Trésor des origines
Si l’architecture originelle du Ghana est si riche, c’est parce qu’elle a su, depuis des siècles, s’adapter aux différents climats de chacune de ses régions et composer avec les matériaux locaux à disposition. Dans les régions côtières, les matériaux privilégiés sont la noix de coco, la boue, le bambou, les feuillages et petits branchages. Les maisons s’y composent d’une ossature en poteaux de bois sur laquelle sont placés des murs en bambou ou en nattes finement tressées, le tout étant recouvert d’un toit de chaume. Lorsque les habitations sont construites au plus près de l’eau, ces dernières reposent sur des structures sur pilotis. Dans les régions forestières humides, les matériaux utilisés sont sensiblement les mêmes que dans les zones côtières, mais s’y rajoute la latérite (roche rouge typique des régions tropicales) que l’on utilise sous forme humide et que l’on vient appliquer à la main sur l’ossature en bois, selon la technique des murs en clayonnage et torchis. Boue et argile peuvent également remplacer la latérite. Les toits des habitations sont en chaume de palme et se caractérisent par des pans très inclinés et des pignons aigus. Dans les zones de savane sèche, les matériaux sont limités et les habitations se composent essentiellement de boue et d’herbe. C’est d’ailleurs dans ces régions que se sont développées des constructions en terre comprimée, appelée atakpamé, du nom des bâtisseurs itinérants d’Atakpamé au Togo. Cette technique permet l’édification de murs compacts et solides ne nécessitant pas d’éléments structurels en bois. Si matériaux et techniques diffèrent, une même conception de l’habitat subsiste : celle de la maison-enclos ou maison à cour intérieure. Cette manière d’habiter est partagée par l’ensemble des peuples du Ghana mais sa structure s’adapte au climat : dans les zones chaudes et humides, la maison-enclos est largement ouverte pour favoriser la circulation de l’air, tandis que dans les zones au climat plus rigoureux, la maison-enclos se fait plus compacte et fermée. Mais partout, le nombre de cours intérieures est le symbole de la richesse du propriétaire ! Les Tallensi sont célèbres pour leur étonnant urbanisme, créant sens et harmonie dans des paysages chaotiques et escarpés. Leur enceinte type, comme à Tongo Hills, se compose d’un réseau de sentiers circulaires desservant les espaces phares du village : les kraals (enclos à bestiaux), les greniers, et bien sûr les habitations, dont la structure de plan circulaire et à toit plat rappelle un seau. Les espaces sont interconnectés mais pensés pour respecter l’intimité de chacun. L’enceinte elle-même est précédée d’un espace ombragé qui abrite les sanctuaires et temples ancestraux. Les maisons-enclos des Dagombas, elles, se composent de plusieurs enceintes, abritant des huttes circulaires à toits coniques reliées entre elles par des murs incurvés, créant un ensemble organique et harmonieux. L’enceinte centrale est réservée au chef, dont la hutte est ornée de larges bandes de fragments de poterie incrustés dans un mortier de boue et placées autour des portes. Le Palais Ya-Na, à Yendi possède 7 enceintes ! L’enclos d’Antigaane, lui, représente la tradition Nankani. Il se compose de plusieurs enceintes abritant des édifices de plan rectangulaire ou circulaire, à toits plats ou en pente. Organisées autour d’une vaste cour centrale, les enceintes secondaires se composent elles-mêmes d’une ou plusieurs cours intérieures privées. Cet aspect compact et ramassé souligne la finalité défensive première de ces enclos. Les maisons-forteresses du peuple Wala suivent également cette tendance, comme le montre le Palais Wa Naa. L’habitat à Seripe, dans le Nord, est aussi un habitat « fortifié » pensé pour assurer protection et intimité. L’enclos des Lobi, presque entièrement couvert, y abrite des espaces d’habitation bas et sombres. A Sirigui, vous ne pourrez qu’être émerveillé par la richesse décorative des maisons. Ce travail du décor est entièrement réalisé par les femmes qui utilisent le plus souvent des roches colorées réduites en poudre. Les habitations de boue de plan circulaire et à toits coniques se voient ainsi ornées de figures géométriques, abstraites ou stylisés, mais aussi de figures animales ou florales, à la forte symbolique. Le serpent assure par exemple la protection, tandis que les lignes ondulées sont synonymes de succès ! Une richesse décorative que l’on retrouve dans les maisons et temples en bois, bambou ou pisé du grand peuple Ashanti. Leurs édifices sont ornés de bas-reliefs façonnés avec de l’argile latéritique rouge pour les parties basses et de l’argile kaolinitique blanche pour leurs parties hautes. Les formes les plus courantes de ces bas-reliefs sont des figures géométriques entrelacées (spirales, arabesques), mais aussi des représentations d’animaux ou végétaux, associés à des symboles adinkra (symboles créés par le peuple Akan – groupe ethnique auquel appartiennent les Ashantis –, représentant des messages de sagesse et réalisés le plus souvent à l’aide de tampons taillés dans des matériaux naturels). Richesse, couleur, finesse et diversité caractérisent cet art du décor ashanti que vous pourrez découvrir dans les temples et sanctuaires de Patakro, Asenemaso ou bien encore Ejisu Besease, qui, avec une dizaine d’autres, sont désormais classés au Patrimoine Mondial de l’Unesco !
Influences étrangères
Les marchands itinérants Dioulas ayant fui Djenné au Mali ont contribué à la création des premiers comptoirs fortifiés du Ghana, et ont permis la diffusion de nouveaux procédés de construction, utilisés notamment dans la réalisation de mosquées. On parle d’ailleurs de style Djenne, lui-même influencé par la tradition des mosquées soudanaises. La Dondoli Mosque de Wa est l’une des plus belles du pays. Sa silhouette se caractérise par des contreforts massifs aux avancées puissantes et très rapprochées, mais qui s’affinent en hauteur pour projeter au-dessus de la balustrade du toit leurs pinacles surmontés d’un dôme. Vous remarquerez également que ces contreforts sont hérissés de bouts de bois en saillie. Ces derniers servaient tout à la fois à ancrer les contreforts dans le mur principal et d’échafaudage pour assurer les travaux d’entretien ! Le mihrab (niche à prière orientée vers la Mecque) est logé dans une tour de forme conique (dans certaines mosquées, ces tours peuvent être pyramidales). Souvent, les mosquées soudanaises possèdent également une seconde tour. L’intérieur est divisé en plusieurs travées séparées par de hauts piliers de terre supportant le toit-terrasse. La Larabanga Mosque, la plus ancienne du pays (1421), reprend toutes ces caractéristiques et y ajoute un travail du décor supplémentaire avec ses lignes et motifs en losange noirs sur de grands aplats blancs.
Puis ce fut au tour des colons européens d’apposer leur marque sur le pays. Cette présence coloniale prit d’abord la forme d’une architecture défensive comme en témoigne la série de forts et châteaux, portugais pour la plupart, de l’ancienne Côte-de-l’or. La plupart des forts suivaient un plan rectangulaire ou carré. L’extérieur comprenait des structures bastionnées, des batteries et des tours d’angle, tandis qu’à l’intérieur s’élevaient des édifices de 2 ou 3 étages organisés autour d’une cour. Murs épais percés d’arcades et puissants donjons aux sommets crénelés donnaient à ces forteresses de pierre et de mortier des allures d’authentiques châteaux médiévaux. Parmi les plus célèbres, notons : le Château Saint-Georges à Elmina, le Fort Komenda, l’Osu Castle à Accra (anciennement Château Christianborg fondé par les Danois) et Fort Amsterdam à Kormantse, dont la triste particularité architecturale (multiplication des ouvertures pour permettre la ventilation) traduit son évolution de simple fort protégeant l’or à centre de la traite négrière où étaient parqués les esclaves… En parallèle, les colons ont également implanté un certain nombre de missions, à l’image de la Mission Bâloise de Kumasi, non loin d’Accra. Au sein de ces missions, les colons ont assuré la formation de nombreux charpentiers, maçons et menuisiers et ont développé une structure phare de l’architecture coloniale : la maison, de pierre, de brique ou de torchis, ceinte sur ses 4 côtés d’une véranda. Au sein de la mission catholique de Navrongo, des prêtres français ont érigé, eux, la Navrongo Catholic Cathedral, entièrement en briques de boue. Ses 60 m de long, 14 m de large et sa tour-clocher de 13 m de haut traduisent toutes les potentialités de ce matériau naturel ! Sur la côte, les colons anglais développèrent, eux, une architecture coloniale hybride mêlant influences européennes et africaines. Alors que les intérieurs sont pensés pour favoriser aération et ventilation, les extérieurs se parent des atours du style Queen Anne, entre fantaisie ornementale et rigueur classique, ou d’un style très italianisant, jouant sur le mélange des matériaux (marbres, tuiles, pierre, brique). La ville d’Anomabu en regorge.
Indépendance et modernisme
Premier leader post-Indépendance, Kwame Nkrumah lance une campagne d’envergure pour transformer son pays. C’est à cette époque qu’est créée la Ghana National Construction Corporation (GNCC) dont les grands objectifs étaient de permettre la construction de logements décents pour les travailleurs, et d’améliorer les infrastructures du pays (barrages, voies ferrées…). Mais le pays ne disposant pas encore d’architectes formés localement, Kwame Nkrumah a choisi de faire appel à des architectes venant d’URSS, aux côtés de laquelle le Ghana s’était aligné. Mais à l’inverse du schéma colonial où les Européens imposaient leurs modèles, ici les architectes d’Europe de l’Est travaillaient pour la GNCC. Alors qu’ils étaient eux-mêmes en pleine période de reconstruction, les Polonais, notamment, ont pu partager leurs recherches en matière d’urbanisme, comme le montre le quartier Labadi à Accra, inspiré de la modélisation du quartier de Powiśle à Varsovie. Ils ont également partagé leurs conceptions de la modernité architecturale, qui faisaient la part belle au béton dont la monotonie était rompue par des alternances de surfaces lisses et rugueuses, et aux structures de grandes portées. L’International Trade Fair d’Accra en est le parfait exemple. Mais comme le souhaitait le leader ghanéen, l’édifice fait également référence à la tradition locale, comme le montre le Pavillon Africa à la structure circulaire inspirée des parapluies (symbole de pouvoir) et du baobab. L’ensemble de cette époque a été marquée par un modernisme adapté au climat : le modernisme tropical, que l’on reconnaît à ses façades bris-de-soleil, ses vitres coulissantes mêlant verre et persiennes d’aluminium ou de béton, ses larges avancées de toit en saillie, et la blancheur de ses volumes sobres et géométriques. Le National Museum of Ghana ; la Children’s Library d’Accra ; et bien sûr l’Independence Place / Black Star Square (Place de l’Indépendance), et l’Independance Arch déployant toutes les potentialités esthétiques du béton comptent parmi les grandes réalisations de cette période.
Ghana contemporain
Dans les années 80-90, le pays se cherche encore, alternant entre monumentalisme du style international et rattachement aux traditions. Le National Theatre en est l’exemple parfait avec sa structure composée de blocs carrés qui pivotent et se courbent dans un ballet totalement déstructuré, tandis que les mosaïques murales abstraites se veulent les représentantes des rythmes des danses locales. Un mélange des genres que l’on retrouve dans la Jubilee House ou Palais Présidentiel. Sa silhouette monumentale de 40 m de haut est inspirée du Tabouret Royal Ashanti à l’assise recourbée. Des motifs Akans complètent la décoration de ce grand symbole du Ghana. Dans la skyline de la ville, d’autres édifices ressortent particulièrement, à l’image des Villaggio Towers aux façades parées de revêtements créant des dégradés de vert, jaune et rouge.
Aujourd’hui, et malgré les nombreux défis auxquels il doit faire face, le pays connaît une période de grande effervescence créatrice, en grande partie permise et portée par des femmes. Nana Akua Oppong Birmeh est à la tête d’Arch Xenius, seul cabinet d’architecture du pays à être dirigé par une femme ! Elle y développe notamment de nombreux bâtiments passifs (à faible consommation énergétique). Même si son travail se fait principalement au Royaume-Uni, Elsie Owusu participe activement au renouveau du pays via l’ONG Just Ghana qui promeut le développement durable. Elle a également réfléchi aux nouveaux designs de l’Hôtel de Ville de Kumasi (inspiré du porc-épic ashanti) et du Rapid Transit System d’Accra (inspiré des motifs textiles traditionnels). Dans le quartier en pleine régénération de Jamestown, à Accra, la figure phare est l’architecte Joe Addo, président d’ArchiAfrika dont le but est de replacer l’architecture africaine sur la carte du monde. Dans son café, il organise des rencontres avec les plus grands architectes, et fait tout pour lutter contre les promoteurs et leurs hôtels de luxe. Une lutte contre la bétonisation dans laquelle s’engagent de plus en plus d’architectes ghanéens. Son toit végétalisé, ses persiennes en bois et ses bâtiments organisés autour d’un arbre centenaire, font de la World Bank d’Accra le symbole de cette architecture verte. Même les réalisations internationales se mettent au diapason, tel l’étonnant Airport City de Mario Cuccinella, immeuble mixte de 9 étages, aux motifs de façade rappelant les écorces d’un palmier, et dont l’orientation a été pensée pour assurer ventilation et luminosité naturelles. La grande star de l’architecture internationale, le britannico-ghanéen David Adjaye, a dévoilé, lui, deux projets d’envergure. D’abord sa réponse à l’initiative gouvernementale visant à moderniser le parc hospitalier du pays. Durabilité, efficacité et générosité sont les maîtres mots de ce projet, dont les bâtiments seront dotés de systèmes écologiques et organisés autour d’espaces verts, tandis que leurs designs seront inspirés des motifs traditionnels. Ensuite, son projet de Cathédrale nationale du Ghana. Celle qui n’est aujourd’hui encore qu’à l’état de chantier, ne cesse de susciter la controverse, notamment pour son coût et sa symbolique. Pourtant, David Adjaye était soucieux d’en faire un espace interconfessionnel dont le design reflèterait l’art et la culture des différents groupes ethniques du pays, à l’image du toit et de la façade concaves d’inspiration akan, ou des aménagements paysagers pensés pour rappeler des motifs adinkra. L’avenir nous dira si la star internationale réussira à mener à bien ses projets… Dans tous les cas, le Ghana n’a pas fini de nous surprendre, et ce n’est pas Lesley Lokko, architecte et romancière ghanéenne, commissaire de la Biennale d’Architecture 2023 qui dira le contraire : au Ghana, comme partout en Afrique, elle veut casser les codes et imaginer « une architecture décarbonée et décolonisée » !