Céramiques typiques © bortnikau - iStockphoto.com.jpg
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Du choix et de la qualité

Ce sont bien les deux axes qui définissent l’artisanat ouzbek. Du choix dans les matériaux : acier, bois, soie, coton, terre cuite, papier… Les Ouzbeks travaillent toutes les richesses produites par le pays ou transitant dans le pays, et ont su conserver au fil des siècles des motifs, méthodes et techniques traditionnelles qui, la plupart du temps, se transmettent de père en fils au sein de lignées familiales ayant fait le choix de la culture et du savoir-faire, qu’il s’agisse de la tapisserie, de la coutellerie, de la broderie ou des enluminures et miniatures. Mais c’est un constat qui ne vaut pas pour l’ensemble du pays, et qui pendant des années n’a pas été forcément visible par le voyageur, qui se contentait d’acheter les produits finis dans les boutiques, sans soupçonner les trésors d’inventivité qu’il a fallu pour conserver et transmettre ce savoir-faire sous la période soviétique. Aujourd’hui, à Ferghana, à Gijduvan, à Boukhara, des artisans ont pignon sur rue, ouvrent des écoles, forment des apprentis et accueillent les touristes au cours de master class qui permettent à chacun de découvrir tous les trésors de la culture ouzbek.

Du côté des bijoux

Les femmes du khan pouvaient être répudiées à tout moment, et, comme les nomades, elles portaient donc leurs richesses sur elles : plusieurs robes et manteaux enfilés les uns sur les autres, mais aussi leurs bijoux, qui étaient censés les protéger. Les bracelets, boucles d’oreilles, diadèmes et pectoraux étaient en argent ciselé, doré à l’or fin et incrustés de pierres semi-précieuses comme la cornaline, la turquoise, le corail, ou encore de perles et de rubis. Les jeunes mariées étaient couvertes de bijoux, comme dans les contes ! Diadème couvrant la coiffe de soie, elle-même ornée de pendentifs, bracelets, larges boucles d’oreilles, anneaux pour le nez, collier, amulettes et pectoral. Une devinette célèbre en Asie centrale : « Quelle est la plus belle mariée ? Celle qui ne peut se déplacer seule, car elle est trop chargée de bijoux ». Aujourd’hui malheureusement l’orfèvrerie n’est pas la meilleure partie de l’artisanat ouzbek. On trouve quelques antiquités mais il faudra s’y connaître et avoir l’œil pour éviter de se faire vendre de la camelote.

Céramique

Sous les Timourides, l’art de la céramique atteignit son apogée. Lors de ses conquêtes, Tamerlan épargnait les meilleurs artisans et les ramenait à Samarkand, où ils venaient grossir les rangs des bâtisseurs. La nécropole de Shah-i-Zinda, à Samarkand, est la plus éclatante illustration des compétences et des innovations de ces artisans : tuiles émaillées polychromes, motifs peints sur ou sous la glaçure, mosaïques de fines pièces de céramique glaçurée taillées au ciseau, ou encore terracotta moulée, sculptée puis émaillée. Les secrets de fabrication et de glaçure étaient transmis de père en fils, chaque région possédant ses couleurs et ses motifs.

Soie ikatée

Dans les bazars d’Asie centrale, les soies ikatées sont progressivement remplacées par de pauvres imitations synthétiques importées de Chine. Au siècle dernier, les becassab et les khan-atlas de la vallée de Ferghana, de Samarkand et de Boukhara étaient parmi les marchandises les plus prisées des marchands russes. Après la révolution et l’arrivée des bolcheviks au pouvoir, les femmes « libérées » ainsi que les artisans étaient plus utiles dans les champs de coton que devant les métiers à tisser. Cet artisanat fut donc interdit, et les techniques ancestrales furent presque perdues. Il fallut attendre les années 1950 pour que les Soviétiques relancent la production des soieries de façon industrielle dans la vallée de Ferghana. Aujourd’hui, il existe de nouveau des fabriques artisanales (dont celle de Yodgorlik, à Marguilan, et du tim Abdullah khan à Boukhara) qui utilisent les techniques traditionnelles de fabrication et vendent leur production. Les étoffes sont tissées à la main, les fils de chaîne sont colorés suivant un motif floral stylisé obtenu par réserves de ligatures avant le tissage. Les motifs des khan-atlas sont inspirés de symboles ancestraux, à la fois géométriques et floraux, censés protéger du mauvais œil : tulipes, poivre, pavots, papillons, queues de paon ou encore scorpions.

Une légende raconte l’origine de ces tissus ikatés. Un jeune homme désirait ardemment épouser une jeune princesse. Mais le khan, père de la princesse, l’avait promise en mariage à celui qui serait capable de confectionner la plus belle des robes. Jour et nuit, le jeune homme tissait, les soieries qu’il proposait au khan étaient plus belles les unes que les autres, mais à chaque fois le khan les refusait. Alors, désespéré, il se rendit sur les bords d’un grand lac et voulut se noyer. Le sang qui coulait de ses doigts usés d’avoir tant tissé se mêla à l’eau du lac, au reflet des arbres et au bleu du ciel. Ces couleurs se mêlaient si harmonieusement qu’il décida de les reproduire sur son métier à tisser. Le khan, émerveillé par la beauté du tissu, lui donna sa fille en mariage.

Suzanis et Gulkurpas

Les femmes passaient des années entières à broder d’immenses panneaux de tissu. Elles travaillaient de longues bandes qu’elles assemblaient par la suite. Les points de broderie les plus courants étaient le bosma (point satin), le yurma (chaînette), l’iroki (point de croix) et le khamdouzi (point satin double). A l’origine, les suzani et les gulkurpa étaient destinés à recouvrir le lit des jeunes mariés, pièces indispensables à la dot qu’apportait la femme à son mariage. Par la suite, ils furent utilisés comme panneaux muraux. Les symboles représentés variaient suivant les régions, mais avaient toujours un rôle protecteur. Sur les couvre-lits des jeunes mariés, l’arbre de vie était souvent représenté accompagné d’un coq. L’arbre était le symbole de fertilité, et le coq, celui qui annonce le soleil, la fin des ténèbres, et repousse les esprits malins. Un autre symbole se retrouve fréquemment dans les oï-paliak : le cercle, symbole zoroastrien de l’univers, inscrit dans un rectangle. De même que pour les tissus ikatés, on retrouve dans les panneaux brodés tout un bestiaire stylisé d’animaux protecteurs contre le mauvais œil : serpents, scorpions, grenouilles… Le musée du palais Sitora-i-Mokhi-Khosa, près de Boukhara, possède une importante collection de suzani et de gulkurpa dont certains sont de véritables chefs-d’œuvre.

Les tapis

Généralement, les tapis portent le nom de leur lieu d’origine, mais souvent aussi de leur lieu de vente. C’est le cas des boukharas, qui se vendaient au bazar, mais provenaient en général des tribus turkmènes. Boukhara était en effet un des plus grands centres de vente de tapis d’Asie centrale. La confection des tapis était réservée aux femmes et aux jeunes filles. Les techniques se transmettaient de mère à fille. L’enfant apprenait à tisser dès l’âge de 8 ans, et on considérait qu’il fallait 25 années d’expérience pour devenir une tisserande accomplie.

La couleur rouge, symbole de la fertilité et de la prospérité, était la plus utilisée, non seulement pour sa valeur symbolique, mais aussi parce que la garance, colorant naturel, pousse en quantité en Asie centrale. Le décor était composé d’un champ central, en général à médaillons, et de bordures. Les tapis les plus anciens ne possédaient jamais plus de trois bordures mais, au XIXe siècle, les tapis pouvaient en avoir jusqu’à 12. La qualité des tapis baissa dès la fin du XIXe siècle, avec l’apparition des colorants à l’aniline et l’augmentation du serrage obtenu en tassant la trame et le velours, et non en utilisant des fils plus fins. Les tapis perdaient ainsi la richesse des coloris naturels et leur souplesse. Les nomades devenant sédentaires et agriculteurs, la production a diminué et les traditions familiales se sont perdues, et les motifs symboliques ont progressivement été remplacés par des motifs purement décoratifs.

Les miniatures

Dans l'art islamique, on réserve le terme de miniature aux illustrations figurées et celui d'enluminure aux décors abstraits, propres aux représentations religieuses. Les miniatures ne se sont développées que dans le cadre de travaux scientifiques, en particulier à partir du début du XIIIe siècle. En Ouzbékistan, l'ère timouride (1369-1507) voit se développer à Boukhara et à Samarkand une importante tradition littéraire. Tamerlan avait déporté dans sa capitale Samarkand les meilleurs artistes de Bagdad. Ses premiers descendants appréciaient et soutenaient la peinture et la calligraphie. Sous le règne d'Ulugh Beg (1409-1449), plusieurs manuscrits importants furent commandés, dont un traité astronomique d'Al-Soufi, le Livre des étoiles fixes (vers 1437), avec des représentations symboliques des constellations. Mais la bibliothèque fabuleuse du prince astronome fut détruite juste après sa mort et la grande majorité des ouvrages qui y étaient conservés brûlés. Il fallut attendre l'avènement en 1507 de la dynastie des Chaybanides pour assister au renouveau. Mécène, protecteur des arts et poète capable de composer en turc et en persan, Mohammad Shaybani recomposa à la cour de Samarkand une bibliothèque importante. Mais c'est à Boukhara, sa capitale, qu'il réunit les meilleurs artistes et calligraphes de son temps, tous originaires de Hérat, comme le calligraphe Mir Ali ou le peintre Sheikhzadeh, l'un des meilleurs élèves de Behzad, le grand maître de cette époque qui inspira un style de miniature persane. Aujourd'hui encore, la tradition des miniatures est très répandue en Ouzbékistan, et vous rencontrerez dans des villes comme Boukhara ou Samarkand de nombreux artisans talentueux.

Petits conseils avant de passer à la caisse

Avant d'entreprendre une séance shopping, ayez bien en tête que les Ouzbeks sont des commerçants depuis 5 000 ans, et qu'il faudra en tenir compte au cours de votre négociation… À Boukhara, d'une manière générale, l'achat de souvenirs ou d'artisanat demeure possible. Mais les arnaques sont également légion et on ne compte plus les boutiques revendant des « tapis de Boukhara» fabriqués en Iran dans le meilleur des cas, en Chine ou en Inde dans le pire, les bijoux de pacotille, les faux souvenirs de l'époque soviétique, les produits synthétiques allergènes vendus pour des produits naturels…

Allez-y tranquillement, ne vous laissez pas pousser à l'achat, prenez le temps de comparer, d'entrer dans différentes boutiques et de vérifier autant que possible la qualité et la provenance des produits. La meilleure manière d'encourager les artisans locaux est certainement de ne pas cautionner les pâles imitations, voire les arnaques, tout en vous faisant plaisir. Si vous n’avez pas les moyens de vous offrir des tapis ou miniatures dont le prix peut parfois monter jusqu’à des centaines, voire des milliers d’euros, sachez que bien souvent les artisans ont des apprentis qui vendent également leur production pour des tarifs bien plus attractifs, n’ayant pas encore atteint la perfection du maître.