Prague romane et gothique
A partir du XIe siècle, l’art roman se développe et marque l’entrée de Prague dans la sphère de l’Occident chrétien. Malheureusement, il ne reste que peu de témoins de cette période. Seules subsistent trois rotondes ou églises circulaires – la rotonde Saint-Longin à Nové Město, la rotonde Saint-Martin à Vyšehrad et la rotonde de la Sainte-Croix près du Théâtre national –, ainsi que la basilique Saint-Georges, dernier grand vestige du premier château roman de la ville. Voûtes arrondies, murs massifs et arcs en plein-cintre caractérisent cette architecture élégante et fonctionnelle.
À travers les siècles, l’architecture romane a subi d’importantes modifications et l’on a bien souvent rebâti sur des édifices romans, comme lors de la période gothique qui débute au XIIIe siècle. À cette époque, du fait des nombreuses crues de la Vltava, on surélève les bâtiments : voilà comment des rez-de-chaussée romans sont devenus de superbes caves voûtées, à l’image de celle de la maison des Seigneurs de Kunstadt dans la vieille ville ! Comparé à l’aspect parfois trapu des édifices romans, le gothique, avec ses voûtes en croisée d’ogives, ses arcs brisés et ses arcs-boutants extérieurs, permet d’alléger les murs, d’élancer les structures en hauteur et de rendre les édifices plus lumineux grâce à de nombreuses ouvertures. Construit à partir de 1230, le couvent Sainte-Agnès est l’un des premiers grands édifices gothiques. Mais le chef-d’œuvre de la période reste bien sûr la cathédrale Saint-Guy, commencée par le Français Mathieu d’Arras et achevée par l’Allemand Peter Parler et ses descendants. C’est à ce dernier que l’on doit également le pont Charles, auquel le souverain Charles IV fit ajouter une tour défensive qui deviendra la gardienne de la ville. Le gothique est indissociable de ce roi bâtisseur et instigateur d’une période de grande prospérité, comme en témoigne l’hôtel de ville et son horloge astronomique. Autre architecte phare de la période : Benedikt Ried, à qui l’on doit la salle Vadislav et l’escalier des Cavaliers du Palais royal. On y admire les superbes nervures des voûtes en étoile.
Harmonieuse Renaissance
Sous l’impulsion de la dynastie des Habsbourg, Prague se transforme en cité royale où l’influence de la Renaissance italienne se lit dans les palais que se fait ériger la noblesse. Les châteaux médiévaux sont alors ceints de superbes portails et les galeries d’arcades encadrent leurs cours carrées, comme au palais de Hrzán et à la « maison aux Deux Ours ». Le plus beau représentant de cette période Renaissance est sans conteste le Belvédère de la reine Anne, la résidence d’été des souverains édifiée dans les jardins royaux du château de Prague. Aux canons classiques de l’époque (colonnes, portiques, arcades, symétrie et harmonie), les architectes locaux vont ajouter quelques spécificités tels les hauts pignons et les grandes corniches, et vont multiplier les recours à la technique des sgraffites qui consiste à peindre la façade de deux couches d’enduits blanc et noir et à gratter ensuite la première couche pour faire apparaître un motif, imitant bien souvent des bas-reliefs en bossage. Un bel exemple d’usage de cette technique trompe-l’œil est à observer sur la façade du palais Schwarzenberg.
Splendeurs baroques
Art du mouvement, de la théâtralisation, des effets de surprise et de lumières, des courbes et des ondulations et de la profusion du décor, le baroque s’est exprimé dans toute sa splendeur à Prague. Le baroque est plus qu’un art… Ici, il témoigne du triomphe du catholicisme et de la dynastie des Habsbourg. Inspirée de l’église du Gesù à Rome, l’église Saint-Sauveur-du-Clementinum est le premier grand édifice baroque. Au XVIIIe siècle, une famille de bâtisseurs va imprimer sa marque sur l’architecture de la ville : ce sont les Dietzenhofer. Bavarois d’origine, les frères se forment à Prague auprès du maître italien Carlo Lurago. C’est à Christoph Dietzenhofer que l’on doit l’église Saint-Nicolas. Sa nef claire et majestueuse, son dôme gigantesque, sa coupole verte qui domine le ciel praguois, ses jeux de formes entre les piliers et les voûtes créant un mouvement intérieur, ses trompe-l’œil ouvrant la voûte vers le ciel et sa façade concave et convexe en font le grand chef-d’œuvre du gothique praguois. La litanie des saints est une des prières les plus utilisées par le catholicisme baroque et elle aura sa traduction en architecture sur le pont Charles qui va se doter d’une cohorte de saints de pierre, lui donnant des airs de pont des Anges à Rome.
Le baroque est aussi une période de reconstruction après les troubles de la guerre de Trente Ans. La ville se dote alors de somptueux palais, bien souvent l’œuvre d’architectes étrangers. Ainsi Andrea Spazza ouvre le bal avec le palais Wallenstein, Francesco Carrati suit avec le palais Černín et son étonnante façade de 135 m de long. Giovanni Battista Alliprandi réalise le palais Lobkowicz articulé autour d’une forme elliptique imaginée par le Bernin. C’est au Français Jean-Baptiste Mathey que l’on doit le château de Troja qui mêle baroque romain et classicisme français avec son corps de bâtiment central flanqué d’ailes et de pavillons symétriques. On lui doit également le très beau palais Toscan sur la place Hradčany. Ces palais et villas baroques voient également éclore un art des jardins ornés de fontaines, labyrinthes et escaliers monumentaux. Du fait de sa topographie unique et de ses paysages vallonnés et accidentés, Prague a vu naître d’étonnants jardins se prolongeant en terrasses sur les pentes abruptes de ses collines. Parmi les jardins à ne pas manquer : le jardin Ledebourg et le jardin Palffy.
Du rococo à l’éclectisme
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le baroque laisse place au rococo, dont on apprécie les courbes audacieuses et la préciosité du décor, comme sur la façade du palais Goltz-Kinsky.
Au début du XIXe siècle, rompant avec la théâtralité du baroque et du rococo, le néoclassicisme fait son apparition. Colonnades régulières, pavillons symétriques et autres recours aux codes de l’Antiquité sont employés, comme avec le Théâtre des États. Puis rapidement, les architectes se lassent de cette austérité néoclassique et opèrent un glissement vers l’éclectisme et les références à d’autres styles ayant fait la grandeur de la ville. L’apparition de ces styles coïncide avec le « réveil national » qui secoue la ville. Ainsi, on pastiche les styles anciens pour mieux souligner les richesses passées. Le Musée national impressionne avec son alignement de colonnes et pilastres corinthiens, son soubassement à bossage et son superbe dôme vitré, tandis que le Théâtre national est un chef-d’œuvre de grandeur et d’originalité. Tous deux sont de styles néo-Renaissance, tout comme la maison Wiehl dont on apprécie le mélange pittoresque de pignons en gradins, balcons fermés ou oriels et sgraffites colorés. Josef Mocker, lui, sera le grand maître du néogothique. On reconnaît aujourd’hui son œuvre de restauration des bâtiments médiévaux comme une contribution authentique au patrimoine culturel de Prague et du pays en général, puisque c’est à lui que l’on doit le château de Karlštejn, recréé à partir de ruines, et devenu l’un des grands emblèmes tchèques. Parmi les autres styles « néo », soulignons la Synagogue espagnole d’inspiration mauresque. Le XIXe siècle est aussi une période de renouveau urbain. On crée des faubourgs pour les ouvriers et classes moyennes (Smíchov, Žižkov…) au-delà des murailles qui passent d’outil défensif à élément décoratif. On assainit et on embellit la ville. Des promenades sont aménagées sur les berges et de nouveaux ponts sont construits.
Sécession et cubisme
A la fin du XIXe siècle, la ville connaît un essor économique et industriel majeur. Les constructions s’accélèrent et vont porter la marque du renouveau architectural qui souffle sur toute l’Europe… à commencer par celle de l’Art nouveau, appelé Secese à Prague. Ce nouveau style défend l’idée d’une œuvre totale qui travaille l’harmonie entre la structure architecturale et l’ornementation. Formes courbes inspirées des univers animaux et végétaux, motifs repris des civilisations passées, recours à des matériaux jusque-là délaissés tels le vitrail, le fer, la Sécession praguoise rompt avec les codes historicistes. Parmi les plus beaux représentants de ce style : la Maison municipale, dont toute la décoration a été imaginée par le génial Alfons Mucha et dont le déhanchement par rapport à la voirie permet d’admirer la tour de la Poudrière au loin ; la maison Peterka, que l’on doit au grand architecte de l’époque Jan Kotěra; l’hôtel Europa, dont la façade ondoie de ses dynamiques arabesques et appuie ses lignes de composition sur une géométrie réglée ; la gare Wilson ; le pont Svatopluk et ses courbes métalliques ; l’immeuble Koruna, dont la galerie est couronnée d’une immense coupole de verre, ou bien encore la façade de l’ancien grand magasin U Nováků avec ses mosaïques et céramiques.
À l’Art nouveau va succéder le cubisme. Très présent en peinture, on ne connaît que peu de témoins architecturaux de ce style… et la plupart sont à Prague ! Caractérisé par un travail des formes géométriques et anguleuses, par l’éclatement de la forme et la décomposition de la façade en multiples facettes inclinées et saillantes, le cubisme étonne. C’est à Josef Chochol que l’on doit la façade cubiste de la « Maison pour trois familles » dans Vyšehrad, ainsi que la plupart des maisons édifiées en contrebas de la forteresse. Là, même les jardins sont tout en angles ! Mais la plus belle réalisation cubiste reste la maison à la Vierge Noire de Josef Gočár qui cherche à dramatiser la masse en créant un effet théâtral dans la disposition des volumes imposants fondus dans cette teinte rouge granuleuse. Un autre mouvement va faire une apparition éclair dans la cité praguoise : le rondocubisme, qui privilégie l’emploi des formes rondes et cylindriques et le recours aux couleurs nationales (rouge et blanc) comme dans la Banque des légions de Josef Gočár ou dans le palais d’Adria, qui alternent entre éléments Renaissance et jeux sur les couleurs et les formes géométriques. Mais ce style exaltant la nation tchèque sera bien vite écrasé par les Soviétiques qui veulent effacer toute trace de sentiment national.Fonctionnalisme et brutalisme
Dès la fin des années 1920, le fonctionnalisme se répand dans la ville. Influencé aussi bien par le Bauhaus que par les enseignements d’Otto Wagner, ce courant a pour seule devise : la forme suit la fonction. On rejette toute ornementation superflue et l’on privilégie les lignes épurées, la lumière naturelle et les matériaux de qualité tels le verre, l’acier ou le béton armé. Parmi les grands représentants de ce courant, notons l’immeuble Bata sur la place Venceslas avec ses bandes continues de panneaux vitrés ; les bâtiments de l’Institut des retraites de la place Winston Churchill avec leurs longs bandeaux horizontaux de fenêtres et leur façade recouverte de céramique pour résister aux vapeurs de la gare centrale voisine ; le palais Veletržní (palais des Foires) de Josef Fuchs et Oldrich Tyl, dont on admire la perfection des volumes et la pureté des formes, ou bien encore la Caisse des assurances sociales qui, avec ses treize étages, est souvent considérée comme le premier gratte-ciel de la ville. L’architecture fonctionnelle est également liée à la question de l’habitat individuel d’abord, puis collectif. En matière individuelle, le fonctionnalisme produit des villas étonnantes, comme dans le quartier de Villa Baba où trente-trois villas ont été imaginées par différents architectes. Toutes ont une identité propre, mais notons quelques caractéristiques communes : minimalisme décoratif, toits plats, saillies des balcons et des marquises, monochromie des façades (souvent blanche), grandes baies rectangulaires. On est ici dans l’idéal domestique de l’architecture progressiste. Ce concept d’habitat individuel sera poussé plus loin par Adolf Loos dans sa villa Müller dans le quartier de Střešovice où il met en pratique sa théorie du Raumplan. Pour lui, l’architecte conçoit d’abord de l’espace. Il s’agit d’agencer les volumes des différentes pièces d’une maison selon leur importance fonctionnelle et représentative. La villa se transforme ainsi en somme de cubes imbriqués reliés par des escaliers. La noblesse des matériaux fait, quant à elle, office d’ornementation. En matière d’habitat collectif, les architectes fonctionnalistes imaginent les « maisons communes », vision démocratique d’une architecture pensée pour tous où les cellules de logement individuel et d’équipements collectifs sont imbriquées les unes dans les autres.
Après-guerre, ces principes fonctionnalistes, notamment en matière d’habitat collectif, seront très largement repris par les Soviétiques, mais avec moins de souci esthétique. Entre 1948 et 1989, la ville va se doter de grands ensembles massifs réalisés avec des matériaux bon marché et préfabriqués, comme sur les plateaux autour de la ville. Souvent isolés, certains de ces ensembles sont malgré tout reliés au centre par le métro qui fait son apparition, grâce à un partenariat entre la Tchécoslovaquie et l’URSS, avec la création de la station Moskeveska (aujourd’hui station Andel), exacte réplique d’une station russe. Dans les années 1950, le réalisme socialiste est employé dans des constructions monumentales tout à la gloire du régime, comme avec l’hôtel International à Djevice, qui rappelle les gratte-ciel staliniens moscovites. À partir des années 1970, c’est le brutalisme qui se développe avec des structures en béton brut qui laissent apparaître les tuyaux et conduites à l’extérieur des édifices. Parmi les réalisations étonnantes des années 1970 et 1980, notons la tour du château d’eau de Karel Hubáček et Zdeněk Partman, l’architecture high-tech de la tour de transmission de Žižkov, haute de 216 m, ou bien la Nová scéna de Karel Prager, élégant écrin en brique de verre (4 306 au total !) qui répond au Théâtre national dont elle est le prolongement.
Depuis 1990
La réalisation emblématique du début des années 1990 est la « Maison qui danse » de Frank Gehry et Vlado Milunić. Rebaptisé « Ginger et Fred » par les Praguois, cet immeuble a défrayé la chronique par son association de deux édifices, l’un en verre, l’autre en béton, qui semblent danser comme emportés dans un mouvement d’ondulation. L’autre grand architecte à être intervenu à Prague est Jean Nouvel. On lui doit l’élégant immeuble Zlatý Anděl dont les courbes semblent suivre celles du tracé de la route. Il avait également pour projet la réhabilitation du quartier de Smíchov d’où il voulait créer une ligne de contemplation horizontale sur la ville et son patrimoine, mais ce vaste projet urbanistique n’a pas été réalisé… pour l’instant ! La réhabilitation de la gare Masaryk a été confiée au célèbre studio de Zaha Hadid, et tout autour, un tout nouveau quartier d’affaires va être créé sur les vestiges d’anciennes friches industrielles. Mais loin de tous ces projets pharaoniques, les architectes praguois cherchent surtout aujourd’hui à concilier développement économique et sauvegarde du patrimoine en privilégiant les techniques artisanales et les matériaux nobles, le plus possible locaux. Ils se placent ainsi en directs héritiers de Jože Plečnik, architecte du château de Prague de 1911 à 1935, qui imagina une architecture épurée, entre histoire et modernité.