Champions de la déforestation

La forêt primaire, qui représentait encore 70 % du territoire dans les années 1970, n’en couvrait plus que 3,1 % en 2007. Il reste que le Cambodge est encore recouvert presque à moitié de forêts, mais l’immense majorité des forêts est modelée par l’Homme, bien loin des forêts vierges où s’épanouissait autrefois une biodiversité extrêmement riche. À l’importance du phénomène de déforestation, s’ajoute sa rapidité : la plupart des pertes ont eu lieu depuis 2000 ! Le Cambodge a même été le pays à la plus forte déforestation au monde en 2015.

L’une des raisons de cette hécatombe est d’ordre énergétique : alors que seul un quart des Cambodgiens a accès quotidiennement à l’électricité, le bois se révèle essentiel pour couvrir les besoins. Il représente ainsi encore 80 % du mix énergétique. L’autre coupable est l’agriculture : les arbres indigènes des forêts primaires se font remplacer par des rangées d’hévéas, de palmiers de Palmyre ou d’éléis de Guinée, qui permettent respectivement la production de caoutchouc, de sucre et de la fameuse huile de palme. À cela s’ajoute également l’abattage illégal de bois précieux, que les autorités, à cause de la corruption, tolèrent. Car malgré tout, un cadre légal est supposé protéger ces forêts, notamment avec une interdiction d’abattage inscrite dans la Constitution de 1993. Mais en pratique, le phénomène continue et les autorités ferment souvent les yeux.

Sonnette d’alarme pour les cours d’eau cambodgiens

Le Tonlé Sap, plus grand lac d’eau douce d’Asie du Sud-est, a la capacité étonnante de multiplier sa superficie par quatre lors des moussons, inondant les forêts alentour. Réserve de biodiversité d’une extrême richesse, reconnue comme réserve de biosphère par l’Unesco, il est pourtant aujourd’hui menacé. Les barrages hydroélectriques se multiplient sur les affluents du Mékong et du lac. Ces barrages font dangereusement baisser le niveau de l’eau, alors que le réchauffement climatique donne son coup de pouce. En plus de cela, les nombreux barrages bloquent les sédiments et les nutriments, ainsi que les migrations des poissons. Les pêcheurs remontent de plus en plus souvent des filets vides, alors que le Tonlé Sap est essentiel, puisqu’il représente 75 % de la pêche du Cambodge.

À cela s’ajoute la pollution, notamment aux métaux lourds, qui y est extrême. Elle amène une prolifération d’algues, qui menace la vie marine, alors même que près de 200 espèces de poissons habitent ses eaux, dont 11 sont considérées en danger.

Alors que le lac entame sa quatrième année de sécheresse en 2022, la situation devient si préoccupante que les experts tirent la sonnette d’alarme : l’écosystème du lac Tonlé pourrait bien disparaître. Un rapport de Human Rights Watch accuse même le gouvernement de crime écologique, alors que les plans de sauvetage manquent encore à l’appel.

Les militants mis sous silence

Le Cambodge, longtemps meurtri par la guerre, a vu en son environnement si prospère une source de reconstruction féconde pour son économie et a, depuis quelques décennies, entamé une forte exploitation de ses ressources naturelles. Mais alors que les mesures gouvernementales en faveur de l’environnement sont encore peu structurées et mises en pratique, les initiatives citoyennes se multiplient, et de nombreux militants dénoncent la tragédie qui se passe sous leurs yeux. La réponse du gouvernement est presque systématiquement la répression.

L’une des plus éminentes ONG environnementales du pays, Mother Nature Cambodia, qui proteste notamment contre l’extraction de sable, la déforestation et la construction de barrages, tout en accusant le gouvernement de dérives, en a fait les frais. À plusieurs reprises, ses membres ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison, notamment pour avoir organisé une marche de protestation au remblaiement du lac Boeng Tamok. L’association a même été officiellement dissoute par le ministère de l’Intérieur en 2017.

En 2021, un activiste du réseau communautaire de Prey Lang, une communauté de patrouilleurs veillant à la préservation du sanctuaire forestier de Prey Lang, a, lui aussi, été arrêté et condamné. Son crime : avoir pris en photo des camions remplis de coupes de bois sortant de la forêt de Prey Lang, supposée zone protégée. Cet événement a fait couler beaucoup d’encre parmi les ONG internationales, au point de participer à mener les États-Unis à arrêter un programme de préservation de Prey Lang.

La biodiversité : entre richesses et menaces

La biodiversité cambodgienne est d’une richesse exceptionnelle, grâce à une grande diversité de paysages. Le bassin du Mékong, notamment, est un vrai trésor écologique, et abrite des espèces terrestres et aquatiques rares, telles que le panga (Pangasianodoon hypophthalmus), un poisson que l’on ne trouve qu’ici à l’état sauvage. Pourtant, à l’image de nombreuses autres espèces cambodgiennes, sa population est en déclin. En plus de la destruction des habitats, d’autres facteurs tels que l’utilisation de pesticides en agriculture ont leur part de responsabilité. Certains fléaux de la guerre menacent aujourd’hui encore la faune et la flore, comme c’est le cas de l’agent orange, un puissant herbicide répandu par avion par les États-Unis pour avoir raison de l’épaisse jungle, dans laquelle se cachaient les Vietnamiens. Les eaux du Mékong se montrent encore aujourd’hui polluées par l’herbicide, parmi un cocktail d’engrais et insecticides qui se mêlent à ses eaux. Sur terre, les pressions s’accentuent aussi, alors qu’en mars 2021, le gouvernement a signé le sous-décret n° 30, retirant à 127 000 hectares de territoire, sanctuaires, réserves et parcs nationaux leur statut de protection, pour en faire des propriétés privées. Parmi les zones affectées, le Peam Krasop Wildlife Sanctuary a perdu un tiers de sa surface, alors qu’il était le berceau d’espèces rares, comme la Loutre à nez poilu (Lutra sumatrana), autrefois très répandue, et aujourd’hui rarissime, au point qu’on l’a longtemps cru éteinte.

Les parcs nationaux, essentiels au rétablissement écologique

Le Cambodge compte sept parcs nationaux, tous créés en 1993. Le plus grand, le parc national de Virachey, abrite parmi les dernières forêts vierges du pays. Bien que sa forêt dense, parmi les plus isolées du pays, soit encore largement inexplorée, on y a observé des espèces rares et menacées, comme l’ours noir d’Asie, le pangolin javanais ou le cobra royal.

Le parc national de Botum Sakor est le deuxième plus grand du pays, avec 1 712 km2, bien que 360 km2 aient été rasés en 2010 pour construire, ironiquement, des infrastructures pour l’écotourisme. Sa préservation est pourtant essentielle, puisque, s’étendant sur les chaînes des Cardamomes en un entremêlement de mangroves, plaines et forêts très fragiles, il accueille des espèces remarquables. Certaines sont extrêmement menacées comme le gibbon à bonnet, victime de braconnage, et qui fait l’objet d’un vaste programme de réintroduction, bien que la destruction de son habitat amaigrisse ses chances de survie.

Ce n’est pas pour rien que le parc national de Kirirom, lui aussi sur les chaînes des Cardamomes, se traduise par « montagne joyeuse » : de nombreuses espèces menacées y coulent des jours heureux, comme l’ours malais, plus petit de toutes les espèces d’ours. Il faut dire que son paysage, entre cascades, forêts de pins, plaines et rivières, est plutôt accueillant.

Constitué essentiellement de mangrove, le parc national de Ream, se visite principalement en barque, à bord de laquelle on peut observer une faune très riche, et notamment des dauphins d’eau douce. De nombreux oiseaux trouvent également refuge dans cet environnement, notamment des pélicans, parmi 150 autres espèces.