DROGBAKRO (VILLAGE DROGBA)
Rue Canal à Koumassi-Remblais, un quartier populaire du sud d’Abidjan. Une large banderole estampillée « Bienvenue à Drogbakro » (Drogbakro : village Drogba en baoulé) flotte au-dessus des voitures qui se pressent sur cette artère agitée, annonçant clairement la couleur. En face de la pharmacie des sables, un portail gris. C’est ici que réside N’Guessan Kouassi Augustin, 38 ans, originaire de la ville de Toumodi dans le centre de la Côte d’Ivoire et vigile dans un garage de taxis. Passionné de foot et fanatique absolu de Drogba, son amour inconditionnel pour l'ancienne star de Chelsea remonte à l’époque où celui-ci évoluait encore sous les couleurs de l’Olympique de Marseille. C’est le 9 avril 2006, après que son idole eut remporté le Ballon d’or, qu’il a décidé de lui consacrer sa vie, et force est de constater que son existence toute entière tourne autour de « Tito » (surnom de Didier Drogba). Chaque fois que la Côte d’Ivoire ou le buteur des Eléphants joue un match, ce chef auto-proclamé de Drogbacité s’adonne dès 7h30 au même rituel, soufflant trois coups de sa trompette maison en direction de l’est (pour symboliser le lever du soleil), du centre (pour marquer un terrain de football) et de l’ouest (pour exprimer le repos). Ensuite, il inscrit à la craie sur un tableau noir qu’il dispose à l’entrée de sa cour des nouvelles fraîches de « sa » star et de ses exploits, sans oublier diverses informations concernant les sélections en cours, les matches de la sélection nationale de Côte d’Ivoire et la diaspora ivoirienne. « Je ne me sens heureux que lorsque je regarde un match de foot. Je suis un sédentaire : je ne bois pas, je ne fume pas, je ne sors pas. Ni maquis ni boîtes, tout ça très peu pour moi. J’ai deux postes de télévision, pour être sûr de ne jamais louper un match. C’est presque un travail à temps plein : entre les recherches sur Internet, l’achat des journaux et l’écoute de la BBC et de RFI pour avoir toutes les informations sur Didier, je ne dors presque plus ». A l’instar des émules d’Augustin, nombreux à Drogbakro, toute la petite famille s’est mise au diapason de la quasi-divinité, vivant et vibrant Tito. Tanouan Justine, l’épouse du jeune vigile, vend ainsi des sachets d’eau dans la rue pour améliorer le quotidien de cette modeste famille et aider son mari à poursuivre son rêve. « Comme la société où je travaille tourne mal, ça fait un bon bout de temps qu’on ne voit plus passer l’argent ». Pour Augustin, le fait que sa femme soit née le même jour que Drogba (un 11 mars) est un signe qui ne trompe pas. Les époux ont d’ailleurs baptisé leur petit dernier du nom de caresse de DD : « Mon dernier s’appelle N’Guessan Tito Christ. Il est né le 9 février 2008 et ce jour-là il a pleuré tout le temps parce que Drogba n’avait pas gagné la demi-finale de la CAN avec les Eléphants ». A l’instar de beaucoup d’Ivoiriens, « M. Drogabkro » considère le sport comme un vecteur privilégié d’unification et de paix et mise beaucoup sur les enfants pour réaliser les rêves avortés des adultes et porter haut les couleurs de la Côte d’Ivoire, à travers des valeurs positives qui transcendent les dérives engendrées par les difficultés du quotidien. « A la longue, on aimerait aider nos petits-enfants à intégrer la voie de l’école puis du sport, d’où toute cette publicité : je souhaiterais les motiver à copier tout ce qu’il y a de positif dans le sport ». Si vous vous annoncez auprès de lui ou que vous vous rendez dans son fief un jour de match, de réception ou de célébration, vous pourrez assister à la « folie Tito » en direct live. Pour ces occasions, Augustin revêt généralement son costume d’apparat, constitué de deux grandes oreilles d’éléphants, d’une perruque aux couleurs du drapeau ivoirien, d’un boubou assorti et d’un énorme « talisman » : un pendentif en carton découpé barrant tout son buste, et mêlant un éléphant à une image de l’idole. Quelques coups de trompette et toute la meute des Drogbaphiles accourt dans son garage pour suivre avec une émotion visible les manifestations sportives impliquant le pays, et plus particulièrement les performances du capitaine de la sélection nationale de football de Côte d’Ivoire. « Les jours de match, ma cour peut accueillir jusqu’à 100 membres de notre petite tribu. Tous, que nous soyons mécaniciens, cordonniers, agents de la fonction publique ou du privé, vagabonds ou chauffeurs de taxi, sommes unis par notre passion commune pour Didier Drogba. C’est plus qu’un fan club : c’est véritablement comme une grande famille. Drogba est comme une sève nourricière pour nous ». Après tout, en Argentine, ils ont bien le « maradonisme » (religion argentine officiellement reconnue, etc.) ! Pour certains, Augustin est un illuminé. Pour d’autres, un rassembleur éclairé. Quoi qu’il en soit, même pour les gens qui ne s’intéressent pas particulièrement au foot, la visite peut s’avérer des plus intéressantes, d’autant que la réputation de ce passionné a déjà largement dépassé les frontières de Côte d’Ivoire : pour preuve, il est désormais google-isable et plusieurs journaux de la presse sportive internationale comme Onze-Mondial lui ont déjà consacré des articles. Ainsi, devant son studio, vous pourrez voir affiché aux dimensions d’un poster géant un article du magasine France-Foot, daté de juin 2006. Avant de prendre congé, nous jetons un œil au modeste logis de notre hôte : à peine plus de 10 m2 encombrés de posters, de tee-shirts, de pagnes, de pendules et autres effigies à la gloire de l’idole. Naomi, son aînée, veille le petit dernier, dormant du sommeil du juste. Pour nous remercier d’être passés lui rendre visite, Augustin revêt sa fameuse perruque, se drape du drapeau national et souffle fièrement dans sa trompette. Quelques secondes, le petit se réveille et pleure. Son papa se précipite pour le consoler. Sur un drap accroché au mur qu’il a sorti pour l’occasion, une inscription sans équivoque : « Drogbakro ne cède point au découragement. Un obstacle au bonheur, c’est de s’attendre à trop de bonheur », « Et ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire : tu seras un footballeur mon fils, ça ne peut pas manquer ». Au revoir, Drogbakro...
Le saviez-vous ? Cet avis a été rédigé par nos auteurs professionnels.
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Avis des membres sur DROGBAKRO (VILLAGE DROGBA)
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