Une société rurale
Il n’est pas un voyageur du passé qui n’ait décrit longuement tout le charme de la plaine cambodgienne, le miroir de ses rizières où se reflètent les palmiers à sucre, ses petits villages paisibles enfouis dans les cocotiers ou les manguiers au feuillage sombre et que dominent les toits éclatants de ses pagodes sous le soleil. Cet aspect du Cambodge classique a fort heureusement largement survécu aux guerres ; il est identique du nord au sud, de l’est à l’ouest, sur toute l’étendue de la plaine de rizières inondées. Mais on ne saurait oublier les autres régions et d’autres villages très différents, fortement particularisés et plus pittoresques encore : villages des rives du Mékong, villages flottants des lacs, villages des régions montagneuses. Il existe toutefois une certaine unité dans l’établissement de l’homme, c’est-à-dire son habitation, son outillage, son mode de vie, ses coutumes. La société rurale est composée en très grande majorité de petits propriétaires qui exploitent eux-mêmes leurs terres de rizières ou de berges du fleuve et des rivières. La propriété agricole moyenne est de 1 à 4 hectares pour la rizière inondée et de 0,50 à 1 hectare pour les très riches terres des berges du Mékong et du Tonlé Sap. Par la force des choses, la population rurale n’a d’autre choix que de vivre sobrement, voire chichement dans nombre de cas. Son alimentation est essentiellement à base de riz, de poisson sec ou frais, de légumes, de sauce de poisson fermentée et d’un peu de viande. Ses productions agricoles jointes aux ressources de la pêche permettaient autrefois au paysan de vivre tranquillement, cependant la réalité est maintenant quelquefois différente… Le marché du village joue un rôle important dans la mesure où les Khmers peuvent y vendre leur excès de production et acquérir les biens de consommation courante qu’ils ne fabriquent pas : vêtements, épices, sel, tabac.. L'habitat est adapté à l’environnement. La maison cambodgienne, traditionnellement construite en bois, élevée sur des pilotis de deux à trois mètres de hauteur, couverte de tuiles ou de chaume, appartient au type dit austro-asiatique. Elle est parfaitement adaptée aux conditions naturelles : très bien aérée, elle est d’une grande salubrité et fraîche en toute saison. Construite sur pilotis, elle est (relativement) protégée de l’humidité en saison des pluies, et la famille est à l’abri des insectes, rongeurs et autres serpents. La recherche des matériaux de construction ne pose pas de difficulté particulière dans les régions boisées, mais elle est plus problématique dans celles qui ont une forte densité de population et peu de forêts ; les habitants remplacent alors le bois par le bambou tressé.
Un peuple tout sourire
C’est presque l’unanimité : à toutes les époques mais aussi par tout le monde, les Cambodgiens ont été considérés comme l’un des peuples les plus charmants de l’Asie (également sur le podium : les Laotiens et les Birmans). Un art de vivre fait d’une grande simplicité, de beaucoup de naturel, mais aussi de pas mal de nonchalance, a, dans le passé, séduit plus d’un visiteur. A l’époque du protectorat, les rapports de colonisés à colonisateurs n’ont jamais été les mêmes qu’au Viêt-Nam voisin. Si fréquentes en Cochinchine, les « corrections » administrées aux « indigènes irrespectueux » n’ont jamais eu cours au Royaume du Cambodge. De nos jours, le pays est bien sûr profondément marqué par l’effroyable tragédie dont il émerge à peine. Les Khmers en portent physiquement et mentalement les stigmates : traumatismes psychologiques indélébiles pour beaucoup, abaissement de la taille moyenne de la population, cruel manque d’éducation pour la jeune génération qui a grandi dans la « Rizière rouge », la liste est longue… Les Occidentaux qui ont vécu au Cambodge avant-guerre ainsi que les Cambodgiens qui ont fui leur pays avant la catastrophe ont souvent du mal à se faire à la nouvelle société qui en est issue.
Le dollar roi
Avec l’ouverture du pays et sa croissance économique à deux chiffres, le Cambodge fait face à un afflux de liquidités. Conséquence : non seulement le pouvoir d’achat a augmenté, mais les Cambodgiens ont surtout vu leur capacité à s’endetter s’envoler. Les banques n’hésitent pas à donner des crédits immobiliers, ou pour une voiture ou une moto. Le tout à des taux d’intérêts extrêmement élevés. Si le risque d’une crise spéculative est assez grand, les Cambodgiens ne s’en soucient pas et profitent pleinement de cette nouvelle société de consommation. L’attrait de la nouveauté, le goût pour le kitsch et la fierté du succès font que les Cambodgiens les plus riches exposent leur fortune. Ainsi, on n’hésite pas à exhiber ses grosses voitures climatisées aux vitres teintées dont les options indispensables sont l’énorme chien en peluche installé sur la plage arrière, la plaque minéralogique entourée de guirlandes électriques et la moumoute au volant. La généralisation des smartphones a également diffusé Internet dans presque tout le pays et les jeunes Cambodgiens ont ainsi accès aux normes de notre monde global. Et cette jeunesse a bien compris que pour avoir accès au rêve américain, il faut avoir les poches remplies de dollars.
Un peuple pudique
Contrairement aux clichés répandus par la comparaison avec la Thaïlande voisine et à ce que pourraient laisser penser les quartiers rouges de Phnom Penh, le Cambodge est un pays où la sexualité (surtout féminine) reste extrêmement taboue. Les couples ne se montrent jamais de signes d’affection en public et avoir une vie sexuelle avant le mariage reste très rare (surtout à la campagne). Si des mariages arrangés ont toujours lieu, les jeunes d’aujourd’hui restent relativement libres : les mariages d’amour sont fréquents, même si l’on s’arrange pour tomber amoureux d’un partenaire approuvé par la famille. Et même dans l’intimité d’un couple, une certaine timidité règne : on fait l’amour dans le noir, ou alors enroulé dans plusieurs couches de vêtements car au Cambodge, on se montre rarement nu, même à son partenaire. Et dans cette société de consommation ultra sexualisée, ce rapport à l’intime n’est pas sans susciter de nombreuses frustrations. Et quand on ajoute à cela une absence presque totale d’éducation sentimentale ou sexuelle, les résultats se révèlent parfois catastrophiques. La culture du viol est très présente au Cambodge : selon une étude de l’ONU de 2014, un Cambodgien sur cinq a déjà commis un viol et le harcèlement sexuel est souvent vécu au quotidien par les jeunes filles cambodgiennes.
Quand l’humeur est à la décontraction
L’immense majorité du peuple cambodgien est connu pour avoir gardé intactes toutes les qualités humaines qui avaient fait du Cambodge le pays du sourire éternel et de la douceur de vivre. Ce sont des éclats de rire par dizaines qui accueilleront le Barang que vous êtes lorsqu’il se cognera la tête aux montants trop bas des étalages du marché, c’est également avec une immense fierté que l’on vous recevra dans la demeure familiale pour vous gaver jusqu’à l’évanouissement des mets les plus riches que de pauvres revenus permettent d’acheter. S’il est un conseil à donner au voyageur se rendant au Cambodge, c’est bien celui d’être naturel, ouvert et curieux. Les Cambodgiens sentent très vite quelle est votre disposition d’esprit à leur égard, aimez-les et ils vous aimeront !