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Sciences et littérature

Remonter l’histoire pourrait être aussi fastidieux qu’essayer de comprendre les subterfuges et jeux de pouvoir qui ont amené la Bavière à changer de main et de roi bien plus souvent qu’à son tour au cours de ses premiers siècles. Toutefois, cela ne fera pas oublier ses origines ancestrales, celtes avant d’être germaniques, et le fait que son histoire littéraire celle-ci commence à s’écrire du côté de Nuremberg. Nous pourrions ainsi citer Hartmann Schedel (1440-1514), l’auteur (plus exactement le collecteur) des Chroniques portant le nom de sa ville natale, incunable d’exception et travail encyclopédique qui outre des gravures remarquables s’attarde sur le passé et sur le présent, mêle biographies réelles et légendes colportées. Puis viendront deux poètes qui ont su pour le moins inspirer des musiciens, respectivement Bach et Wagner. Le premier, Lazarus Spengler, naît en l’an de grâce 1479. Fervent admirateur de Luther, sa foi lui inspire hymnes et cantiques. Le second partage les croyances et affinités électives de son aîné, mais ce n’est pas pour cela qu’il est resté célèbre. En effet, Hans Sachs (1494-1576) est surtout réputé pour être le plus grand Meistersinger de son temps et, ainsi, il s’inscrit fidèlement dans les traces de deux autres Bavarois, Wolfram von Eschenbach (env. 1170-1220) et Konrad von Würzburg (env. 1225-1287). Ces « Maîtres chanteurs » (en français) sont les dignes héritiers de la tradition du Minnesang médiéval, ces poètes de la même engeance que nos troubadours qui récitaient ou improvisaient des vers en respectant la métrique définie par la Tabalatur. Hans Sachs, cordonnier de métier, aurait pris sur son temps libre pour rédiger plusieurs milliers d’œuvres. Certaines ne sont sans doute pas de sa plume, mais quelques-unes sont, en tous les cas, toujours déclamées de nos jours.

En s’autorisant un saut de puce dans le temps et dans l’espace, nous rencontrons Friedrich Julius Heinrich von Soden qui pousse son premier cri le 4 décembre 1754 à Ansbach. Celui-ci rejoint en 1824 l’Académie des Sciences et Humanités de Bavière fondée une soixantaine d’années auparavant à Munich, mais c’est aux lettres qu’il voue sa passion, se faisant traducteur et directeur d’un théâtre dès l’aube du XIXe siècle à Bamberg. Son presque contemporain, Jean Paul (1763-1825) Johann Paul Friedrich Richter, qui a choisi son pseudonyme en hommage à Rousseau , évolue également sur les planches, avant de les délaisser suite à une crise quasi mystique pour se consacrer au roman. Il fréquente alors les cercles littéraires de Weimar, dans le Thuringe, où il rencontre Goethe et Schiller mais, après une escale berlinoise, il reviendra finalement dans sa Bavière natale où il trouvera la mort en 1825. Oscillant entre l’ironie la plus férocement réaliste et sa fascination pour le rêve, Jean Paul se découvre en français en particulier aux éditions Corti (La Lanterne magique, Mon enterrement vivant, etc.). À dire vrai, cette oscillation constante entre pragmatisme les sciences et imaginaire littérature, voire spiritualité semble être dans une certaine mesure la marque de fabrique des écrivains de Bavière, comme paraît le confirmer le parcours de Franz Xaver von Baader (1765-1841), tout à la fois ingénieur des mines et professeur de philosophie, fervent catholique et adepte de l’ésotérisme. Sa prose, ardue notamment Fermenta cognitionis , a été traduite en français aux éditions Albin Michel dans les Cahiers de l’hermétisme mais n’est malheureusement plus disponible. Les écrivains du nouveau siècle, Franz von Pocci né à Munich en 1807 et Isabella Braun née à Jettingen en 1815, affichent une approche plus ludique puisque le premier est caricaturiste, chansonnier et écrit des pièces pour des marionnettes il créera d’ailleurs le Münchner Marionettentheater et que la seconde publiera principalement des textes pour la jeunesse, mais l’art ne saurait faire oublier la pédagogie !

De cercles en cercles

Au mitan du siècle, en 1856, se crée à Munich un cercle poétique dont le nom est peut-être inspiré d’une courte évocation d’Hermann Lingg (1820-1905), Das Krokodil von Singapur. Ses membres garderont l’animal comme totem et se réuniront pour sublimer la vie intellectuelle de la capitale de la Bavière. Là encore se croisent aussi bien des savants tels que le chimiste Max Joseph von Pettenkofer, qui se suicidera en 1901, lui qui n’avait pourtant pas hésité à ingérer devant ses élèves le germe du choléra sans tomber malade que des écrivains, bavarois ou non, à l’instar du Berlinois Paul von Heyse qui sera couronné par le Nobel de littérature en 1910. Tandis que dans les « beaux cercles », ceux de la Cour, la polyglotte Thérèse de Bavière (1850-1925) s’apprête à parcourir le monde dont elle ramènera des récits de voyage (Ausflug nach Tunis, 1880 ; Meine Reise in den Brasilianischen Tropen, 1897...) et que le Munichois Karl von Perfall est nommé Directeur de la Musique en 1864 avant de prendre la tête du Théâtre Royal de Bavière trois ans plus tard. Carl du Prel (1839-1899) fréquente des sociétés secrètes et s’initie aux secrets du spiritisme. Quant à Ludwig Ganghofer, qui a vu le jour à Kaufbeuren en 1855, il s’apprête à marquer durablement l’histoire littéraire de sa région natale, et pas seulement grâce aux romans du terroir qu’il publie et dont certains seront adaptés au cinéma quelques décennies plus tard (L’Ivresse de la forêt en 1962, Château de Saint-Hubert en 1973). En effet, après s’être peut-être laissé inspirer par la baronne Sophie von Todesco qu’il côtoyait à Vienne, il initie avec Ernst von Wolzogen et Richard Strauss la Münchener Literarische Gesellschaft en 1897. Ce cercle a pour vocation d’encourager la création littéraire, il verra d’ailleurs passer un jeune étudiant en philosophie au destin prestigieux, Rainer Maria Rilke, qui, à Munich, rencontrera sa muse, de quatorze ans son aînée, Lou Andreas-Salomé, mais il accueille aussi des écrivains dont le ton heurte la bienséance, à l’exemple de Frank Wedekind, qui, outre le fait qu’il vive avec Frida Uhl, toujours mariée à August Strindberg mais dont il aura un fils, travaille pour le journal satirique Simplicissimus. Cette publication, au nom tiré du roman picaresque éponyme de Grimmelshausen, fait en effet couler beaucoup d’encre, et Guillaume II il n’est pas le seul n’apprécie guère les caricatures dont il est l’objet. Envers et contre tout, la parution perdurera tout de même jusqu’en 1944, et si elle ne peut qu’admettre avoir cédé à un certain nationalisme durant la Première Guerre, elle peut tout de même s’enorgueillir d’avoir publié entre ses pages certains textes de Thomas Mann. Le futur prix Nobel de littérature (1929) s’installe en effet à Munich en 1892, y devient courtier en assurance avant d’abandonner la profession pour se consacrer à l’écriture de son premier roman, Les Buddenbrooks, paru en 1901. À Munich, Thomas Mann se marie également et donne au monde plusieurs enfants dont Klaus, qui naît en 1906 et marchera sur les traces de son père en devenant écrivain une œuvre qui malheureusement ne rencontrera son public qu’après son suicide, survenu alors qu’il n’avait que 42 ans, mais depuis largement traduite en français : Nouvelle d’enfance chez Rivages, Alexandre : roman de l’utopie chez Libretto, Speed chez Phébus, etc. Pour l’heure, le XXe siècle s’annonce, et avec lui deux conflits mondiaux qui en verront certains retourner leur veste comme le fera Ludwig Thoma (1867-1921), jusqu’alors plutôt populaire grâce aux textes humoristiques campant avec malice la vie quotidienne bavaroise qu’il publiait dans Simplicissimus, qui se déclarera ouvertement antisémite , et d’autres quitter le pays, comme Emerenz Meier (1874-1928), sa consœur de publication mais à la rubrique poésie, auteure d’un unique roman, Aus dem bayrischen Wald, publié en Prusse en 1896, qui émigrera à Chicago avec sa famille en 1906.

XXe et XXIe siècles

Né à Augsbourg en 1898, mort à Berlin-Est en 1956, Bertold Brecht a subi de plein fouet l’ambiance délétère du siècle qui l’aura vu vivre. Mobilisé comme infirmier en 1918, il écrit cette même année sa première pièce, Baal, qui met en scène un jeune poète, aux faux airs rimbaldiens, qui comble son vide existentiel à grandes lampées de schnaps. Il enchaîne en 1919 avec Tambours dans la nuit initialement intitulé Spartakus pièce couronnée par le Prix Kleist et approuvée par le grand critique littéraire de son temps, Lion Feuchtwanger (l’un des fondateurs de Der Siegel, et l’auteur du roman Le Juif Süss, succès international à découvrir aux éditions Le Livre de poche). Mais les honneurs que remportent Brecht notamment avec L’Opéra de quat’sous (1928) ne l’empêchent pas d’être la cible des provocations des nationaux-socialistes qui n’approuvent guère ses idées marxistes. Victime de l’autodafé de 1933, déchu de sa nationalité en 1935, il doit se résoudre à un long exil qui le mènera jusqu’à Hollywood. Ses nombreux déplacements et son engagement politique ne tariront pas son inspiration, sans doute même l’alimenteront-ils, et ses œuvres, dont la liste est impressionnante, se découvrent, avec plaisir et curiosité, chez Arche éditeur : L’Abc de la guerre, La Noce, L’Achat du cuivre, La Vie de Galilée, Sainte Jeanne des abattoirs, etc. Un autre écrivain, pour le moins politique, est Hans Magnus Enzensberger dont Le Bref été de l’anarchie est devenu un classique de la collection L’Imaginaire chez Gallimard. Cette biographie romancée s’attarde sur le parcours de l’Espagnol Buenaventura Durruti durant la révolution sociale de 1936. Mais Enzensberger est loin d’être l’homme d’un seul texte, sa poésie (L’Histoire des nuages : 99 méditations), ses essais (Politique et crime : neuf études, Culture ou mise en condition ?) et même ses écrits à destination de la jeunesse (Les Sept voyages de Pierre) ont trouvé un large écho en France. C’est dans ce dernier secteur qu’évoluera également Michael Ende (1929-1995), l’auteur émérite de L’Histoire sans fin (1979) dont les adaptations cinématographiques auront bercé l’enfance de bien des spectateurs (mais fortement déplu à l’écrivain !). Cinéaste à ses heures perdues, son contemporain Herbert Achternbusch, né en 1938 à Munich, a aussi évolué au théâtre (Gust, La Botte et sa chaussette, Werner Herzog, chez L’Arche), tout comme le dramaturge Martin Sperr dont la pièce Scènes de chasse en Bavière, l’histoire d’une dispute sans objet qui vire à la chasse à l’homme, est publiée en français par le même éditeur. S’il a lui aussi commencé sa carrière au théâtre, avec La Contrebasse jouée pour la première fois en 1981, c’est sans conteste pour son roman Le Parfum, publié quatre ans plus tard à Zürich, que Patrick Süskind se fait un nom à l’international car bien qu’il cultive la discrétion et le mystère l’histoire de son meurtrier est devenue un best-seller mondial.

Aujourd’hui, la littérature bavaroise se porte bien, elle est par exemple représentée par Harald Grill, écrivain-voyageur et poète, ou par Matthias Politycki, qui partage ce goût des voyages mais sait aussi se montrer grinçant quand il croque les travers des riches dans le picaresque In 180 Tagen um die Welt (en français, deux textes ont été traduits par Jacqueline Chambon éditions : Roman de l’au-delà et Samarcande Samarcande). Dans la veine du roman noir, on retrouve Loup Harlander avec 42 Grad, ou Ferdinand von Schirach disponible de notre côté de la frontière chez Gallimard (Crimes, Coupables, Sanction, etc.). Enfin, le travail de Daniel Kelhmann, né en 1975, est porté en traduction par les éditions Actes Sud : La Nuit de l’illusionniste ou, plus récemment, le très efficace Tu aurais dû t’en aller.