Découvrez l'Espagne : Architecture (et design)

Avec ses dizaines de sites classés au Patrimoine mondial de l’Unesco, l’Espagne est un authentique musée à ciel ouvert dont une vie entière ne suffirait pas à découvrir toutes les merveilles ! On la croit baignée d’une douce torpeur, mais en matière architecturale, l’Espagne vibre depuis des millénaires au rythme d’une étonnante vitalité créatrice. Sa grande force est d’avoir toujours su tirer parti d’influences étrangères (maure, française, italienne…), tout en les adaptant à sa propre identité, surtout en matière de topographie et de climat. Des trésors préhistoriques et antiques aux splendeurs inégalées de l’Islam ; des arts défensifs et décoratifs de la Reconquête aux richesses ornementales Renaissance et baroque ; d’un modernisme atypique à un renouveau contemporain mené par les plus grands architectes internationaux ; en passant par les trésors de son petit patrimoine, l’Espagne vous invite à un voyage architectural à couper le souffle ! 

Aux origines

Le site d’Antequera abrite l’un des plus grands ensembles mégalithiques du monde. On peut y découvrir les dolmens de Menga et Viera (monument formé d'une dalle de couverture soutenue par des piliers formant les parois d'une chambre funéraire) et la tholos d’El Romeral (sépulture de plan circulaire et voûtée en encorbellement). Le Dolmen de la Creu d’en Corbetella, situé sur la route des mégalithes, est un des plus grands édifices préhistoriques de Catalogne. Cette étonnante structure menait originellement à une sépulture à couloir. Dans les Asturies, tout comme en Galice, vous pourrez découvrir l’architecture très élaborée des premiers villages celtes : les castros. Regroupant plusieurs maisons circulaires, ils étaient protégés par de puissantes et massives enceintes, à l’image du Castro de Coaňa, déjà divisé en rues et possédant un ingénieux système d’écoulement des eaux. Une sophistication que l’on retrouve chez les Ibères, peuple encore méconnu, mais qui laissa pourtant sur le site historique d’Ullastret d’incroyables vestiges de rues, maisons, citernes, silos, et d’une puissante muraille composée de tours rondes et carrées. Une maîtrise de l’architecture que l’on retrouve chez les Grecs puis les Romains. Le site d’Empuries, unique en son genre, abrite remparts, agora et sanctuaires grecs, ainsi que forum, thermes et villas romains. L’aqueduc de Ségovie avec ses 166 arches aménagées sur deux étages ; l’enceinte de Lugo avec ses 6 m de large et 11 m de haut ou bien encore l’Arc de Triomphe de Medinaceli (devenu symbole des sites antiques sur les panneaux routiers !) comptent parmi les chefs-d’œuvre du pragmatisme et du monumentalisme romain. Mais les sites antiques à ne surtout pas manquer sont ceux de Mérida et de Tarragone en Estrémadure. Mérida se voulait une réplique idéalisée de la Rome Impériale avec son urbanisme raisonné, son impressionnante maîtrise de l’eau (barrages, digues, aqueducs, égouts), ses somptueux théâtres, amphithéâtres et temples de granit et ses villas aux délicates mosaïques. Tarragone, elle, est un chef-d’œuvre d’urbanisme s’étageant en trois terrasses représentant le pouvoir religieux, le pouvoir politique et les loisirs. Cet ensemble unissant topographie et fonction est protégé par d’impressionnantes murailles. Après les Romains, ce sont les Wisigoths qui vont laisser leur empreinte en Espagne. Artisans d’un art embryonnaire chrétien, les Wisigoths excellent dans l’art de l’orfèvrerie et de l’ornementation. On reconnaît leurs édifices à leurs murs massifs et à leurs arcs en fer à cheval. L’Ermitage de Quintanilla de las Viňas avec ses chapiteaux stylisés en est un très bel exemple.

Splendeurs de l’Islam

Durant le Califat de Cordoue (VIIIe-Xe), les matériaux les plus nobles (pierre de taille, marbre) côtoient les effets décoratifs les plus recherchés : arcs en fer à cheval (hérité des Wisigoths), alfizs ou moulures rectangulaires encadrant les arcs, motifs géométriques et floraux, mosaïques aux reflets irisés, inscriptions calligraphiques… C’est de cette période que date la Mosquée-Cathédrale de Cordoue avec son mihrab (niche indiquant la Mecque) richement décoré et surtout son incroyable forêt de colonnes faites de jaspe, granit et marbre. En parallèle, l’architecture maure se fait aussi défensive avec l’édification de puissantes forteresses, à l’appareillage de pierre irrégulier, et protégées par des enceintes doubles ponctuées de tours et de portes monumentales. L’Alcazaba (forteresse) de Malaga en est un superbe exemple, tout comme la silhouette originelle des Alcazares Royaux (résidence royale) de Séville avec leurs tours à créneaux et merlons.

Sous le Royaume des Taïfas (XIe), les matériaux se font moins nobles : brique, plâtre, mortier. Mais ces derniers n’empêchent pas une riche ornementation faite de motifs végétaux, géométriques ou calligraphiques. Les villes se développent dans un dédale de ruelles étroites bordées de maisons basses chaulées de blanc, aux toits plats et aux façades quasiment aveugles. Les Pueblos Blancos d’Andalousie, avec leur silhouette fortifiée et leurs maisons recouvertes d’un badigeon blanc renvoyant lumière et chaleur et ornées de très rares et très profondes ouvertures, en sont les directs héritiers. Dans ces médinas hispaniques, à l’image du quartier de l’Albaicin à Grenade, se développe également une étonnante architecture de l’eau comme en témoignent les très beaux bains de Grenade, El Banuelo, avec leurs petites ouvertures déclinant le motif de l’étoile. Durant la période Almoravide (XIIe), les arcs, qui ne sont désormais plus des éléments de soutien mais de purs éléments de décor, deviennent de plus en plus complexes. Les dômes et coupoles sont ajourés de motifs géométriques toujours plus recherchés ou ornés de plafonds dits à muqarnas ou stalactites. Le mihrab de la mosquée d’Almeria en est l’héritier. Les Almohades (XIIIe) recherchent davantage la simplicité dans une architecture monumentale et défensive à la grande pureté des lignes. A Séville, la Torre del Oro, qui tire son nom des azulejos qui la décoraient, et la Giralda, tour carrée tapissée d’ornements en brique dont le motif répétitif en forme de losanges est baptisé sebka, en sont les fières représentantes.

Mais la période la plus riche et la plus étonnante fut celle des Nasrides (XIIIe-XIVe). Les azulejos aux couleurs vives et aux motifs géométriques répondent aux colonnes et chapiteaux de marbre coloré et aux bois polychromes des riches plafonds à caissons. Toutes les zones exposées bénéficient d’un traitement ornemental d’une incroyable richesse témoignant des étonnantes propriétés du stuc (plâtre mélangé à de la poudre de marbre). L’Alhambra de Grenade est le plus beau témoin de cette période et du raffinement unique de son architecture palatiale. Le Generalife, la résidence d’été des souverains nasrides, pensé pour être « le jardin du paradis suprême » est l’une des plus belles illustrations de l’importance donnée à la nature et surtout à l’eau par les Arabes. L’eau purifie, rafraîchit et agrandit l’espace grâce à de savants jeux de reflets, ce qui explique la présence de fontaines et bassins au cœur des patios. En parallèle de cet art islamique, se développe un art syncrétique opéré par les artisans chrétiens : l’art mozarabe qui emprunte aux traditions wisigothique (arc en fer à cheval), islamique (coupoles nervurées, motifs décoratifs) et chrétienne (plan basilical ou en croix latine, absides…). L’église de Santiago de Penalba, avec son plan en croix latine, ses colonnes corinthiennes et ses voûtes aux allures de dômes, en est l’exemple parfait.

Architecture de la Reconquête

Tout commence dans les Asturies, petit royaume qui ne connut jamais la domination arabe, et où se développa un art préroman unique, notamment à Oviedo. N’y manquez pas l’église Santa Maria del Naranco, encore très marquée par l’art wisigothique et possédant des traits asturiens typiques, telles ses colonnes sculptées en forme de cordes. A partir du XIe siècle, le roman prend son essor, notamment en Catalogne, et plus spécifiquement dans la Vall de Boi, comme en témoignent les églises Santa Maria et San Climent de Taüll. Ces édifices portent la marque du roman lombard qui se lit dans la simplicité du plan, la sobriété des volumes, les arcatures aveugles, les voûtes en plein cintre, l’art des fresques et surtout dans les tours-clochers de plan carré et décorés de motifs en saillie telle la bande lombarde. Avila, surnommée « la ville des saints et des pierres » est une belle représentante de ce roman de la Reconquête. Au pied de ses étonnantes fortifications aux 82 tours semi-circulaires et 9 portes monumentales, se déploie une série d’églises à la grande pureté romane. Une sobriété poussée à l’extrême dans les grands complexes monastiques cisterciens mêlant spiritualité et fonctionnalité. Le plus célèbre est le Monastère de Poblet, avec sa salle capitulaire aux voûtes portées par des colonnes élancées et son cloître bordé d’arcades aux colonnes stylisées opérant une élégante transition vers le gothique. La cathédrale de Barcelone avec sa nef haute de 26 m, celle de Séville avec sa voûte en étoile et ses piliers fasciculés (composés de cinq colonnes collées les unes aux autres), celle de León éclairée par pas moins de 1 800 m2 de vitraux et celle de Burgos avec ses hautes flèches ciselées, sont les superbes représentantes d’un gothique qui se fait flamboyant. Un style qui trouvera son apogée dans le style isabélin. Ce dernier est l’art de la Reconquête par excellence. Les rois affirment leur pouvoir à grand renfort d’armoiries et de symboles héraldiques, tout en usant d’un art consommé de la décoration multipliant les formes libres, les courbes et les ornements ciselés inspirés des découvertes du Nouveau Monde. Le Monastère de San Juan de los Reyes à Tolède et la Maison aux Coquilles (Casa de las Conchas) de Salamanque en sont deux très beaux exemples.

Là où le roman était avant tout religieux, l’art gothique devient urbain. Les élites bourgeoises et marchandes fournissent les capitaux nécessaires pour ériger les nouveaux repères de la cité : l’hôtel de ville (ayuntamiento) et la bourse de commerce (llotja). Le Barri Gotic de Barcelone, plus vaste quartier gothique d’Europe, regorge de ces trésors. Mais la plus fière représentante de ce gothique urbain est la Lonja de la Seda de Valence, ensemble commercial monumental dédié au commerce de la soie, dont la majeure partie est occupée par la Sala de Contratacion au sol dallé de marbres polychromes et aux voûtes à croisée d’ogives reposant sur de sveltes colonnes hélicoïdales de près de 16 m de haut.

Si les chrétiens reconquièrent progressivement la péninsule, ils n’en chassent pas pour autant les artistes et artisans maures. Impressionnés par le raffinement de leur architecture, ils font appel à eux pour édifier églises, palais et châteaux. C’est l’avènement du style mudéjar. Ce dernier reste fidèle à la tradition islamique dans les matériaux (plâtre, brique, bois), les techniques de construction (arc en fer à cheval, arc brisé, plafonds en bois, alfiz) et surtout dans les éléments décoratifs (motifs géométriques, plafonds à caissons, stucs, céramiques vernies), tout en intégrant des éléments gothiques (flèches élancées, motifs héraldiques…) Les clochers sont particulièrement travaillés, reprenant souvent le style épuré des minarets almohades. En Aragon, notamment à Teruel et Saragosse, les exemples de ce style se comptent par dizaines. N’y manquez pas la belle tour et l’impressionnante coupole sur nervure de la Cathédrale Santa Maria de Mediavilla de Teruel. Le Monastère royal de Santa Maria de Guadalupe avec son cloître portant la traditionnelle bichromie rouge brique/chaux blanche chère à l’architecture islamique est un autre bel exemple de ce style. Une bichromie que l’on retrouve dans le puissant Château de Coca qui appartient aux forteresses peuplant les paysages de Castille. L’Alcazar de Séville, le Château de Belmonte ou bien encore celui de La Mota, eux, font dialoguer échauguettes, barbacanes et mâchicoulis avec plafonds dorés à caissons, arcs en fer à cheval et décors sculptés mudéjars. Dans la région d’El Maestrat, qui doit son nom aux maestres, les maîtres templiers qui y édifièrent de puissantes forteresses, vous pourrez également découvrir de très beaux exemples de villes médiévales, telle Morella qui, à l’abri de son enceinte fortifiée, déploie un urbanisme typiquement médiéval fait d’un réseau labyrinthique de ruelles étroites, passages voûtés, volées d’escaliers et places bordées d’arcades commerçantes et de belles maisons blasonnées.

De la Renaissance au Classicisme

Art décoratif d’inspiration italienne, la Renaissance plateresque fait la part belle aux volutes, arabesques, guirlandes et aux reliefs délicats et filigranés rappelant la précision du travail de l’orfèvre ou platero. L’Hostal de San Marcos à León, avec ses médaillons et ses colonnes et arcades sculptées, est un des plus beaux édifices plateresques d’Espagne, tout comme la façade de l’Université de Salamanque et surtout celle du Couvent San Esteban avec ses frises, médaillons et grotesques ornant arc de triomphe, niches et consoles. La ville de Baeza possède également de superbes exemples de ce style très décoratif comme le montrent sa Casa del Populo et les décors sculptés de son hôtel de ville. Sa voisine Ubeda opère une transition vers une seconde Renaissance plus sobre. La ville porte notamment la marque d’Andrés de Vandelvira, célèbre pour son travail délicat de la pierre et ses décors réduits à leur plus simple expression. Des formes pures et harmonieuses que l’on retrouve dans ce que l’on appelle le classicisme Renaissance porté par l’architecte Juan de Herrera. C’est à lui que Philippe II de Habsbourg confie la continuation des travaux du célèbre Palais de l’Escorial, qui intronise un nouveau style, le desornamentado, tout en sobriété et dépouillement. Une sobriété que l’on retrouve dans les premiers édifices baroques, dont de très beaux exemples sont à admirer autour de la Plaza Mayor de Madrid, elle-même réaménagée pour sortir du schéma tortueux de la cité médiévale. L’Hôtel de Ville ou l’actuel ministère des Affaires étrangères y font la part belle aux cimes d’ardoise et aux façades de brique fort harmonieuses.

Puis, progressivement, les éléments décoratifs se font plus élaborés. Alonso Cano, architecte, sculpteur et peintre, est l’un des grands représentants de ce deuxième baroque. C’est à lui que l’on doit la superbe façade principale de la Cathédrale de Grenade. Mais le plus impressionnant et le plus foisonnant des baroques est celui de la troisième période dite churrigueresque, du nom des Churriguera, grande dynastie d’architectes. Art de la mise en scène et des effets visuels, ce baroque multiplie colonnes vrillées, pilastres en pyramides inversées, retables finement ciselés, entrelacs et formes géométriques, stucs et dorures à foison. La façade principale de la Cathédrale Saint-Jacques de Compostelle conçue comme un immense retable en est la plus incroyable représentante.

Aux Habsbourg succèdent les Bourbons qui se font construire de nouveaux palais mêlant baroque espagnol et rococo français. Un faste qui n’est pas sans rappeler le Château de Versailles, qui servit d’ailleurs de modèle au superbe Palais d’Aranjuez et ses immenses jardins à la française, et à l’impressionnant Palais de la Granja avec ses superbes jeux de couleurs créés par la juxtaposition en façade de la pierre rose, du marbre gris et de la pierre blanche. Puis, à partir de 1752, l’Académie Royale des Beaux-Arts, qui vient tout juste d’être créée, prend le contre-pied de ce foisonnement décoratif en prônant l’ordre et la modération et ouvrant ainsi la voie aux lignes classiques. Le Palais Royal de Madrid est le grand représentant de cette sobriété retrouvée. Mais c’est sous l’influence du roi bâtisseur Charles III et de l’architecte Ventura Rodriguez que la ville va connaître ses plus grandes transformations. Ensemble, ils imaginent notamment le Paseo del Prado, « la promenade de l’art verdoyante », en forme d’hippodrome et ponctuée de superbes fontaines, auquel seront ajoutés le jardin botanique et l’observatoire astronomique, modèle de simplicité et de dépouillement que l’on doit au plus célèbre représentant du néoclassicisme : Juan de Villanueva.

Historicisme et Modernité

En parallèle du néoclassique se développe un nouveau courant architectural fondé sur un romantisme qui puise aux sources de tous les styles passés. En Andalousie, la mode est au néo-mudéjar comme en témoigne le Palacio de Orleans y Borbon à Sanlucar de Barrameda. Dans le nord du pays, les Indianos, ces Espagnols revenus d’Amérique du Sud, se font ériger de somptueuses demeures mêlant emprunts aux styles passés (tourelles gothiques, patios mudéjars, dentelles plateresques et décorations baroques) et apport de la modernité avec de très beaux balcons et verrières en métal et fer forgé. On retrouve l’architecture métallique dans des prouesses de génie civil comme le Puente Internacional de Tui réalisé par Gustave Eiffel, ou bien encore le Pont Vizcaya à Bilbao, premier pont au monde à nacelle de transbordement suspendue. La Corogne, elle, doit son surnom de « ville de cristal » aux galerias ou bow-windows de verre qui ornent ses façades. On parle d’ailleurs de façades acristoladas. Entre style néo et architecture de verre et de métal, les casinos sont aussi les grands représentants de cette effervescence architecturale, à l’image des Casinos de Murcia et Santander. Mais les exemples les plus étonnants de ce mélange sont à voir à Séville. Dès 1909, la cité sévillane se prépare à accueillir un événement majeur : l’exposition hispano-américaine de 1929. En 1901, l’Estacion de Plaza de Armas se dote d’une nouvelle façade associant les briques et céramiques du néo-mudéjar au verre et au fer de l’architecture industrielle. Le Casino de l’exposition, avec sa façade ornée de pilastres et moulures en plâtre, est un bel exemple de néo-baroque, tandis que le monumental palais de la Plaza de España s’inspire des formes de la Renaissance plateresque. L’Estacion del Norte et le Marché Central de Valence portent eux la marque d’un modernisme de verre et d’acier, teinté d’Art nouveau comme le prouvent leurs décors de céramique. Un Art nouveau qui va prendre une forme tout à fait singulière en Catalogne : celle du Modernismo.

S’inscrivant dans le mouvement de la Renaixença ou renaissance de l’identité catalane, il prône le retour aux origines d’un passé glorieux, puisant aux sources médiévales de l’art du décor et de l’artisanat, tout en s’inspirant très largement de la nature et de ses formes organiques laissant libre cours à une liberté formelle étonnante. Puig i Cadafalch et ses créations aux courbes voluptueuses en est un grand représentant. A Barcelone, Antoni Gaudí pousse encore plus loin cette liberté formelle en inventant une architecture-sculpture aux façades aux volumes bombés et animés de tesselles de céramique irisée. Le Parc Guëll avec ses étranges cheminements aux aspects troglodytiques, les immeubles de la Casa Mila avec leurs étonnants faîtages, et bien sûr la Sagrada Familia avec ses flèches à claire-voie vrillant avant d’éclater en croix florales sont les grands témoins de ce style inimitable.

Le tournant du XXe siècle est aussi une période de grand renouveau urbanistique. A Barcelone, Ildefonso Cerdà décide d’abattre les murailles et d’étendre la ville selon un plan en damier. C’est la naissance du quartier de l’Eixample (« extension »). A Madrid, c’est la Gran Via qui est nouvellement percée. Aux édifices Belle Epoque vont bientôt s’y succéder les témoins du modernisme naissant. Du haut de ses 88 m, l’immeuble de la Compagnie Telefonica, est le premier gratte-ciel de la ville. Ses voisins s’inspireront du style rationaliste que l’on retrouve également dans l’un des édifices phares de l’Exposition Internationale de 1929 à Barcelone : le Pavillon Allemand de Mies Van der Rohe aux lignes épurées et aux élégants jeux de lumière. Une effervescence créatrice qui va être stoppée par le franquisme. Comme tous les régimes autoritaires, le franquisme prône une architecture monumentale mêlant historicisme et accents rationalistes. Madrid se dote ainsi d’arcs de triomphe et les bâtiments édifiés alors semblent tous calqués sur le gigantisme de l’Escurial. Mais la folie des grandeurs du franquisme transparaît le plus à travers la Valle de los Caidos, monument comprenant une basilique de 245 m de profondeur creusée dans la roche et surmonté d’une croix de 150 m de haut ; et l’Université La Laboral de Gijon, dont les 270 000 m² abritent notamment l’une des plus grandes églises elliptiques au monde.

Effervescence contemporaine

Dans les années 80, la révolution culturelle de la Movida fait passer Madrid du franquisme au postmodernisme, du rigorisme à l’hédonisme, dotant la ville d’une architecture très « américaine » tout en verre, béton et acier. Une effervescence qui se poursuit dans les années 90 avec l’édification des plus célèbres buildings de la ville, les Torres Kio, formant la Puerta de Europa. Ces tours de 115 m de haut ont une inclinaison de 15 degrés et semblent défier les lois de la gravité ! Les années 90 sont aussi des années phares pour Barcelone et Séville qui accueillent respectivement les Jeux olympiques et l’Exposition universelle et se transforment alors en véritables laboratoires architecturaux. A Séville, le Puente del Alamillo, construit pour l’occasion, est l’œuvre de Santiago Calatrava, célèbre pour mêler esthétique fonctionnelle de l’ingénierie et sculpture architecturale, tout en privilégiant des formes courbes et organiques. Les ponts comptent parmi ses réalisations les plus emblématiques, à l’image du Pasarela de Uribitarte à Bilbao et du Pont de Lusitanie à Mérida. On lui doit aussi la majeure partie des édifices de la Cité des Arts et des Sciences de Valence ; le nouveau terminal de l’aéroport de Bilbao rappelant l’envol d’une colombe ou bien encore l’Obélisque de la Caisse de Madrid, cylindre effilé de 92 m de haut. Autre figure centrale de l’architecture espagnole : Rafael Moneo, récompensé par le Prix Pritzker (le Nobel d’Architecture) pour son œuvre mêlant avec élégance minimalisme et monumentalisme. Parmi ses plus belles réalisations, notons : le Musée National d’Art Romain de Mérida dont les arcs du grand hall font écho à la hauteur et au style des arches de l’aqueduc de Los Milagros ; la gare d’Atocha à Madrid avec sa canopée et sa tour d’horloge ; ou bien encore les aménagements intérieurs tout en sobriété du Musée national Thyssen-Bornemisza. Une sobriété à l’opposé des motifs que l’on retrouve dans l’œuvre de Ricardo Bofill. Architecte du postmodernisme, il renie le fonctionnalisme et multiplie les références antiques comme avec le Théâtre National de Catalogne, véritable temple grec flanqué de 26 colonnes. On lui doit aussi la Dama del Manzanares, sculpture de bronze et d’acier reposant sur une plateforme pyramidale de 21 m de haut surplombant Madrid. Une architecture de béton qui a beaucoup fait débat… à l’inverse de celle de l’agence RCR Arquitectes. Basée dans la petite cité catalane d’Olot, l’agence a développé des projets uniques mêlant simplicité, unité et poésie intemporelle… ce qui lui valut le Prix Pritzker en 2017 ! Mais l’Espagne sait aussi accueillir les plus grands noms de l’architecture internationale pour se réinventer. A Santander, c’est à Renzo Piano que l’on doit le Centro Botin, dont les deux bâtiments semblent comme suspendus dans les airs. L’iconique Museo Guggenheim, la fleur de verre, d’acier et de calcaire de Bilbao, est, lui, l’œuvre du célèbre Frank Gehry. A Barcelone, impossible de manquer la Torre Glories de Jean Nouvel, dôme de verre de 145 m de haut aux formes courbes et élancées. La cité catalane abrite également le Palau Sant Jordi d’Arata Isozaki ; et l’Edifici Forum aux volumes géométriques d’un bleu éclatant imaginé par Herzog & de Meuron. Les architectes suisses ont également imaginé la CaixaForum de Madrid, ancienne centrale industrielle réhabilitée disposant du tout premier jardin vertical d’Espagne. Autre espace phare de la capitale : le Cuatro Torres Business Area, la City madrilène, aux tours signées Norman Foster et César Pelli. L’architecte argentin fit scandale à Séville avec sa Torre de Sevilla. De base elliptique et haute de 180 m, la tour attire l’œil par son revêtement d’aluminium couleur terracotta… ce qui eut pour conséquence d’empêcher le classement du cœur historique de la ville au Patrimoine mondial de l’Unesco. La municipalité décida dès lors d’interdire la construction de nouveaux gratte-ciel. Un enseignement que certaines villes sur-bétonisées des côtes devraient faire leur !

Richesses vernaculaires

L’Andalousie, et notamment la région d’Almeria, sont des zones calcaires propices à l’habitat troglodyte dont on repère la présence grâce aux cheminées lisses et blanchies à la chaux. Dans le quartier de La Chanca à Almeria, les façades de ces « grottes » sont de couleurs vives et éclatantes. En Castille-Léon, tout comme au Pays Basque, vous pourrez admirer de très belles maisons à colombage, souvent joliment colorées. On remarquera leur socle en pierre pour se prémunir de l’humidité, ainsi que leurs avancées de toit protégeant portiques et balcons, et surtout leurs toits de tuiles rouges. Dans les régions du Nord-Ouest, vous pourrez découvrir un petit patrimoine unique composé d’horréos, greniers traditionnels construits sur pilotis, en pierre en Galice et souvent en bois avec un toit de chaume et d’ardoises dans les Asturies ; de teitos, anciennes maisons en pierre sèche et toit de chaume servant d’abris aux hommes et aux bêtes ; ainsi que de pallozas, cabanes circulaires au toit de chaume et aux murs bas. En Castille-La Manche, dans le Parque Nacional de Cabaneros, vous pourrez également découvrir des chozos, abris de bergers de formes coniques, ne possédant qu’une seule entrée et ressemblant à des sortes de tipis de chaume. La région est aussi riche en moulins à vent, comme ceux de Consuegra et de Campo de Criptana dominant le paysage du haut de leur arête rocheuse. Et ce ne sont là que quelques exemples d’un petit patrimoine qui fait aussi la richesse du pays !

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