Les maîtres de l’art des azulejos
L’azulejo est donc d’abord arrivé en Espagne lorsque les Maures ont commencé à envahir la péninsule Ibérique. Apparaissant dès le XIIIe siècle, il se développe vraiment au XVe siècle avec ce que l’on appelle le style hispano-mauresque, utilisant des motifs géométriques qui se répètent. C’est à la fin du XVe siècle que l’azulejo émerge au Portugal grâce au roi D. Manuel Ier qui, après une visite à Séville, décide de décorer les murs de son palais de Sintra. Les Portugais tombent sous le charme de cet art, qui va recouvrir les murs des maisons de toutes les classes sociales. Son importance sera telle qu’il suivra toutes les modes et tous les courants esthétiques, abandonnant peu à peu les motifs géométriques pour des fresques figuratives.
Plusieurs techniques se succèdent. Au début, on utilise le cloisonné (corda seca) qui consiste à séparer les zones de couleur sur la faïence avec un mélange spécial qui, après la cuisson, reste comme un fin trait noir. Puis, c’est l’argile que l’on utilise pour ne pas mélanger les couleurs entre elles. Cette technique s’appelle l’estampé ou aresta en portugais, car elle laisse une petite arête au niveau de la ligne d’argile. Quand la technique de la majolique apparaît, c’est une véritable révolution pour le monde de l’azulejo. Grâce à un procédé en deux cuissons, on peut enfin peindre sur les carreaux comme sur des tableaux et faire des dégradés ou des nuances de couleur. Le Portugal se met à produire ses propres azulejos, adoptant des motifs issus du grotesque ou s’inspirant des dessins retrouvés dans les ruines romaines (vases, fleurs, fruits, coquillages, figures humaines…). Les azulejos deviennent alors des témoins de la vie à cette époque, représentant des scènes religieuses ou de la vie quotidienne. Les nobles, las des fresques religieuses, se mettent à commander des scènes de chasse, activité en vogue à l’époque et qui devient un motif populaire du XVIIe siècle. Autre mode : les carreaux bleus de Delft, importés des Pays-Bas. En effet, au XVIIe siècle, ces derniers possédaient des peintres experts utilisant la fameuse peinture bleue, s’inspirant tout droit des colonies d’Asie. On voit ainsi de grands panneaux reprenant les motifs des tissus venus de Chine ou d’Inde. L’art est alors à son apogée. Les murs des églises se couvrent de blanc et de bleu un peu partout dans le pays, les peintres deviennent des artistes connus et signent leurs œuvres. Durant cette période, les styles baroque et rococo se retrouvent dans les fresques avec de multiples ornementations et enchevêtrement de festons…
Après le tremblement de terre de 1755, les azulejos vont être utilisés dans la construction. C’est le marquis de Pombal qui va initier ce mouvement en les mettant sur les façades des immeubles, pour leurs propriétés isolantes. Apparaissent alors « les figures d’accueil », grande originalité made in Portugal : des personnages (valets, soldats, dames…) qui saluent les personnes à leur arrivée ou départ. Les motifs géométriques font leur grand retour afin de pouvoir produire de grandes quantités rapidement, pour accélérer la reconstruction de Lisbonne. On passe de l’artisanat à l’industrialisation. Des fabriques lisboètes comme celle de Rato sont mises à contribution.
On trouve la plupart des exemples remarquables d’azulejos anciens dans la région de Lisbonne. Le Musée national de l’azulejo possède une collection impressionnante de toutes les époques. Situé dans un ancien couvent, vous ne manquerez pas d’admirer les murs de son église entièrement recouverts d’azulejos en blanc et bleu venant de Hollande. Également à visiter, le Palais Fronteira et sa salle des batailles relatant les exploits guerriers contre les Espagnols. Dans son jardin, vous pourrez admirer des azulejos de différents styles et époques : un véritable condensé des courants artistiques en vogue. Au Palais royal de Queluz, vous trouverez le célèbre canal aux azulejos réalisé en 1775. Le Palais national de Sintra, lui, possède la plus grande collection d’azulejos hispano-mauresques d’Europe, qui furent importés de Séville.
Un art séculaire qui sait suivre les tendances
Au XIXe siècle, l’art de l’azulejo continue son essor. Des nouvelles fabriques voient le jour sur le territoire portugais, à Lisbonne, mais aussi dans le nord du pays. Loin d’avoir perdu de sa superbe et d’être classé comme un art des siècles passés, l’azulejo est toujours d’actualité ! Il continue d’orner les façades des immeubles lisboètes, mais aussi d’inspirer les artistes. Rafael Bordalo Pinheiro, avec son usine de faïences de Calda da Rainha, se lance dans la production d’azulejos d’inspiration Art nouveau. Paolo Ferreira présente en 1937 le panneau « Lisbonne aux mille couleurs » lors de l’Exposition internationale de Paris. Quelques années plus tard, l’artiste Maria Keil et son mari décident d’investir le métro. Dès 1959, ils décorent les 11 premières stations (à l’exception de celle de Avenida) en utilisant une astuce pour réduire les coûts : élaborer un décor abstrait qui peut être combiné de manière différente. Cette initiative est reconduite avec la 2e phase de construction du métro en 1988 et des artistes comme Manuel Cargaleiro, Vieira da Silva, Federica Matta ou encore Júlio Pomar laissent leurs marques. À l’aéroport, vous serez accueilli par des dessins d’António Antunes. En 2014, cet illustrateur a mis en scène des personnages emblématiques de la culture portugaise comme la chanteuse de fado Amália Rodrigues, le footballeur Eusébio ou encore le poète Fernando Pessoa.
Mais il n’y a pas qu’entre quatre murs que vous pouvez admirer des œuvres d’artistes contemporains et il existe de nombreuses fresques dans Lisbonne même. Si vous vous rendez à Feira da Ladra, vous pourrez admirer le travail d’André Saraiva (réalisé en 2016) long de plus de 198 m ! Le street artist Add Fuel (de son vrai nom Diogo Machado), d’origine portugaise et dont le travail est basé sur les azulejos, mais en utilisant des motifs inventés par lui-même, a été sollicité également pour décorer une partie de la « route des azulejos » qui se situe le long de l’avenida Infante Santo. Il rejoint ainsi Maria Keil (1959), Carlos Botelho (1959), Júlio Pomar et Alice Jorge (1959), Sá Nogueira (1959) et Eduardo Nery (1994 et 2001).
De nombreux artistes étrangers viennent au Portugal pour se former à cette technique et vous pourrez découvrir leur travail dans leur atelier-boutique ou dans des magasins de décoration (comme Alegria à Sintra ou encore Surrealejos dans le quartier du château). Attention aux azulejos anciens qui ont souvent été « prélevés » pour ne pas dire volés sur les façades des bâtiments anciens. Ne croyez pas les vendeurs de la Feira da Ladra s’ils vous disent qu’ils viennent de maisons en travaux. Ce n’est pas forcément vrai.