Une figure nationale
Figure nationale, Tamerlan est partout en Ouzbékistan. Pas une ville qui n'ait sa statue, sa place ou sa rue Amur Timūr. Ce conquérant est un personnage historique encore très controversé et difficile à cerner tant la légende y tient une part importante. Les sources écrites sur les premières années de sa vie sont inexistantes, et Tamerlan est surtout connu pour sa succession de campagnes victorieuses menées vers l'Inde, la Chine ou la mer Égée, de 1370 à sa mort.
La destruction de centaines de villes, ou encore les têtes des ennemis tués assemblées en tours !, ont laissé des souvenirs et des traces dans une grande partie du monde oriental, occultant la paix qui régnait au cœur de son empire et le fantastique essor commercial illustré par Samarkand, sa capitale. Aujourd'hui, celui que certains historiens considèrent comme l'un des plus grands criminels de tous les temps, revient au premier plan de l'histoire, adulé comme un intrépide guerrier, un aventurier hors pair, sans peur et sans reproche, un homme qui a conquis le monde malgré son handicap, malgré son bras paralysé, en dépit de la maladie, et par son exceptionnelle longévité.
Conquérant, destructeur et… bâtisseur
Et, de fait, Tamerlan modifia considérablement le visage des contrées qu'il avait soumises. Il a préféré la vie citadine au nomadisme, il a consacré la religion musulmane, combattant sous la bannière du Prophète, tout en violant sans cesse la loi coranique et en la mélangeant avec des traditions issues du paganisme, du zoroastrisme et du chamanisme.
Sa victoire sur les Ottomans a permis de libérer l'Occident de la menace turque ; dès lors, Tamerlan fit tout pour encourager le commerce entre ces deux régions du monde. Dans les courriers qu'il envoya aux rois de France et d'Angleterre pour annoncer sa victoire sur les Ottomans, il garantit que les marchands qui viendraient à Samarkand seraient traités avec le plus grand respect. Entre deux conquêtes, Tamerlan retournait dans sa ville chérie, son joyau, sa capitale. Il savait que les nombreuses caravanes, venues de tous horizons, parcourant la Route de la soie et arrivant dans sa ville, raconteraient à leur retour la magnificence de la capitale du plus grand des conquérants.
Malgré le prestige de sa capitale, l'Empire ne survécut pas longtemps après sa mort. Il se divisa aussitôt en principautés rivales qui ont disparu moins d'un siècle plus tard, sous les coups des Ouzbeks fuyant leur territoire contrôlé par la Horde d'Or que Tamerlan lui-même avait ébranlée.
Une riche lignée de scientifiques…
La lignée de Tamerlan donna naissance à deux personnalités qui s'illustrèrent de façon bien différente : Ulug Beg, l'astronome, et Babur, le chevalier errant.
Ulug Beg (1394-1449), le petit-fils de Tamerlan, hérita de toute la zone de l'empire incluant l'Asie centrale, l'Afghanistan, et le Mogholistan (le Xinjiang actuel), mais il se montra un guerrier maladroit, ne remportant qu'une seule victoire notable contre les tribus ouzbèkes du Kazakhstan. Peu habile en manœuvre militaire, il était bien plus intéressé (et compétent!) par les sciences et les mathématiques ; il devint célèbre grâce au gigantesque sextant qu'il construisit à Samarkand, en mesure de déterminer la position précise de plus d'un millier d'étoiles. De même, ses traités d'astronomie firent référence chez les grands savants occidentaux pendant plus de deux siècles. Sur la fin de son règne, il entra en conflit avec son propre fils ; ce dernier l'assassina deux ans plus tard pour s'emparer du pouvoir, détruisant au passage l'observatoire de Samarkand et la magnifique bibliothèque d'ouvrages savants rassemblée par celui qui restera à jamais le « prince astronome ».
… et de bâtisseurs d’empire !
Zahereddin Muhammad Babur (1483-1530), le cinquième souverain de la lignée des Timourides, accéda au trône à la mort de son père, Omar Cheikh, en 1494, à l'âge de 11 ans. Sept ans plus tard, alors qu'il venait de reprendre Samarkand aux Chaybanides, ceux-ci le repoussèrent et le forcèrent à l'exil. Babur quitta l'Ouzbékistan pour conquérir un nouvel empire, en Afghanistan, depuis lequel il réussit à reprendre fugacement Samarkand, mais définitivement chassé par les Chaybanides, en 1512, il renonça à la Transoxiane et se tourna vers l'Inde. Il s'empara de Delhi en 1526, et fonda la dynastie des Moghols, qui régna en Inde pendant 332 ans. C'est à l'arrière-petit-fils de Babur, Shah Jahan, que l'on doit la construction du Taj Mahal, à Agra, entre 1632 et 1654.
Babur a laissé de nombreux écrits et poèmes, ainsi qu'un journal qu'il n'eut jamais le temps de finir. Il y raconte ses conquêtes, mais surtout ses regrets d'avoir dû quitter sa ville natale, Andijan. On dit même que l'empereur aurait chargé une expédition pour rapporter une cargaison de melons dont le goût lui était si précieux… Les écrits de Babur sont une source d'information irremplaçable relative à la vie de ses contemporains, dans la vallée du Ferghana en Transoxiane, et en Afghanistan.
Et si Tamerlan faisait encore trembler le monde ?
C'est l'anthropologue soviétique Guerasimov qui, souhaitant étudier le corps de l'empereur, obtint l'autorisation de l'exhumer, à la grande frayeur des autorités locales qui connaissaient l'inscription gravée sur le tombeau de l'empereur : « Lorsque je reviendrai à la lumière du jour, le monde tremblera. » Guerasimov ouvrit le tombeau de Tamerlan dans la nuit du 22 juin 1941, quelques heures avant le déclenchement de l'opération Barbarossa. À la fin de l'année suivante, le corps fut replacé dans son cercueil. Et quelques jours plus tard, fin janvier 1943, les Allemands capitulaient à Stalingrad… Les recherches entreprises par Guerasimov - qui étudia également les tombes d'Oulough Begh et des autres Timourides - lui permirent de confirmer l'atrophie du bras et de la jambe droite de celui qu'on appelle aussi Timour Leng – le Boiteux de fer – ainsi que la mort violente par décapitation dont fut victime Oulough Begh, confirmant ainsi son assassinat par son fils.