Du vin, des hommes et des dieux
Dans la religion chrétienne orthodoxe serbe pratiquée au Monténégro, le vin est la boisson des dieux, le pain est la nourriture des hommes. Encore aujourd'hui, pendant la prière du cœur, le calice est bu et une marche en sens inverse des aiguilles d'une montre est réalisée autour de l'église. Un des tout premiers lieux de production du vin dans les Balkans se nomme Drušići à l'ouest du lac de Skadar (Shkodër), au Monténégro. D'ailleurs, Drušići (« Drouzitchi ») en langue d'Illyrie désigne un amas de grappes de raisins !
Une histoire viticole née autour du lac de Skadar
Au milieu du XIXe siècle, le roi monténégrin Nikola Petrović voit le potentiel de cette région, idéale pour la viticulture. Il adresse alors à ses troupes la recommandation suivante : « Chaque soldat, là où pousse la vigne, doit planter au moins deux cents ceps ! ». La région du lac de Skadar demeure depuis une grande région productrice de vins monténégrins et s'attache principalement à élever deux variétés endémiques : le vranac et la kratošija, que vous pourrez goûter dans de nombreux restaurants sous l'appellation « vin domestique », sans précision exacte sur les cépages utilisés. À Podgorica, de nombreuses familles produisent encore leur propre vin. Autre région d'importance : Crmnica, limitrophe de la Riviera de Budva, est le berceau des fameux cépages vranac et dkrstač, c'est un endroit à la longue tradition de production de vins de haute qualité et d'eau-de-vie.
Du vin artisanal au productivisme communiste
Outre la diplomatie et l'armée, le vin a aussi eu sa place de choix dans les échanges entre la France et les pays des Balkans. Les ceps de vignes de différents cépages transitaient beaucoup entre les deux pays autour du XVIIIe et du XIXe siècle. Le vin monténégrin survivra aux deux guerres mondiales, mais succombera à la fin des années 1960, lorsque le gouvernement communiste de Tito décidera de nationaliser les vignobles. Les paysans sont alors dépossédés de leurs terres et l'État lance des projets d'industrialisation massive. La production de vin explose, mais évidemment sa qualité chute. Les vignobles de qualité de la côte dalmate escarpée sont alors abandonnés (quel dommage !), au profit des vignobles créés ex nihilo dans les régions plates, voire quasiment désertiques, notamment autour de la capitale, Titograd (Podgorica). C'est donc à l'aide de pompes à pression hydraulique que l'eau est remontée à plus de 100 m dans le sol pour irriguer des vignes dopées aux pesticides. Une vision productiviste du vin - époque oblige - où la qualité importe peu, vendu à d'autres nations communistes : Viêt Nam, Égypte et URSS dès les années 1970. À la chute de Tito et au fractionnement de l'ex-Yougoslavie, un gouvernement dans la même ligne politique prend le relais. Il faudra attendre 2006 pour avoir la première famille enregistrée comme exploitation privée vigneronne, Plantaže. Progressivement, depuis cette date, les terres sont recultivées par des producteurs de vins. On en compte actuellement une cinquantaine dans le pays, dont une dizaine de taille importante et de qualité. Un chiffre relativement bas comparativement aux autres pays des Balkans, d'autant plus que le Monténégro n'a pas vécu de guerre civile comme ses voisins. Lors de la transition postcommuniste, le vignoble de Plantaže était le seul qui rapportait de l'argent au gouvernement. Le système subsiste encore, mais les nouvelles autorités ont décidé de redonner leurs lettres de noblesse à la viticulture monténégrine, mais aussi d'investir dans ce secteur porteur. La finalité est, comme souvent dans les Balkans, très pragmatique afin de diversifier ses sources de revenus. Plantaže (Плантаже) est devenu aujourd'hui un géant européen qui a racheté un château en Gironde.
Le renouveau des vins de Drušići
Drušići (Drouchitsi) est un petit village situé dans la région côtière du Monténégro, connue pour ses paysages montagneux et ses vignobles. Selon la légende, les premières vignes ont été plantées ici par des moines bénédictins qui ont apporté les plants de vigne d'Italie, dans les années 1400. Au XIXe siècle, la production de vin de la région décline en raison des guerres, mais aussi de l'apparition de maladies de vignes. Mais au XXe siècle, la viticulture a connu une renaissance grâce à l'introduction de nouvelles variétés de cépages et l'arrivée de techniques de vinification plus modernes.
Aujourd'hui, les vignes de Drušići sont en plein essor, avec des producteurs locaux qui produisent des vins primés à partir de variétés autochtones de raisins, telles que le vranac et le krstač. Les vins de pays proviennent de petites coopératives, renouant ainsi avec sa longue tradition viticole historique de qualité.
La route des vins au Monténégro
Le Monténégro possède plusieurs vignobles réputés à visiter aujourd'hui. Parmi les vignobles les plus emblématiques à visiter :
Plantaže (Podgorica). Le plus grand et le plus célèbre vignoble du Monténégro, qui compte plus de 2 300 hectares de vignes. Dégustation de Vranac et de Krstač (cépage blanc autochtone), visite des impressionnantes caves souterraines.
Vinarija Buk (lac de Skadar). Ce petit vignoble familial est enserré dans un cadre pittoresque offrant de très jolis paysages. La production de vin est artisanale et bio. Dégustation de vins accompagnés de produits locaux dans une ambiance intimiste.
Vinarija Kopitović (lac de Skadar). Cette petite propriété familiale produit du Vranac et du Krstač et offre une belle vue sur le lac.
Vinarija Mašanović (Crmnica, près de Podgorica). Cette propriété viticole tenue par des producteurs passionnés est spécialisée dans les vins rouges traditionnels monténégrins.
Castel Savina (Bouches de Kotor). C'est le seul domaine avec vue sur mer, près du magnifique monastère de Savina à Herceg Novi. Ce domaine viticole créé par des moines est installé ici depuis le XVIIIe siècle et produit des vins de garde vieillis en fût de chêne français.