Guide des Îles Eoliennes : Histoire
Il semble que la Sicile ait été habitée dès le Paléolithique. On tient pour preuve les découvertes réalisées à ce jour en Sicile et dans ses îles mineures, en particulier dans celle d'Egade de Levanzo.
Là, entre 1949 et 1951, une campagne de fouilles a révélé quantité d'objets et de gravures rupestres comme dans la grotte dell'Addauro, sur le mont Pellegrino près de Palerme.
Au cours du XIIIe siècle avant notre ère, occupée par Elymes et les Sicanes, la Sicile devient une étape importante du commerce méditerranéen. C'est là que transitent l'étain et les produits des ateliers mycéniens que l'on a retrouvés en nombre dans le sous-sol de l'île.
C'est également cette époque que choisissent les Sicules, une peuplade indo-européenne, pour venir s'installer sur les côtes orientales de l'île, les Elymes et les Sicanes étant refoulés dans leur grande majorité dans la partie occidentale, d'autres choisissant de rester et de fonder plusieurs petites villes à l'image de Pantalica au nord-ouest de Syracuse.
Déjà les Phéniciens, originaires des côtes de l'actuelle Syrie, fréquentaient les rivages siciliens, mais c'est seulement au cours des Xe et IXe siècles qu'ils en prirent possession en plusieurs endroits sous la forme de comptoirs commerciaux extrêmement actifs.
Ils allaient rapidement se développer, puis se heurter à l'un des événements majeurs de l'histoire de la Sicile, la colonisation grecque.
La Sicile n'était pas terra incognita pour les Grecs du début du Ier millénaire. Leurs ancêtres avaient sans aucun doute déjà longé ses côtes, à l'image d'Ulysse et de ses compagnons dans L'Odyssée, s'engouffrant dans un étroit défilé maritime où l'on reconnaît sans grande difficulté la description du détroit de Messine.
Toujours est-il qu'au début du VIIIe siècle av. J.-C., et ce jusqu'au milieu du VIe siècle av. J.-C., des Grecs réempruntent cette route de l'Ouest jusqu'alors abandonnée et abordent dans un même temps les rivages de la Sicile et du sud de la péninsule italienne.
A l'origine de ce phénomène commun à toutes les grandes cités hellènes, on trouve des initiatives individuelles, puis aux environs du milieu du VIIe siècle av. J.-C., les cités grecques elles-mêmes vont se lancer dans l'aventure et fonder pour leur propre compte des colonies.
En Sicile, qu'ils dénommèrent Trinacria (l'île aux Trois Pointes), ils s'implantent sur la côte orientale, se limitant d'abord au littoral, puis chassent les différentes tribus sicules vers l'intérieur de l'île et les Phéniciens vers la partie occidentale de l'île, où ces derniers créent de nouveaux comptoirs commerciaux (Motyé, Palerme). Les premiers Hellènes à s'installer venaient d'Eubée et fondèrent, en 757 av. J.-C., Naxos, la première colonie grecque de Sicile. Vers 734, Syracuse était fondée par les Corinthiens.
Puis vont suivre les fondations des colonies grecques de Zancle (aujourd'hui Messine) vers 730, de Catane vers 729, de Gela par les Rhodiens vers 689, de Selimonte vers 650, et d'Akragas (aujourd'hui Agrigente) vers 581. Indépendantes de leur " cité mère ", ces colonies n'en continuaient pas moins cependant d'entretenir avec elle des relations économiques et culturelles.
Les colons avaient bien sûr importé leur langue, leur organisation politique, leurs lois, leurs dieux, de quoi créer une Grèce à l'identique, ce qui veut dire aussi avec ses excès.
Très vite, les colonies grecques en Sicile vont connaître la prospérité grâce à l'énorme potentiel agricole de l'île, tout particulièrement autour de l'Etna. Devenues riches et puissantes, elles se lancent à leur tour dans une politique de colonisation et essaiment le long des rivages de l'île. Au Ve siècle av. J.-C., on estime déjà la population à 1 300 000 habitants, l'équivalent de la population de l'île au XVIIIe siècle.
Cette implantation et ce développement monumental et territorial des colonies grecques ne se sont pas effectués sans heurts avec les populations locales primitives de l'île, les Elymes, les Sicanes et les Sicules, et entre les colonies.
Désormais puissantes, à l'étroit dans leurs possessions territoriales originelles, elles aspirent à des politiques de conquête. Comme leurs " cités-mères ", elles vont s'affronter en de nombreux et épuisants conflits. A l'occasion de l'un d'entre eux, Gela conquit Syracuse.
Au début du Ve siècle av. J.-C., une menace d'une tout autre importance va peser sur l'avenir des colonies que dirigeaient pour plusieurs d'entre elles des dynasties de tyrans. Alliés des Elymes, des Sicanes et des Sicules, les Carthaginois vont se lancer à l'assaut de la partie grecque de Trinacria.
C'est grâce à l'un des tyrans aux commandes de Gela et de Syracuse, le tyran Gélon, que les cités hellènes gardèrent leur indépendance.
A la tête d'une puissante armée, il défait les troupes carthaginoises à la bataille d'Himère, en 480 av. J.-C.
Hormis ces épisodes troubles du début du siècle, le Ve siècle av. J.-C. correspond à l'âge d'or de la Sicile hellénistique, une Sicile que dominent les cités du littoral oriental. Elles se couvrent, à l'image d'Agrigente et de Sélimonte, de beaux et importants monuments publics et religieux, et deviennent autant de foyers culturels et de savoir qui attirent à elles les plus grands savants et philosophes de l'époque.
Une cité commande le paysage politique : Syracuse. Riche, puissante, elle est dirigée d'une main de fer par une dynastie de tyrans et de grands mécènes, qui font de leur cour le lieu de travail et d'étude des savants et des artistes de leur temps, un centre de rayonnement de la culture hellène.
L'hégémonie des colonies (devenues cités) grecques sur la Sicile est une première fois remise en cause en 415 av. J.-C. par Athènes elle-même, qui lance alors sur Trinacria une expédition que les Syracusains, aidés des autres cités hellènes, écartent en 413 (cet épisode de l'expédition sicilienne des Athéniens est retracé dans la guerre du Péloponnèse). C'est alors le dernier véritable succès, les derniers instants de domination incontestée des cités grecques sur la Sicile. Car la menace carthaginoise, un temps éloignée, réapparaît plus forte. La démonstration de leur force sur les côtes occidentale et méridionale de l'île (ils dévastent plus d'une cité grecque) pousse les Hellènes, et en particulier Syracuse, à leur céder la partie occidentale de l'île.
La Sicile est donc désormais administrée par Carthage à l'ouest et par Syracuse à l'est. Cette dernière, à partir de 405 av. J.-C., sous l'impulsion d'un de ces tyrans, Denys l'Ancien, va se lancer à la conquête des cités mineures siciliennes encore indépendantes et de celles du sud de la péninsule italienne. Puis il va réussir à s'opposer à la puissance grandissante de Carthage, la chassant de l'ouest de l'île, en en devenant ainsi le maître incontesté.
Reprenant à son compte la longue tradition de mécénat de ses prédécesseurs, Denys l'Ancien (405-367 av. J.-C.) fait de sa cour le lieu de rencontre des artistes, savants et philosophes de son temps. Platon la fréquente assidûment, devenant même, l'espace de quelques années, le conseiller du tyran. Avec sa mort va s'ouvrir pour Syracuse et la Sicile grecque un siècle de troubles et de décadence marqué par les règnes de Denys le Jeune, Timoléon ou encore Agathocle, mais surtout par la reprise des guerres avec la puissante Carthage et l'avènement d'un nouveau péril venu du nord, Rome la conquérante.
Vers les années 270 av. J.-C. en effet, les possessions syracusaines en Sicile s'étaient réduites comme une peau de chagrin. Depuis quelque temps déjà, l'histoire de la Sicile ne se confondait plus avec celle de la cité des tyrans mais avec celle de Carthage.
C'est à partir de cette époque que la menace romaine se fit plus pressante. Les cités grecques du sud de la péninsule avaient déjà connu le joug de Rome (Tarente fut conquise en 270).
En 264 av. J.-C., Rome se lance à la conquête des possessions siciliennes de Carthage : c'est la première guerre punique. Elle est marquée bien évidemment par de nombreuses batailles, mais c'est celle des îles Aegates en 241 av. J.-C. qui assure aux Romains le contrôle définitif de la Sicile carthaginoise et clôt le premier épisode des guerres puniques. De son côté, Syracuse reste indépendante, alliée à Rome, mais pas pour très longtemps.
Comme leurs prédécesseurs, les dirigeants de Syracuse de la deuxième moitié du IIIe siècle av. J.-C. continuent d'entretenir dans la cité hellène une cour brillante, fréquentée par les grands savants et philosophes de l'époque, à l'image d'Archimède.
En 218 av. J.-C., Romains et Carthaginois s'affrontent de nouveau, dans la deuxième guerre punique. Cette fois Syracuse est l'alliée de Carthage. Ce choix entraînera sa perte. En 215 av. J.-C., la ville est assiégée et résiste près de trois ans aux assauts répétés des troupes romaines commandées par le consul Marcellus. Malgré les efforts des défenseurs parmi lesquels on compte Archimède, qui fait valoir son génie en incendiant par de grands miroirs les voiles des galères romaines, Syracuse est vaincue en 212 av. J.-C. La dernière partie indépendante de la Sicile tombe ainsi aux mains des Romains.
Sitôt conquise, la Sicile est la proie de l'aristocratie romaine, des grandes familles sénatoriales qui président aux destinées de la République. Elles s'y taillent en effet de larges domaines agricoles, les fameux latifundia, chargés de nourrir la population sans cesse croissante de Rome et de l'Italie romaine. Le clientélisme régnant, de grandes familles siciliennes pourtant vaincues se retrouvent à la tête de vastes domaines sur lesquels travaille presque exclusivement une main-d'oeuvre servile. La Sicile devient alors le grenier à blé de la République romaine.
Au cours des deux siècles qui suivent son passage sous domination romaine, l'histoire de l'île va être marquée par une succession de révoltes méconnues d'esclaves qui présagent celle de Spartacus au Ier siècle av. J.-C. en Campanie. En effet, en 135 av. J.-C. éclate une première insurrection. A sa tête, un esclave originaire de l'actuelle Syrie, Eunous, qui, pendant près de trois ans, va défier les légions romaines, mais sa révolte sera finalement écrasée.
Une autre succédera, liée à l'exploitation inhumaine de la main-d'oeuvre servile par les différents gouverneurs qui se succèdent à la tête de la Sicile. Elle éclate vers 104 av. J.-C. Un dénommé Tryphon en prend les commandes et, à la tête de près de 40 000 esclaves, pille et ravage lui aussi pendant environ trois ans les latifundia siciliens, faisant peser sur Rome la menace de la famine, une Rome totalement dépendante du ravitaillement de l'antique Trinacria. Celui qui s'était autoproclamé roi de Sicile sera également écrasé avec ses troupes à l'aube du Ier siècle av. J.-C.
A l'origine de ces révoltes, le plus souvent, les conditions infernales de vie et de travail rencontrées par la main-d'oeuvre servile, imposées par les gérants des grands domaines agricoles et par les différents gouverneurs et les consuls. Parmi eux, on retiendra le fameux Caton l'Ancien en place à la veille de la troisième guerre punique et, pour ses exactions, le grand Verrès, passé maître dans l'art de s'enrichir. Entre 73 et 71 av. J.-C., il s'attache à rendre la Sicile exsangue à son profit.
Avec le passage de la République à l'Empire, la Sicile devient une province sénatoriale dans le cadre du partage des provinces romaines entre le nouvel empereur, Octave, devenu Auguste, et le Sénat. L'île est alors administrée par un représentant des grandes familles aristocratiques de Rome. Entre le Ier siècle av. J.-C. et le IVe siècle apr. J.-C., elle va devenir alors, avec l'Italie, le coeur de la romanité. Pacifiée et hors d'atteinte des dangers barbares, la Sicile devient un lieu de villégiature fort apprécié des élites romaines qui y séjournent régulièrement.
Les villes se couvrent de beaux et riches monuments, les campagnes de belles villas. Entre-temps, elle a perdu son statut de grenier à blé de Rome, une perte au profit de la patrie de Cléopâtre, l'Egypte, au fort potentiel agricole.
Mais au IIIe siècle apr. J.-C., elle n'échappera pas à l'affaiblissement de l'autorité de l'Empire. Elle est la proie de troubles qu'elle ne pensait jamais voir ressurgir, comme les révoltes d'esclaves qui ensanglantent les grands domaines latifundiaires et les raids de navigateurs francs, à l'image des anciennes incursions des pirates carthaginois, qui mettent à feu et à sang les côtes de l'île, et surtout pillent et incendient la féconde Syracuse en 278.
Avec la désagrégation de l'Empire, la Sicile voit également, au début du Ve siècle apr. J.-C., une vague d'invasions qui finira de mettre à bas un édifice déjà bien malade. L'île est tout d'abord la proie des Vandales.
Ils pillent ses côtes méridionales à partir de l'Afrique du Nord et plus précisément de la Tunisie actuelle, puis ils investissent la Sicile vers les années 470, pensant trouver là, la terre qu'ils cherchent depuis des générations. Ils n'auront pas le temps d'imprimer leur marque sur l'antique Trinacria. En effet, d'Italie, où étaient venus s'installer les Ostrogoths après avoir chassé Odoacre (celui-là même qui avait déposé le dernier empereur romain Romulus Augustule), leur chef Théodoric lance plusieurs raids qui aboutissent à la conquête partielle de la Sicile vers 490. La domination des Goths durera à peine 45 ans.
En 535 en effet, la Sicile renoue avec la tradition grecque, dont la langue et la culture n'avaient jamais totalement disparu de l'île. Bélisaire, à la tête d'une puissante armée byzantine, chasse les Ostrogoths et annexe l'île, conformément au désir de l'empereur d'Orient Justinien.
Convertie au christianisme depuis le IVe siècle apr. J.-C., l'Eglise de Sicile est alors rattachée à l'Eglise d'Orient, non sans protestation de la part du pape, qui siège à Saint-Pierre de Rome.
Les Byzantins rencontrent en Sicile une forte tradition hellène qui favorise donc leur implantation. Soumise régulièrement aux attaques des pirates qui sévissent en Méditerranée, l'empereur d'Orient n'en choisit pas moins la Sicile pour accueillir la capitale de l'Empire. En effet, entre 663 et 668 sous la menace de l'expansion musulmane, Constantinople est abandonnée par la cour, et les organes de l'administration impériale viennent s'installer à Syracuse, qui renoue ainsi avec son lustre d'antan. Contre vents et marées, la domination byzantine se maintient en Sicile jusque dans les années 820. A l'initiative d'un gouverneur séditieux, l'île passe alors aux musulmans qui ravageaient déjà ses côtes depuis de nombreuses années.
En 827, les premiers musulmans prennent pied sur le sol sicilien, à l'appel d'Euphemius. Difficile, la conquête de l'île sera marquée par la prise de Palerme en 831, puis par celle de Syracuse en 878. Boutés hors de l'île, les Byzantins tenteront à plusieurs reprises de reprendre pied en Sicile avec plus ou moins de succès, en 965 par exemple puis en 1035, à l'époque où les différents partis musulmans se disputent le pouvoir.
Durant l'occupation musulmane, certaines parties de la Sicile sont fortement arabisées, comme les terres du côté d'Entella ou encore de Calathamet. Grâce à la tolérance qui caractérise les premières heures de l'islam à l'égard des autres religions, de larges régions sont laissées libres de suivre leurs us et coutumes. La langue et la culture grecques continuent donc de prospérer, ainsi que le christianisme.
Ardents travailleurs, les musulmans vont participer à l'enrichissement économique de l'île, développant son agriculture par l'introduction de techniques encore inconnues en Occident, comme l'irrigation, en introduisant de nouvelles cultures (mûriers, coton, orangers, dattiers, canne à sucre) et en élevant certaines villes au rang de places financières et commerciales " internationales " telles que Mazara. Ils vont également favoriser le développement culturel de l'île.
Devenue capitale au détriment de Syracuse, Palerme se développe énormément à cette époque, et nombre de magnifiques mosquées et palais sont construits. Cet enrichissement est à l'origine d'une civilisation et d'une société pour le moins originale, qui inaugure celle qui prospéra dans la péninsule Ibérique entre les Xe et XIIIe siècles, autrement dit celle des Andalous.
Au début du XIe siècle, les querelles entre potentats musulmans favorisent le retour des Byzantins, et surtout l'arrivée dans l'île d'ambitieux féodaux venus de Normandie par l'Italie du Sud.
En proie à une forte agitation politique que ponctuent de nombreuses guerres, la Sicile voit arriver au milieu du XIe siècle ceux qui se sont déjà taillé de larges fiefs en Italie méridionale (en Calabre et dans les Pouilles). Héritiers de Tancrède de Hauteville, Robert Guiscard et son frère Roger se lancent à la conquête de la Sicile. En 1061, ils s'emparent de la ville de Messine. En 1072, Roger conquit Palerme et est fait comte par son frère et suzerain. En 1085, c'est au tour de Syracuse de tomber aux mains du Normand. Enfin, en 1091, toute l'île finit par se soumettre. Il aura fallu 30 ans exactement aux Guiscard pour conquérir l'antique Trinacria.
La Sicile devient ainsi indépendante pour la première fois depuis la période grecque. Malgré le lourd handicap d'une société partagée entre populations grecque, latine et arabe, le comté de Sicile puis le royaume de Sicile va connaître un grand développement et une prospérité sans pareil. Vassale tout d'abord du duché de Calabre que détient Robert Ier Guiscard, la Sicile va s'émanciper en plusieurs étapes de la tutelle féodale du continent.
A la mort de Roger Ier, en 1101, son fils Roger II lui succède à la tête du comté. En 1127, ce dernier ravit le titre de duc aux héritiers continentaux de Robert Guiscard et, en 1130, il obtient la Couronne royale de l'antipape Anaclet II. Il domine alors, de par son titre et depuis Palerme, tous les Etats normands d'Italie du Sud. Il va s'attacher à limiter sur le continent le pouvoir des barons normands qui souhaitent imposer le droit féodal. Avec lui, la Sicile devient une terre de tolérance et de convivialité, conservant les acquis des occupants antérieurs et respectant les différentes confessions religieuses. Il s'entoure d'une large aristocratie dont les membres sont recrutés dans toutes les couches de la population, qu'elle soit arabe, latine, grecque ou normande. Il fait venir des marchands de tous les horizons et contrôle le trafic en Méditerranée. Tout cela permet l'émergence d'un courant artistique somptueux et original : le style byzantino-arabo-normand. Durant un siècle, grâce aux rois normands, l'île se couvre de merveilleux édifices, comme les cathédrales de Cefalù ou de Monreale. A la mort de ce roi talentueux qu'était Roger II, en 1154, monte sur le trône de Sicile son propre fils Guillaume II (1154-1166). Son règne va être marqué par des troubles et des heurts sanglants, signe du malaise dont est la proie la société sicilienne. En 1160 en particulier, à la suite de l'assassinat du chancelier ou émir Maion de Bari, l'île est le théâtre d'un véritable génocide visant les musulmans. Son fils Guillaume III lui succède en 1166, mais, en 1189, sa mort, sans qu'il ait eu le temps d'avoir un héritier mâle, plonge la Sicile dans une longue et sanglante guerre de succession. Elle oppose le parti du futur Frédéric II Hohenstaufen, petit-fils par sa mère de Roger II de Sicile et fils de l'empereur germanique Henri VI, et le parti normand, composé des grands féodaux des possessions normandes d'Italie du Sud.
En 1197, après près de huit ans d'une guerre fratricide, Frédéric II gagne la Sicile, qui perd du même coup son indépendance, ce dernier étant également maître de l'empire germanique. Cette victoire marque la fin de la Sicile normande. La Sicile demeure cependant l'Etat le plus moderne d'Occident, Frédéric II poursuivant l'oeuvre de Roger II. Il dirige l'Empire depuis Palerme, mais doit très vite déménager sa capitale sur le continent. Son long règne (de 1197 à 1250) va surtout être marqué par l'opposition grandissante de la papauté à son encontre, une papauté avec laquelle il entre ouvertement en conflit.
Plusieurs fois excommunié et même déposé par le Saint-Siège, il meurt en 1250, traqué sur ses propres terres. Appelé au secours du pape, Charles d'Anjou défait tout d'abord Manfred (1266), puis Conradin en 1268. L'Italie du Sud et la Sicile sont aux mains de la dynastie angevine.
Dès 1266, le pape Clément IV a couronné Charles d'Anjou, frère de Saint Louis, pour succéder à Frédéric II. La Sicile, quant à elle, sort exsangue de ce conflit dynastique, la pression fiscale ayant atteint des sommets sous les derniers Hohenstaufen afin de financer la guerre. A cela s'ajoute le retour des pratiques féodales que rétablit Charles d'Anjou, qui devient très vite impopulaire.
C'est dans ce contexte que le 30 mars 1282, à l'heure de l'office du soir, une violente révolte éclate contre lui et l'ensemble des Français résidant à Palerme. Il s'agit de l'épisode qu'on appellera plus tard " les Vêpres siciliennes ". Commencée par une simple bousculade, cette insurrection se termine par le massacre de près de 2 000 Français. Partout la révolte gagne du terrain, et, bientôt, c'est toute la Sicile qui entre en insurrection.
Le 30 août de la même année, Pierre III, fils du roi d'Aragon et gendre de Manfred, est proclamé roi de Sicile. Mais c'est un roi sans royaume. Il va alors s'attacher à conquérir son bien, aidé dans cette tâche par les partisans des anciens Hohenstaufen encore présents dans l'île. Charles d'Anjou ne conserve que l'Italie du Sud. Le royaume communément appelé royaume de Sicile est de fait séparé en deux entités politiques et dynastiques.
Pendant la période qui va suivre, des dissensions se font jour au sein de la maison royale d'Aragon, mais aussi vis-à-vis de Naples (dynastie angevine). Acquise à la couronne d'Aragon, la Sicile s'en détache en 1296. A l'époque, elle a pour roi Frédéric III, qui doit affronter une coalition européenne emmenée par la papauté et ses fidèles alliés angevins. Vainqueur en 1302, Frédéric III garde la Sicile et est sacré roi de Trinacrie, pendant que les possessions angevines en Italie méridionale gardent le nom de royaume de Sicile. Redevenue indépendante, la Sicile va le rester plus d'un siècle, jusqu'à son retour dans la couronne d'Aragon. Pendant cette période, la Sicile, ou plutôt la Trinacrie, va voir son lustre diminuer. Fatiguée économiquement par cet état de guerre incessant qui l'oppose à l'Italie angevine, en proie comme le reste de l'Europe aux effets de la grande peste de 1348, elle est en plus ravagée par une situation de chaos politique qui finit par l'épuiser totalement.
En 1410 donc, la Sicile entre pour la seconde fois dans la couronne d'Aragon, tout comme l'Italie du Sud à partir de 1442. Avec l'unification des royaumes d'Aragon et de Castille qui forment alors le royaume d'Espagne, elle devient possession espagnole jusqu'en 1713.
Ce changement n'apporte aucune amélioration en Sicile. Le mouvement de décadence amorcé au XIVe siècle se poursuit. Organisée en colonie avec, à sa tête, un vice-roi comme pour les colonies d'outre-Atlantique, l'île voit sévir un régime féodal des plus féroces à l'origine du dénuement des populations rurales et urbaines. Quelques révoltes paysannes éclatent dans la première moitié du XVIe siècle, mais elles sont sans résultat. Soumises à de très lourds impôts et à de nombreuses vexations (Inquisition à partir de 1487 et expulsion des Juifs), la population sicilienne ne peut même pas chercher un allégement de son fardeau auprès de l'Eglise, en charge d'immenses domaines latifundiaires et d'importants privilèges. Elle aussi participe à l'écrasement et à la paupérisation de la paysannerie en particulier.
En 1516, la Sicile devient une partie de l'empire des Habsbourg avec Charles Quint et revient, en 1556, à l'Espagne, à l'occasion du partage de cet empire.
Au milieu du XVIIe siècle se produisent en Italie du Sud et en Sicile des soulèvements sans conséquence. En 1647, c'est une insurrection causée par la vie chère et la famine qui fait trembler Palerme. Elle est réprimée dans le sang. Un peu moins de trente ans plus tard, en 1674, c'est au tour de Messine de se soulever. Derrière l'éternelle dénonciation de taxes et des impôts trop lourds imposés par les rois d'Espagne à la population, se cache un complot politique. Son but secret ? Rendre son autonomie à la Sicile.
Pendant 4 ans, Messine va résister aux troupes espagnoles, aidée un temps par Louis XIV. Finalement, en 1678, abandonnée par ses alliés français, Messine doit se rendre à la très catholique Espagne. Une terrible répression s'abat alors sur la ville, dont elle ne va pas se relever. Mais une chose est sûre à l'époque, c'est que la domination espagnole a vécu.
La Sicile va dès lors chercher à bouter l'occupant espagnol hors de son sol. A partir du début du XVIIIe siècle, le sort de la Sicile est alors lié à l'interminable guerre de succession d'Espagne.
A l'issue de cette guerre qui oppose, entre 1701 et 1714, le royaume de France et celui d'Espagne, le Bourbon Philippe d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, monte sur le trône d'Espagne. Sitôt ceint de la couronne royale, il abandonne la Sicile à Victor Amédée II de Savoie, qui lui-même l'abandonne en 1718, au profit de la Sardaigne, à la dynastie des Habsbourg d'Autriche. Le royaume de Naples et la Sicile sont alors investis par les Autrichiens, qui s'y rendent très vite impopulaires. Des tractations entre l'Empire des Habsbourg et l'Espagne ainsi que l'autodétermination des Siciliens en 1735 en faveur de Charles d'Espagne amènent ce dernier à revêtir le titre de roi des Deux-Siciles.
Depuis la brève unification du royaume de Naples et de la Sicile par Charles d'Anjou dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, c'est la première fois que les deux entités se retrouvent réunies.
Une nouvelle direction prend la tête de la Sicile, associée à l'ancien royaume de Naples, mais rien ne change. La société sicilienne est véritablement sclérosée. La noblesse locale et celle des dominants contrôlent tout : le pouvoir, l'argent, les terres. Quant à la paysannerie, elle est miséreuse et accablée d'impôts. De même, l'infrastructure de l'île souffre d'un important retard et est même par endroits inexistante. Enfin, l'autorité royale n'est effective que dans certaines parties de l'île, l'intérieur étant la proie du brigandage. Plusieurs réformes, tentant de restaurer un semblant d'égalité, sont lancées, mais elles se heurtent à l'hostilité de la noblesse ainsi qu'à celle de l'Eglise.
C'est dans ce contexte qu'intervient la Révolution française. En 1799, les troupes françaises envahissent le royaume des Deux-Siciles et investissent sa capitale, Naples. La Sicile, où les idées de la Révolution ne reçoivent que peu d'échos, voit s'y réfugier le roi Ferdinand IV.
En 1801, un traité de paix décide du retour du roi Ferdinand dans sa capitale, mais en 1806, il doit une nouvelle fois prendre le chemin de la Sicile. De Palerme, aidé des Anglais, il parvient à soustraire l'île des troupes révolutionnaires de Joseph Bonaparte et de Joachim Murat successivement placés par Napoléon sur le trône du royaume des Deux-Siciles.
Si, sous l'action des Français, les sujets du roi des Deux-Siciles entrevoient en Italie du Sud une lueur d'espoir quant à l'amélioration de leurs conditions de vie (abolition des droits féodaux...), il en va également de même en Sicile, mais sous l'action des Anglais fortement représentés dans l'île. Présents afin de parer à toute attaque des troupes napoléoniennes venues du continent, les Anglais engagent la Sicile sur la voie des réformes, malgré l'hostilité de l'aristocratie. Ils abolissent eux aussi la féodalité et tentent de réformer l'économie et d'ouvrir la société aux idées libérales. Sauveurs du royaume des Deux-Siciles, ils quittent l'île en 1815 sans avoir eu la satisfaction de voir leurs efforts récompensés. La société sicilienne garde le même visage après le passage des Anglais, mais certaines idées ont fait leur chemin dans les esprits.
Ainsi, en 1815, le départ du roi de Palerme pour Naples est-il suivi en Sicile et également sur le continent par une forte agitation sociale, qui présage déjà des troubles qui vont embraser le royaume en 1848, le célèbre " Printemps des peuples ". Les avancées démocratiques annihilées, la réaction de courants révolutionnaires ne se fait pas attendre. En 1820, les Carbonari se soulèvent à Palerme et contrôlent la ville.
La répression est encore une fois terrible. De 1825 à 1859, quelques avancées politiques et sociales voient le jour en direction d'un assouplissement de l'absolutisme qui caractérise jusqu'à maintenant le régime de Naples, mais on est encore loin d'une démocratisation.
Les idées font pourtant leur chemin et sont relayées par Mazzini et ses compagnons qui travaillent au renversement par la force de la monarchie.
En 1844, deux d'entre eux sont exécutés par le pouvoir. On a coutume de dire que cet épisode tragique a scellé la chute du royaume des Deux-Siciles.
En 1848, la Sicile n'échappe pas au soulèvement qui embrase l'Europe entière. Les revendications des insurgés ne sont pas encore centrées sur l'idée de l'unité italienne, mais sur des problèmes propres à l'île, comme les réformes agraires. Le pouvoir calme la situation en accordant aux révoltés une nouvelle Constitution, que le roi annule moins d'un an après les faits. A partir de cette époque, la Sicile est en perpétuelle rébellion. Seules les villes les plus importantes (villes de garnisons) restent aux mains des représentants de la monarchie. C'est donc dans des conditions plutôt favorables que Garibaldi, à l'initiative de Cavour, Premier ministre du roi du Piémont Vittorio Emanuele, débarque sur le littoral sicilien dans la ville de Marsala, le 11 mai 1860. Il est accompagné de quelque mille combattants. Ce nombre donnera son nom à cette expédition légendaire. En moins de 3 mois, il conquiert l'ensemble de l'île, volant de ville en ville pour finir par traverser le détroit de Messine et poser le pied sur le continent. Là, il s'empare aussi aisément du sud de la péninsule et entre victorieux dans Naples en octobre 1860. Rejoint par le roi du Piémont, il lui remet les clefs du royaume des Deux-Siciles. La même année, la Sicile prend la décision par référendum de se rattacher définitivement à l'Italie.
L'unité réalisée, des mouvements autonomistes vont pourtant faire très vite leur apparition, en raison principalement du manque d'intérêt du pouvoir central et de l'Italie en général pour les affaires de l'île. Dès la fin du XIXe siècle cependant, l'idée d'unité nationale semble avoir pris forme dans les esprits. C'est ainsi que naissent chez certains Siciliens des vocations politiques, comme pour Crispi, qui gouverna un temps l'Italie. Des volontés indépendantistes resurgiront au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elles sont illustrées, par exemple, par Salvatore Giuliano, qui réclame un temps l'annexion pure et simple de l'île par les Etats-Unis.
Le pouvoir central italien rencontre donc des problèmes liés aux velléités autonomistes de la Sicile, mais également avec le brigandage. Durant cette même période (XIXe et XXe siècles), il continue de sévir en Sicile, particulièrement dans le centre de l'île. En 1943, les alliés prennent la Sicile, qui en sort meurtrie par de lourdes destructions. Palerme tombe le 22 juillet. Ces événements aboutiront à la destitution de Mussolini, le 25 juillet. La Sicile obtient en 1946 une large autonomie.
La Sicile, c'est aussi, hélas, la lutte contre la mafia, sur fond d'attentats et de règlements de comptes qui ne contrarient pas vraiment le tourisme. C'est en 1973 que commencent les premières tentatives d'actions du Parlement contre " la pieuvre ". Mais les " cadavres exquis " ne font que se multiplier. Quatre ans après l'assassinat du préfet antimafia Dalla Chiesa, a lieu le premier procès énorme, en 1986. Mais le " parrain des parrains ", Salvatore Riina dit " Totò ", se pavane toujours sans vergogne dans sa villa bien connue de Palerme, jusqu'à ce que les Siciliens se mettent à défiler en masse après les massacres des juges Falcone et Borsellino (1992) chargés d'enquêter sur l'organisation. Les autorités commencent à se réveiller mais n'arrêtent Riina qu'en 2003.
L'arrivée au pouvoir du Cavaliere, connu pour ses mauvaises fréquentations et sa méfiance personnelle des juges, ne sert certainement pas la bonne cause. Berlusconi a ordonné en 2002 une commission d'enquête sur les juges eux-mêmes, alors que les révélations sur son " entourage " en décembre de la même année sont mystérieusement étouffées. En mai 2003, les Italiens se rendent aux urnes pour renouveler l'exécutif de leurs provinces. Contre toute attente, c'est la douche froide pour Silvio Berlusconi qui perd la province de Rome, fief de la droite. La Sicile, autre bastion traditionnel, rompt également avec ses habitudes. Si la droite reste majoritaire en conservant les provinces de Palerme, Agrigente, Messine et Catane, et en gagnant celle de Syracuse, la gauche garde celle d'Enna et surtout gagne du terrain en terme de suffrages. La Sicile n'est plus l'eldorado de la droite.
Cependant, en mai 2005, les élections municipales qui ont lieu à Catane voient le maintien à droite de la ville, avec la victoire de la Forza Italia menée par Umberto Scapagnini, ami personnel de Berlusconi. Une victoire électorale qui met un frein à la montée de la gauche dans l'île.
Les élections régionales qui se sont déroulées le 28 mai 2006 ont fait couler beaucoup d'encre. Salvatore Cuffaro dit " Totò ", président de centre droit de la région Sicile depuis 2001 et candidat à sa propre succession, s'est battu dans un duel symbolique qui l'opposait à Rita Borsellino, candidate de centre gauche. Cette candidate n'est autre que la soeur du juge Paolo Borsellino, assassiné en 1992. Rita Borsellino base sa politique sur la lutte contre la criminalité organisée. Cette élection pourtant importante n'a pas suscité l'intérêt des Siciliens. A la fermeture des scrutins, ils étaient 59,17 % à avoir voté, contre 63,45 % lors des régionales de 2001. Finalement, le tout-puissant Salvatore Cuffaro, suspecté de liens avec la mafia, conserve la présidence de la région avec un score de 51,7 % des votes contre 44,2 % pour son adversaire Rita Borsellino.
C'est finalement la coalition l'Union, menée par Romani Prodi, qui remporte le scrutin, au terme d'une campagne très virulente. Il obtient la majorité des sièges dans les deux chambres (après de nombreux comptages) et a pu mettre en place sa politique. Même si son gouvernement a connu une crise en 2007 suite à un désaveu de sa politique extérieure, le gouvernement Prodi est un gouvernement qui réussit malgré tout à garder la confiance du Parlement. Il met alors en place une politique " sécuritaire " pour lutter contre la délinquance et l'immigration clandestine avec la création du " paquet sécuritaire " qui fait beaucoup parler de lui. Suite aux dernières élections qui se sont tenues en juin 2008, la Sicile n'a pas connu un grand bouleversement puisque c'est le centre droit qui a continué de gouverner, comme dans le reste de l'Italie. Ainsi, le gouverneur sicilien est Raffaele Lombardo jusqu'en 2013, à la tête du parti MPA (mouvement pour l'autonomie), qui - soit disant - prône le développement économique du Sud. Le gouverneur est actuellement accusé de collusion mafieuse.
Cent pas, c'est la distance qui sépare la maison du jeune Peppino Impastato et celle du parrain local de la mafia. Une proximité géographique que ne supporte plus ce jeune Sicilien dont le père, comme tous les hommes du village, ferme les yeux sur les agissements de " la pieuvre ". Alors, dans les années 1970, à l'occasion du débat sur l'implantation du nouvel aéroport de Palerme sur sa commune Cinisi, Peppino va crier haut et fort que les politiciens, tout comme ceux qui sont censés faire respecter l'ordre, sont totalement corrompus par la mafia. La tension est palpable dans le village au fur et à mesure que des notables locaux sont publiquement dénoncés pour leur implication dans le milieu. Conscient de mettre sa vie en péril, ce jeune idéaliste continue de mener sa lutte ouverte contre la pègre. Mais, en Sicile, la loi du silence doit être appliquée par tous. Ce film, réalisé par l'auteur de Nos meilleures années, est tiré d'une histoire vraie.
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