Vienne, ville de compositeurs
Vienne possède une place à part dans le cœur des mélomanes du monde entier. Et c’est sans doute parce qu’historiquement la capitale a toujours eu un pouvoir d’attraction fabuleux sur les plus grands musiciens de l’espace germanique. Historiquement, une telle concentration de génies au même endroit au même moment est un phénomène unique. C’est surtout à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle que la création de la cité impériale atteint son apogée en y voyant naître quelques prodiges de la musique.
Le plus fameux est un certain Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Compositeur et claveciniste prodige né à Salzbourg, Mozart se produit dès l’âge de 6 ans dans les salons de Schönbrunn devant l’impératrice Marie-Thérèse puis au sein des plus grandes cours européennes entre 7 et 10 ans. Il s’éteint prématurément à l’âge de 35 ans, laissant derrière lui une œuvre dantesque de plus de 600 pièces, dont beaucoup demeurent parmi les sommets de la musique symphonique, de chambre et d’opéra. Mozart s’impose avec son aîné – et complice occasionnel de musique de chambre – Franz Joseph Haydn (1732-1809) comme l’incarnation du classicisme viennois (aussi appelé « Première école viennoise »), révolution dans l’écriture de la musique où la mélodie est simplifiée et l’harmonie clarifiée.
Mentor d’Amadeus – qui le surnomme « Papa » -, Joseph Haydn débute en 1761 comme domestique des Esterházy, riche famille de princes hongrois. Durant trente ans, il est à la fois le compositeur et le chef d’orchestre de leur palais, dirigeant un ensemble de vingt musiciens et présentant ses créations à l’élite régnante européenne. A la mort de son protecteur, en 1790, il part pour Londres où il triomphe puis revient à Vienne où il continue de composer, avant de s’éteindre paisiblement à 77 ans.
Beethoven. Associé au classicisme viennois – dont il est le dernier grand représentant –, Beethoven va composer dans la capitale ses plus belles œuvres et préparer le virage vers le romantisme. S'il est né à Bonn, le compositeur a passé 35 ans dans environ 40 adresses différentes dans la capitale autrichienne.
Habité par le génie de Beethoven, Franz Schubert (1797-1828) est un autre de ces artistes mythiques viennois. Mort dans sa prime jeunesse (31 ans), Schubert a élaboré, en à peine dix-sept ans, une œuvre immense à ranger aux côtés de Mozart et Haydn. Né à Vienne, dans le quartier du Lichtental en 1797, sa rencontre avec Salieri à l’âge de 17 ans, qui dirige alors la Chapelle royale, bouleverse sa pratique. Compositeur emblématique de la musique romantique allemande, il a offert au monde un répertoire de plus de mille compositions – dont une dizaine de symphonies – et reste considéré comme le maître incontesté du lied.
Anton Bruckner (1824-1896), a vu son œuvre longtemps incomprise. Reconnu comme un maître de la symphonie longtemps après sa mort, il est aujourd’hui un pilier du répertoire symphonique des programmes de concerts.
Bien qu’Allemand de naissance, impossible de ne pas citer Johannes Brahms (1833-1897), compositeur, pianiste et chef d'orchestre parmi les plus importants de la période romantique et dont l’essentiel de la carrière se déroula à Vienne.
Gustav Mahler (1860-1911) est l'un des noms illustres à ajouter au Panthéon musical viennois de l’époque. Issu d’une famille juive de Bohême, alors dans l’Empire austro-hongrois, celui qui fut le chef d’orchestre de l’Opéra national pendant dix ans insufflera un renouveau musical de taille. Novateur, il bouleverse les règles de l’opéra, reforme l’organisation, la mise en scène et les décors en inventant la régie. Il fait jouer l’intégralité des œuvres de Wagner. Il démissionne ensuite pour diriger le Metropolitan Opera de New York. Malade du cœur, il rentre à Vienne en 1911, où il meurt cinq jours plus tard, laissant inachevée une Dixième Symphonie, peut-être son œuvre la plus interprétée. Mahler, principalement connu du grand public pour ses symphonies, écrivit également des compositions vocales sur de la poésie épique du Moyen Age allemand : un retour au mythe, initié par Wagner que Mahler admirait tant.
Johann Strauss père (1804-1849) vient de l’école de musique des cafés et des auberges. La Vienne du XIXe siècle étant marquée par un joyeux tourbillon de fêtes et de danses, une forme légère d’opéra, « l’opérette », éclot à cette période simultanément aux fameuses valses viennoises. La dynastie des Strauss en est la figure de proue. La carrière du père débute lorsqu’il entre dans l’orchestre de Lanner, le précurseur du genre, en 1819. Les deux hommes se fâchent rapidement, Strauss supportant difficilement que Lanner signe ses propres partitions. Fleuron de la musique typiquement autrichienne, notamment avec sa Marche de Radetzky, nombre de ses compositions semblent aujourd’hui un peu désuètes. Nommé directeur des bals de la Cour en 1846, il participe à l’établissement de la valse comme danse bourgeoise à la mode. Il tentera de dissuader son fils de devenir musicien, mais ses conseils ne seront pas suivis.
C’est ainsi que Johann Strauss fils (1825-1899) devint le compositeur autrichien qui fit danser toute l’Europe en son temps. En concurrence avec son père, il monte son propre orchestre à l’âge de 19 ans dans lequel il joue du violon avec virtuosité. Son Beau Danube bleu est connu dans le monde entier.
Au début du XXe siècle, Vienne ne ralentit pas ! Au contraire, la capitale va devenir un poumon de l’avant-garde mondiale avec l’École viennoise atonale. Théorisée par Arnold Schönberg (1874-1951), puis explorée par ses élèves, Alban Berg (1895-1935) et Anton von Webern (1883-1945), cette musique abandonne la tonalité classique au profit de l’atonalité et du dodécaphonisme. Si l’on devait résumer, on dirait que l’École viennoise atonale est à la musique ce que l’Oulipo est à la littérature. Cette école se propagera dans toute l’Europe à partir de 1945.
Les deux guerres mondiales ont eu beau ébranler Vienne, son génie musical est resté intact, incarné au fil du siècle par les Zemlinsky, Schreker, Korngold, Ligeti, Einem, Wellesz... Autant d’illustres représentants de la nouvelle vague d’une musique moderne, contemporaine.
Sur les traces des génies
Juste derrière la cathédrale Saint-Étienne, dans l’étroite Domgasse, se trouve la maison de Mozart, où il vécut de 1784 à 1787 et composa Les Noces de Figaro. Traversez la vieille ville à pied pour vous rendre à la maison de Beethoven, juste derrière l’église votive. En remontant vers le nord et le quartier d’Alsergrund, vous tomberez sur la maison natale de Schubert, non loin de l'église Lichtental dans laquelle il joua ses œuvres.
Repiquez ensuite vers le sud et le quartier de Mariahilf pour visiter la maison où mourut Joseph Haydn. La traversée de ce quartier vous mènera jusqu’à celui de Wieden, où Franz Schubert vécut les dernières années de sa vie. On visitera son dernier appartement avant d'aller se recueillir sur sa première tombe à côté de celle de Beethoven au Währinger Schubertpark, transférées toutes deux au «carré des musiciens» du cimetière central. La tournée viennoise des maisons de compositeurs s’achève par celle de Johann Strauss, à deux pas du Prater et de sa Grande Roue. C’est là qu’il composa le célèbre Beau Danube bleu qui fait toujours valser les Viennois. Dans la périphérie de la ville, on ira visiter le nouveau musée Beethoven de Heiligenstadt, non loin de la Heuriger où il aimait se désaltérer, à compléter par la visite de la Beethovenhaus de Baden. Plusieurs endroits d'Eisenstadt rappellent enfin le souvenir de Haydn, dans cette ville où il fut au service des princes Esterházy.
Où écouter de la musique classique ?
Aujourd’hui, Vienne a conservé son statut de « capitale du classique » grâce à des institutions fabuleuses comme l’Orchestre philharmonique de Vienne (Wiener Philarmoniker), qui résonne au Musikverein, l'une des meilleures salles du monde (tout bonnement) dans le cœur des connaisseurs grâce à son acoustique exceptionnelle. Bach et Beethoven sont régulièrement à l’affiche mais les places sont en général prises d’assaut, surtout pour le fameux Concert du jour de l'an. On pourra se rabattre sur les concerts du Wiener Mozart Konzerte, qui joue également ici. Non loin, l’Opéra national, situé sur le Ring, peut être un autre bon point de départ pour une exploration musicale de la ville. Grande scène européenne, elle est la garantie d’entendre le meilleur du répertoire classique tout en conservant une place pour l’innovation. En direction du Stadtpark, vos pas vous mèneront tout naturellement jusqu’au Wiener Konzerthaus, salle de concert Art nouveau. Un brin moins réputé que les salles précédentes, sa programmation y est pourtant toujours de très grande qualité et accueille régulièrement les musiciens de l’Orchestre symphonique de Vienne. C’est ici qu’a lieu chaque année le festival Résonances, dédié aux musiques anciennes. Tout près, le Kursalon propose une programmation tournée vers les œuvres de Johan Strauss et Mozart.
Après avoir traversé le Stadtpark – et vu ses statues dédiées à Johann Strauss, Franz Schubert, Anton Bruckner, Andreas Zelinka ou Robert Stolz –, une bonne idée est de passer par la Haus der Musik, un incroyable musée dédié aux sons, truffé d’installations interactives. C'est toujours un succès auprès des enfants. À proximité, le MUK (Johannesgasse 4A), l’université dédiée à la musique et aux arts de la scène, propose parfois des concerts joués par les étudiants. N’hésitez pas à entrer pour vous renseigner sur la programmation.
Enfin, autre lieu emblématique où écouter les œuvres de Mozart ou Strauss, le Palais Schönbrunn qui organise tous les soirs un concert dans l'orangerie.
La musique populaire
Une des formes musicales les plus populaires d’Autriche est la Schrammelmusik originaire de Vienne. Nommée d’après ses fondateurs, les frères Schrammel, cette musique se joue à trois ou quatre musiciens – violon, accordéon et guitare à double manche – et relate les aventures des héros populaires d’antan ou la vie viennoise. Ces chants font partie du répertoire classique des Wiener Lieder, les chansons viennoises. Les mélodies sont imprégnées d’une relative sècheresse et d’une certaine amertume. Parmi les interprètes modernes les plus célèbres du genre, Roland Neuwirth est presque une icône.
Les musiques actuelles
N’allons surtout pas croire que la capitale autrichienne s’endort sur son patrimoine. Vienne possède une jeune garde à la création hyper dynamique et l’on ne vient plus dans la capitale uniquement pour écouter Mozart, Strauss ou Schönberg. Le festival Waves, qui brille souvent par son flair, est d’ailleurs une excellente occasion d’entendre les talents autrichiens en devenir. Après que le duo iconique du trip-hop Kruder & Dorfmeister lui a ouvert la voie à la fin des années 1990, une scène foisonnante s’est développée et se maintient en perpétuelle ébullition. Parmi les noms les plus intéressants, le label Editions Mego est une des entités de l’avant-garde les plus respectées au monde et produit les œuvres de figures locales comme Christian Fennesz. Citons également Karma Art, artiste trip-hop dans la lignée de Kruder & Dorfmeister, Dorian Concept et Cid Rim, deux producteurs dont la musique électronique très jazz, funk et hip-hop a séduit de grands labels étrangers tels que Ninja Tune ou LuckyMe, le duo d’ambient Ritornell ou celui de techno nommé Mieux ou encore Ulrich Troyer et sa dub moderne et aventureuse.
Pour goûter à cette scène et faire l’expérience de la Wiener Szene (la « Vienne branchée » ou « underground »), rien de mieux que de se rendre dans l’un des innombrables clubs de la ville. Parmi les plus recommandables, le Rhiz est l’un des endroits les plus connus en matière de musique électronique, le Fluc est lui aussi un des endroits phares de la vie nocturne viennoise et programme hip-hop et techno dans une ambiance arty et branchée, et enfin le Pratersauna voit les choses en grand et offre 1 800 m2 pour danser, notamment au bord de (ou dans) sa piscine.
À noter aussi qu’en juin se tient le Donauinselfest, trois jours de fête en plein air et de concerts pop et rock géants repartis sur 20 scènes différentes.
Le théâtre
Vienne, ville de culture et capitale du classique, fut aussi marquée par de grands dramaturges. Le plus illustre d’entre eux est sans aucun doute Franz Grillparzer (1791-1872) influencé par le classicisme weimarien et auteur de dix pièces bien installées dans le répertoire des scènes germaniques. Citons également Hugo von Hofmannsthal (1874-1929) qui fut collaborateur de Richard Strauss (dont il a écrit la plupart des livrets) et auteur d’une série de tragédies inspirées du théâtre élisabéthain et antique, Felix Salten (1869-1945), écrivain prolifique et père de Bambi, Thomas Bernhard (1931-1989), autrichien né aux Pays-Bas, reconnu comme l’une des plumes les plus importantes de sa génération et enfin les prix Nobel Elfriede Jelinek et Peter Handke dont le succès fait voyager la réputation des belles lettres autrichiennes dans le monde.
Deux théâtres à connaître absolument en ville : le Théâtre National (Burgtheater), symbole de la vie publique et artistique viennoise et l’une des scènes les plus représentatives de la dramaturgie de langue allemande, et le charmant Théâtre de Josefstadt, l’un des meilleurs théâtres de Vienne avec le Burgtheater (mais avec un public plus restreint typique de la classique scène intellectuelle viennoise).