ABBAYE SAINT-PIERRE

Il faut traverser la Sarthe pour admirer, depuis la rive droite, à quelques kilomètres de Sablé-sur-Sarthe, toute la beauté et la puissance de cette abbaye des XI^e et XVI^e siècles dont l'architecture est inspirée de celle du Mont Saint-Michel. Vue imprenable et à ne manquer sous aucun prétexte si vos pas vous mènent dans la Sarthe. Chaque jour des fidèles ou de simples curieux viennent assister aux offices et ainsi apprécier toute la beauté des chants grégoriens ayant fait la réputation de cette abbaye, dont le passé chargé ne l'empêche pas d'être encore bien vivante. Majestueux et imposant, ce joyau architectural renferme pourtant un monde de paix et de recueillement.

À travers les siècles, l'histoire de l'abbaye s'est déployée aux côtés de la Grande Histoire. En 1 000 ans d'existence, elle a en effet été le témoin privilégié des événements les plus marquants de l'histoire de France. Elle aurait pu être détruite pendant la guerre de Cent Ans. Pillée et incendiée, l'abbaye Saint-Pierre n'est pour autant pas anéantie et peut entamer sa reconstruction, alors même que la région est ravagée et sinistrée économiquement. Le monastère a également connu le régime la commende, période pendant laquelle le roi nommait pour les remercier certains de ses sujets à la tête d'abbayes et de prieurés. Les individus en question, parfois des laïcs, récoltaient ensuite personnellement les revenus des monastères. Ce régime, qui dure jusqu'en 1664, est jugé comme décadent car il a vu se hisser à la tête de lieux de dévotion des personnes plus soucieuses de se servir de l'Église que de servir l'Église. Puis pendant la Révolution française, les abbayes se vident et les moines disparaissent. Les monastères de l'ordre de Saint-Benoît, l'un des plus anciens du christianisme, sont supprimés par un décret signé en 1790. Les moines qui refusent de rompre leurs vœux sont faits prisonniers. Vidée de ses occupants, l'abbaye de Solesmes devient la maison de campagne d'un particulier, et les archives du monastère sont brûlées. Il faut attendre 1833 pour voir les moines revenir à Solesmes. Un jeune moine de 28 ans, Prosper Guéranger, qui devient le restaurateur de l'ordre bénédictin en France, refonde l'abbaye de Solesmes. Il la rachète et la sauve de la démolition, lui épargnant le destin malheureux de nombreuses abbayes qui furent partiellement ou totalement détruites. Prosper Guéranger y reprend une vie monastique aux côtés de jeunes prêtres. Il cherche à renouer avec la tradition de l'Église et entreprend notamment la restauration du chant grégorien : une liturgie soignée est, d'après lui, l'une des façons de retrouver le cœur de l'Église et de faire participer les fidèles. L'abbaye Saint-Pierre de Solesmes est, aujourd'hui l'un des hauts lieux du chant grégorien. La vie contemplative reprend et à mesure que la communauté monastique grandit, le monastère connaît un rayonnement de plus en plus important. Depuis, l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes n'a jamais cessé d'être en activité : derrière ces pierres érigées il y a plus de 1 000 ans, vivent encore aujourd'hui une cinquantaine de moines, qui mènent une vie de silence, de prière et de travail. Ils consacrent leur existence à Dieu dans ce lieu d'exception, dont la beauté et la sérénité favorisent le recueillement. Le temps des moines bénédictins est partagé entre la prière, le travail et la sauvegarde du patrimoine, spirituel comme architectural, dont ils sont les héritiers.

C'est parce qu'elle est encore en activité que l'abbaye ne se visite malheureusement pas dans son ensemble. Néanmoins, il existe plusieurs manières de la découvrir et d'en apprendre plus sur son histoire. On peut par exemple assister aux offices, qui ont lieu tous les jours à heure fixe (7h30, 10h, 13h, 13h50, 17h, 20h30) et qui sont chantés en grégorien, et en profiter pour regarder la petite exposition consacrée à l'histoire de l'abbaye et la vie monastique. Il est également possible de partager le quotidien des moines en prenant part à une retraite. On loge alors soit dans l'enceinte même de l'abbaye (si l'on est un homme) ou dans de petites maisons aménagées dans le village de Solesmes.

Autrement, pour voir le cloître, le réfectoire ou encore les cellules où dorment les moines, il faudra se contenter de regarder les vidéos mises en ligne sur le site de l'abbaye, qui présentent ces lieux. Seule l'église abbatiale est ouverte tous les jours au public. Sa partie la plus ancienne remonte à l'édifice d'origine, bâti au XI^e siècle. Au départ, l'abbatiale était pourvue de deux bas-côtés qui furent détruits et murés pendant la guerre de Cent Ans, avant d'être réaménagés avec des chapelles latérales par Dom Guéranger après la Révolution. Remodelée, reconstruite et restaurée au cours des siècles, l'abbatiale offre aujourd'hui un voyage dans le passé : on admirera notamment les vitraux des chapelles qui datent des années 1930 et dont certains (ceux qui ornent la chapelle Sacré-Cœur, la plus vaste) ont été réalisés à partir de dessins de Maurice Denis. Dans la nef, qui est considérée comme la partie ancienne de l'église puisqu'elle est datée entre le XI^e et le XV^e siècle, se dresse une statue de saint Pierre réalisée au XV^e siècle. Au niveau du transept, enfin, ne manquez pas les deux magnifiques statuaires que sont les Saints de Solesmes, sculptées aux XV^e et XVI^e siècles. On ignore qui en sont les auteurs : leurs noms ont disparu dans les flammes pendant la Révolution, avec les archives de l'abbaye, qui garde ainsi une part de mystère.