nord de l’île. Le fiasco est tel que les colonels abandonnent le pouvoir.
Depuis 1974
Une démocratie et des enjeux
Depuis le retour de la démocratie, à l’été 1974, le pays a opté pour la fin de la monarchie. Il a été dirigé en alternance par deux partis politiques et trois dynasties familiales : la Nouvelle Démocratie, de centre droit, avec les clans Karamanlis et Mitsotakis, et le Pasok, de centre gauche, avec les Papandréou. Mais le système est gangréné : corruption, cadeaux fiscaux aux armateurs et à l’Église, emplois fictifs dans la fonction publique, etc. Le 1er janvier 1981, la Grèce intègre la Communauté européenne. Un premier choc intervient à la chute des régimes communistes. Chassés par la pauvreté, 900 000 Albanais s’installent en Grèce, et notamment à côté de chez eux, à Corfou, à partir de 1991. L’organisation des Jeux olympiques (2004) creuse encore la dette. En octobre 2009, le Premier ministre Georges Papandréou révèle l’ampleur du déficit. Placée sous tutelle, la Grèce obtient de nouveaux prêts assortis de conditions draconiennes : réduction des dépenses publiques, hausse des impôts, baisse des retraites et suppression de 25 % des postes de fonctionnaires. Si l’État est sauvé, l’économie s’effondre. La crise est aussi morale et politique. En 2015, pour la première fois, les électeurs rejettent le système Pasok-Nouvelle Démocratie : ils confient le pouvoir au parti de gauche Syriza. Mais le Premier ministre Alexis Tsipras est contraint de poursuivre la politique d’austérité. Et il doit faire face au départ d’environ 500 000 Grecs et à l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés fuyant, entre autres, le conflit syrien. Malgré un retour à l’équilibre budgétaire (2017), Syriza est battu aux élections de 2019, permettant au clan Mitsotakis de revenir aux affaires. Le Premier ministre sortant Kyriakos Mitsotakis a été réélu en 2023 pour quatre ans.
De toutes ces pages, les îles Ioniennes gardent des traces. L’influence de ses populations martyrisées demeure. Le vocabulaire vénitien a aussi subsisté dans le dialecte local et l’on parle parfois grec avec un petit accent italien. L’opéra et la musique classique font aussi partie de la culture des Corfiotes. Aujourd’hui, à l’heure où les touristes anglais ont colonisé l’île, la musique, la gastronomie et les mœurs corfiotes restent à part dans la culture hellénique.