Une candidature inattendue
Mais pourquoi Bourges ? Loin des grandes métropoles, cette ville moyenne incarne une alternative aux modèles urbains dominants. Avec un projet axé sur la sobriété, l'inclusion et l'écologie, Bourges 2028 ambitionne de devenir un laboratoire culturel pour les territoires de taille humaine, où vivent 85 % des Européens. Bourges n'était pas favorite au départ. Avec ses 63 000 habitants, elle se distingue des précédentes capitales françaises, toutes des villes d'envergure ou des pôles métropolitains. Pourtant, c'est précisément cette modestie qui a séduit le jury européen, composé de douze experts, dont deux Français. Face à neuf candidatures initiales (Amiens, Bastia, Bourges, Clermont-Ferrand, Montpellier, Nice, Reims, Rouen, Saint-Denis), Bourges a su se démarquer lors des auditions de mars et décembre 2023 grâce à une vision singulière. Le projet "Territoire d'avenir" repose sur une idée forte : la culture comme levier de développement pour les villes moyennes et rurales. Dans un contexte où les grandes métropoles concentrent souvent les attentions, Bourges a proposé une candidature "à taille humaine", valorisant la proximité et la sobriété. Comme l'a souligné la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, choisir Bourges, c'est "accompagner le pari d'une ville qui mise sur la culture pour son développement humain, social et économique". Cette ambition s'inscrit dans une dynamique plus large : redonner une voix aux territoires souvent perçus comme oubliés, situés dans ce qu'on appelle parfois la "diagonale du vide". La ville s'appuie sur un riche héritage culturel : la cathédrale Saint-Étienne, le centre médiéval lié à Jacques Cœur, la première Maison de la Culture inaugurée en 1963 par André Malraux, ou encore le festival Le Printemps de Bourges. Mais Bourges 2028 ne se contente pas de son passé : elle veut projeter cet héritage dans une modernité durable et inclusive.
Les quatre axes thématiques
Les projets phares
Bourges 2028 s'appuie sur 52 projets artistiques majeurs, marqués par leur originalité et leur ambition. Parmi eux, la Cité européenne des artistes et des auteurs (CE2A) prendra vie dans l'Hôtel-Dieu, dédié à l'accompagnement des créateurs (formation, santé, droits) et destiné à devenir un espace pérenne de création et de diffusion paneuropéenne après 2028. Dans le même élan, la gare de Bourges se métamorphosera en « totem végétal » grâce au talent d'artistes comme Eva Jospin, fusionnant culture et nature dans une œuvre immersive. L'innovation se prolonge avec des trains de nuit culturels, reliant Bourges à des villes comme la Roumanie, la Norvège ou le Portugal, où expositions, concerts et performances feront du voyage une expérience artistique bas carbone. Le Printemps de Bourges, déjà emblématique, s'ouvrira à une dimension continentale en accueillant des talents européens, consolidant sa place de vitrine des musiques actuelles. Des expositions d'envergure enrichiront cette dynamique : les pleurants du duc Jean de Berry, prêtés par le Louvre, et des œuvres de Beaubourg croiseront art contemporain et patrimoine. Par ailleurs, la friche de l'Antre Peaux, ainsi que le site d'Axéréal, seront réhabilités pour abriter des collectifs artistiques et des entreprises culturelles. Ce dynamisme s'accompagne d'un appel à projets novateur, intitulé Contributions pour réinventer les imaginaires (CRI). Lancé en mars 2025, il bénéficie d'une enveloppe de 5 millions d'euros sur un budget artistique total de 30 millions. Cette initiative inédite invite les habitants et les associations locales à participer activement à la conception de la programmation officielle, une première dans l'histoire des Capitales européennes.
Une Vision collaborative
Cette désignation dépasse largement le cadre de la ville et repose sur un réseau collaboratif ambitieux : une Matrice rassemblant 15 villes de moins de 100 000 habitants. Ce réseau s'étend à la fois en France, avec Châteauroux, Issoudun, Vierzon, Blois, Avignon, Angoulême, Béthune, Nevers et Guingamp, et en Europe, avec Matera, Bodø, Tartu, Oulu et Bad Ischl.
L'objectif est de mutualiser les projets et de promouvoir un modèle culturel novateur, spécialement conçu pour les territoires non métropolitains. Cette initiative incarne ainsi une dynamique collective représentant les 150 millions d'Européens vivant dans des contextes similaires. Pour renforcer cette coopération, trois colloques européens ont déjà été organisés depuis 2023, contribuant à structurer et à dynamiser cette démarche inédite. Ce projet s'accompagne d'une organisation pragmatique et sobre, portée par un budget global de 40 millions d'euros – bien en deçà des 100 millions de capitales comme Marseille –, financé par un partenariat entre l'État, les collectivités (Ville, Agglomération, Département du Cher, Région Centre-Val de Loire), l'Union européenne via le prix Melina Mercouri doté de 1,5 million, et des mécènes privés à travers un fonds de dotation, le tout orchestré par une équipe d'une quinzaine de membres installée depuis juin 2024 au 36 rue Moyenne, soutenue par une soixantaine de bénévoles, sous la direction de Frédéric Hocquard, délégué général, qui prépare une accélération des efforts jusqu'en 2028.
Une révolution culturelle pour les territoires
Ce projet porte des ambitions concrètes pour transformer la ville et son territoire. Il vise à dynamiser le tourisme, en s'inspirant du succès de Marseille, qui avait accueilli 11 millions de visiteurs en 2013. Il cherche également à revitaliser une économie locale fragilisée par un chômage élevé et un déclin démographique, tout en offrant une nouvelle image à la capitale du Berry. Cependant, les défis à relever sont de taille. Il faudra orchestrer un événement d'envergure avec des infrastructures limitées, dans une ville dépourvue de TGV. L'accessibilité universelle devra être assurée, et l'élan impulsé devra se prolonger au-delà de 2028. La réussite de ce projet reposera sur la mobilisation des acteurs locaux et sur la capacité à concrétiser une vision ambitieuse, malgré les contraintes. Bien plus qu'un simple événement, ce projet incarne un pari sur l'avenir des villes moyennes, démontrant que créativité, durabilité et inclusion peuvent métamorphoser un territoire loin des métropoles, une révolution culturelle potentielle, comme l'affirme le maire Yann Galut : "Si Bourges devient Capitale européenne, ce sera une révolution", un chantier déjà en marche à trois ans de l'échéance, animé par une énergie collective qui pourrait redessiner le rôle des petites villes en Europe.