La musique traditionnelle
Lorsque l’on arrive à Dublin, un des pèlerinages les plus appréciés est de courir les meilleurs pubs de la ville pour écouter de la musique traditionnelle irlandaise (une pinte à la main, of course !). Mais avant d’aller à sa rencontre, il est bon de la connaître un peu. Toujours aussi fringante et dynamique, s’exportant à merveille à l’international, la musique traditionnelle irlandaise sait faire oublier qu’elle est vieille d’environ deux mille ans. Elle date de l’arrivée des Celtes en Irlande, ceux-ci important possiblement dans leur musique des influences orientales (la célèbre harpe celte serait même originaire d’Égypte). Bien qu’implantée aussi en Espagne, Bretagne, Pays de Galles et Écosse, c’est en Irlande que la tradition musicale a visiblement le mieux survécu, résistant à des épisodes comme la Grande Famine de 1845. Une période qui vit des millions d’Irlandais quitter le territoire, emportant avec eux les instruments et airs traditionnels de leur pays. C’est ainsi que des villes comme New York, Boston et Chicago sont aujourd’hui célèbres pour l’importance de leur communauté irlandaise.
Une émigration bienfaitrice pour la musique du pays. Dans les années 1920, des artistes de fiddle (le célèbre violon irlandais) comme Michael Coleman, James Morrisson ou Paddy Killoran, issus de la diaspora irlandaise aux États-Unis, eurent accès à des moyens d’enregistrement et purent immortaliser leur musique. Aussi, dans les années 1950 et 1960, des musiciens émigrés comme les Clancy Brothers ou Tommy Makem offrirent une version plus rapide, puissante et vivante de la tradition et connurent un vrai succès sur la scène folk de New York.
Jusque dans les années 1960, la musique irlandaise est ce que l’on pourrait appeler une « musique à danser » qui se jouait la majeure partie du temps dans les pubs. Puis au début des années 1960, un certain Sean O’Riada, expert en musique irlandaise, bouscule tout et s’impose comme la grande figure du renouveau en créant le mythique orchestre dublinois Ceoltori Chualann. Via ce dernier, il se donne pour objectif d’inventer une musique nouvelle mais profondément ancrée dans la tradition. Sous son impulsion, l'orchestre – composé d’un violon, d’une flûte, d’un pipeau, d’un accordéon et d’un bodhran (emblématique tambour gaélique) – autorise désormais à jouer en solo à l’intérieur du groupe. Dans le même mouvement, un autre changement important intervient : les orchestres commencent à composer des morceaux destinés à être écoutés et non plus uniquement dansés.
Le travail et le succès du Ceoltori Chualann inspirèrent une vague de revival de la musique traditionnelle qui vit naître quelques entités légendaires telles que The Chieftains, dont certains membres sont d’ailleurs issus de Ceoltori Chualann. Des pionniers, puis des piliers, dont l’influence résonne sur toute une génération de groupes des années 1970. Il suffit, pour s’en rendre compte, d’écouter des groupes comme Planxty, ou, plus tard, The Bothy Band, orchestre séminal dont les arrangements complexes, les productions en studio et la fougue scénique synthétisent tout ce qui fait le succès actuel de la musique irlandaise.
Outre The Chieftains (toujours actifs), la scène dublinoise a vu naître quantité de musiciens incontournables dont l’écoute est chaudement recommandée. À commencer par Mary Black. Depuis quarante ans, cette artiste irlandaise majeure donne des frissons à l’ensemble du pays grâce à sa voix cristalline et ses interprétations fortes de musique traditionnelle. Incontournable également, le groupe The Dubliners est une des entités phares de la musique traditionnelle irlandaise. Plus récemment, la tradition a brillé chez des groupes comme Lúnasa – qui a rencontré un succès international avec sa vision moderne du folklore - ou Lankum, lecture puissante et abrasive de la musique irlandaise, quelque part entre The Pogues, Sunn O))) ou Swans.
Des groupes importants dont la plupart des œuvres sont autant d’occasions de croiser les instruments typiques du pays. Outre les bodhran et fiddle mentionnés précédemment, il est courant d’entendre dans leurs compositions du thin whistle, flûte en laiton à six trous et instrument national ou la villean pipe, cornemuse irlandaise, assez différente de sa petite sœur écossaise. Et puis évidemment, il y a la fameuse harpe irlandaise. Toujours populaire, l’instrument connaît quelques interprètes célèbres dans le pays comme Moya Brennan, une des fiertés de Dublin.
Comme dit précédemment, un des sports les plus excitants de Dublin est de chasser les bons concerts de musique traditionnelle dans les pubs. Si les Dublinois et/ou puristes lèveront les yeux au ciel lorsqu’on leur parle de Temple Bar, sans doute trop attrape-touriste à leur goût, le quartier demeure tout de même un incontournable pour voir de bons concerts et il faut se laisser guider par ses oreilles pour entrer aux bons endroits. Petit conseil, il est bon de passer par The Auld Dubliner, pub particulièrement chaleureux ainsi que le bien nommé Temple Bar et sa façade rouge vif et noir, l’une des images d’Épinal de la ville. C’est aussi dans ce quartier que se tient chaque année le TradFest, le festivals de musique irlandaise de Dublin, proposant plus de 200 spectacles gratuits dans une myriade de lieux.
Autrement, l’institution en ville, c’est de loin The Cobblestone. Installé dans le quartier de Smithfield, l’endroit programme des concerts sept soirs par semaine, conviant parfois certains des meilleurs musiciens du pays dans un cadre plein de personnalité et d’Histoire. Aussi célèbre,
O’Donoghue’s est le lieu mythique où le groupe The Dubliners s’est formé. Très sixties, très authentique, il est l’assurance d’une bonne soirée. Institution toujours, The Brazen Head est officiellement le plus ancien pub de la ville (1198 !). Difficile de faire plus authentique comme décor pour un concert de musique irlandaise. Et ça tombe bien, ils sont souvent très bons. Pêle-mêle, citons aussi The Celt, pub bien dans son jus avec de la bonne musique irlandaise tous les soirs, ou encore Pipers Corner sur Marlborough Street, plus spécialisé dans la cornemuse.
La musique populaire
Peut-être est-ce l’énergie du voisin anglais qui déborde dans le pays. Ou peut-être que ça n’a rien à voir (très probablement), mais la musique irlandaise a vu naître quelques-uns des artistes pop les plus célèbres du monde. À commencer par des Dublinois que vous ne pouvez pas ne pas connaître : U2. Le monde les adore ou les hait (et adore les haïr), mais ces rois de la pop-rock ont réussi l’exploit de vendre plus de 200 millions d’albums au long de leur carrière. U2 est un synonyme de la musique populaire irlandaise mais cette dernière n’a pas attendu le groupe de Bono pour se faire remarquer à l’international. Dès les années 1960, elle est le berceau de figures adorées comme Van Morrison. Né George Ivan Morrison, le chanteur débute en 1965 dans le groupe rock Them (auteur du tube Gloria) et a embrassé de nombreux styles et périodes durant sa carrière (blues, jazz, folk). Puis peu avant l’explosion du punk, le groupe dublinois Thin Lizzy prépare le terrain avec un rock sauvage qui fait un carton un peu partout dans le monde (particulièrement aux États-Unis).
Les années 1990 seront vraiment celle de l’Irlande. C’est à cette époque que le pays attire massivement l’attention avec de gros succès comme The Corrs, quatre frères et sœurs devenus des stars dans le monde grâce à leur mélange de traditionnel irlandais et de pop-rock. Plus sombre, The Cranberries a écrit une des œuvres les plus importantes du pays avec Zombie, morceau parlant ouvertement de la guerre. Et puis bien sûr, l’époque est aussi celle de Sinead O’Connor, personnalité bien trempée, aussi célèbre pour ses grands tubes comme Nothing Compares 2 U que pour ses frasques. Les années 1990 verront également exploser Enya, énorme succès international grâce à sa fusion new age/celtique.
Les musiques actuelles
La scène dublinoise est en pleine ébullition. Porte-étendard de son énergie, le groupe Fontaines D.C. (« D.C. » signifiant « Dublin City »), raconte mieux que qui que ce soit sa ville (« Dublin in the rain is mine, A pregnant city with a catholic mind… » sont les paroles qui ouvrent leur morceau Big, issu de leur album Dogrel) avec un rock franc, punk et glacé qui lui attire les louanges de la presse internationale. Issus du même mouvement, on trouve le post-punk noir de The Murder Capital et celui plus singulier d’Odd Morris, deux autres visages de la nouvelle scène irlandaise. Des dignes héritiers de Gilla Band, icônes de la scène noise qui n’ont jamais connu le succès des groupes susmentionnés mais leur ont servi de mentor. Plus indie, Rachael Lavelle est, elle aussi, en train de se faire un nom avec sa pop raffinée quelque part entre Agnes Obel et Anohni.
Moins connue que sa grande sœur londonienne, la scène hip-hop dublinoise se porte également à merveille. Rejjie Snow en fut le pionnier il y a près de dix ans. Très influencé par MF Doom, il plaça Dublin sur la cartographie rap. Puis apparut Kojaque, plus engagé et très habile pour raconter la vie de ses concitoyens de l'Irlande moderne. Deux noms qui ont ouvert grand la voie à toute une scène où se multiplient les talents et les esthétiques : Luka Palm et Malaki, mais les jeunes Monjola, Shiv, Jafaris, Gemma Dunleavy ou encore Nealo ne sont pas en reste.
Une des meilleures salles en ville pour approcher de près la nouvelle garde locale est The Workman’s Club. Installé au bord de la Liffey, cet ancien appartement transformé en club, reçoit la fine fleur de la jeune création dublinoise.
Théâtre
Les amoureux de théâtre le savent, Dublin est la ville de deux des génies (n’ayons pas peur des mots) du domaine : Oscar Wilde (1854-1900), dandy dublinois qui a « mis tout son génie dans sa vie mais n'a mis que son talent dans ses œuvres » (pour le paraphraser) et Samuel Beckett, prix Nobel de littérature en 1969, qui a écrit quelques-unes des pièces les plus importantes du siècle passé comme En attendant Godot. Moins célèbres, n’omettons pas un autre prix Nobel de littérature (1925), lui aussi natif de Dublin : George Bernard Shaw (1856-1950), grand auteur de théâtre d’avant-garde ainsi que William Butler Yeats (1865-1939), figure de la lutte pour l’indépendance de l’Irlande. Artiste iconique de Dublin, il y a fondé l’Abbey Theatre, toujours actif et bien programmé. Les amateurs bilingues de théâtre adoreront y faire un tour.