Course hippique du Palio © M. Rohana - Shutterstock.com .jpg
Parade précédant les courses hippiques © Migel - Shutterstock.com.jpg

Un rituel immuable depuis le Moyen Âge

Chaque été, les rues et les balcons de chaque contrada se parent de fanions et de drapeaux. Les deux folles courses hippiques du Palio, qui se déroulent le 2 juillet en l’honneur de la Madone de Provenzano et le 16 août pour l’Assomption, sont précédées par la bénédiction du couple homme-cheval en l’église de leur quartier respectif. Chaque contrada possède en effet sa propre église, mais aussi sa place, sa fontaine, son musée, son hymne, son drapeau, même son site Internet officiel, et, bien sûr, son saint protecteur. Puis le cortège historique, la Passeggiata Storica, défile dans le vieux Sienne au son des tambours militaires et des trompettes, entre costumes bouffants d’époque et lancers de drapeaux. C’est un spectacle incroyable, à la fois solennel et émouvant, sans doute d’un autre temps pour les touristes qui affluent du monde entier, parfois médusés devant tant d’émulation… Un temps qui remonte au Moyen Âge, lorsque les Florentins, les éternels rivaux de la Sienne gibeline, n’entendaient déjà rien au Palio, et prenaient les Siennois pour des fous. Rares sont les fêtes médiévales qui perdurent jusqu’à nous avec autant d’authenticité et de vivacité comme le Palio de Sienne.

Alors que la foule est massée au centre de la Piazza del Campo, transformée en hippodrome hors norme, et que la tension est à son comble, juste avant la course, le Carroccio, un char tracté par quatre énormes bœufs blancs, fait le tour de la place hissant fièrement le Drappellone, le drapeau tant convoité remis au quartier vainqueur. Ce trophée symbolise la fierté et l’orgueil de toute une contrada pendant une année entière. Dans les faits, il donne aussi tous les droits de moqueries et de railleries envers les quartiers perdants.

Juste une course de 75 secondes ?

Certainement pas ! Une telle affirmation risquerait de vous attirer les foudres des Siennois. Le Palio, cette cavalcade débridée, est en réalité un tournoi extrêmement compétitif, le tout saupoudré d’une féroce rivalité entre les dix quartiers participants (sur les dix-sept existants). Le chauvinisme atteint alors des proportions rarement égalées. Certains habitants sont si anxieux qu’ils préfèrent rester loin du spectacle ! C’est l’un des plus grands évènements culturels de la péninsule italienne. Il faut sans doute être siennois pour en comprendre toute l’ampleur, car il s’agit là de quelque chose de très sérieux. Côté coulisses par exemple, les couples mariés, provenant de quartiers historiques différents, n’hésitent pas à se séparer durant la période qui précède la course.

Point d’orgue du patriotisme siennois, il faut savoir que le Palio est pourtant couru de nos jours par des jockeys professionnels souvent originaires de Sardaigne (en raison de leur petite taille), et non plus par des enfants de la ville. En outre, le perdant de la course est celui qui finit deuxième et non pas dernier. Quant au cheval, qui porte les couleurs du quartier de la crinière aux sabots, il est désigné par tirage au sort quatre jours seulement avant la course. Singulier, n’est-ce pas ?

Une autre particularité du Palio de Sienne est son côté sauvage : c’est une course à l’ancienne, à cru (sans selle) et sans règles particulières, comme si elle avait lieu lors de sa première édition. Tous les coups sont donc permis, au sens propre du terme ! Les chutes peuvent parfois être dangereuses, le cheval peut même gagner sans son cavalier (ce qui est fréquent), et les sommes mises en jeu sont considérables… La réputation sulfureuse du Palio, entre histoires de dopage et courses truquées, attise sans conteste cette ambiance déjà survoltée. Furieuse, héroïque et bestiale, cette course rend également compte de la prégnance toujours aussi vivace du système des contrade.

C’est le départ ! Lorsque le bruit du canon résonne, la corde tombe, les chevaux s’élancent et la foule exalte, entre frayeur et enthousiasme. Trois tours de la Piazza del Campo, recouverte de terre battue pour l’occasion, c’est certes très court (entre 75 et 90 secondes), mais c’est surtout frénétique, d’une intensité sans égale car, au milieu des hurlements, le temps s’est comme figé. La victoire est sacrée, elle donne lieu à de spectaculaires scènes de liesse. Le cavalier (fantini) gagnant reçoit son Drappellone en soie peinte dans la collégiale Santa Maria in Provenzano le 2 juillet, et dans la cathédrale Santa Maria Assunta le 16 août. Un dîner gigantesque prend ensuite place au sein de la fière contrada vainqueur. Sachez que le quartier de l’Oie, du haut de ses 66 victoires, est le plus victorieux de l’histoire du Palio !

Cruel, le palio ?

Certaines voix s’élèvent face à l’immuable tradition du Palio de Sienne et ses dérives, considérées par les plus ardents défenseurs des animaux comme cruelles et nuisant à l’image de l’Italie. En 2011, à l’initiative de plusieurs associations de protection animale, dont la reconnue Italian Horse Protection, une pétition internationale est lancée pour demander l’interdiction d’utiliser des chevaux lors du Palio. Depuis 1970, une cinquantaine de chevaux sont morts suite à de violentes chutes lors de la course ou des entraînements. La piste est glissante et les virages dangereux. Oui, c’est une course dure, risquée, et les cavaliers peuvent cravacher les autres chevaux… et cavaliers. Mais un grand nombre de Siennois répliquent à ces critiques en faisant valoir les soins apportés aux chevaux qui courent le Palio, notamment grâce à une convention avec une clinique vétérinaire située à côté de la ville, ainsi que la retraite paisible des équidés financée par la municipalité.

Il faut savoir que la forme « moderne » du Palio remonte à 1650, après une longue évolution des jeux ayant eu lieu sur la Piazza del Campo, comme des courses à dos d’ânes ou à dos de bufflonnes, qui avaient elles-mêmes succédé à l’interdiction des combats de taureaux par le concile de Trente, au XVIe siècle. Le Palio est donc bien loin de n’être qu’une festivité, c’est un rite, c’est la fierté des contrade, pour qui le cheval fait aussi l’objet d’un véritable culte. Difficile d’imaginer aujourd’hui le moindre changement, encore moins la folle hypothèse d’annuler cette course mythique, aussi suivie en Italie qu’un match de coupe du monde de football de l’équipe nationale !